Laurent Bucyibaruta
Faits
Laurent Bucyibaruta est né en 1944 dans la préfecture de Gikongoro, au Rwanda. Il est devenu préfet de Gikongoro de juillet 1992 à juillet 1994. Il aurait également été militant au sein du Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement (MRND) et chef du comité préfectoral du mouvement Interahamwe, l’organisation des jeunes du MRND.
Laurent Bucyibaruta est accusé d’avoir participé au génocide rwandais de 1994. Il aurait notamment pris la parole en 1993 lors d’un rassemblement public pour encourager l’assistance à contribuer financièrement à l’achat d’armes pour combattre l’ennemi tutsi. De plus, Laurent Bucyibaruta aurait, à plusieurs reprises, ordonné aux militaires, aux gendarmes, aux Interahamwe et aux civils armés qui étaient sous ses ordres de commettre plusieurs massacres contre les tutsis, localisés à plusieurs endroits. Ainsi, plusieurs tueries auraient été organisées et dirigées par Laurent Bucyibaruta : le 21 avril 1994 à la paroisse de Cyanika et de Kaduha ; le 22 avril 1994 à la prison de Gikongoro ; le 7 mai 1994 à l’école des filles de Kibeho.
En outre, le 10 avril 1994, Laurent Bucyibaruta aurait utilisé un porte-voix afin d’encourager les tutsis à se rendre à l’école technique de Murambi où il leur aurait promis de la nourriture. Les tutsis qui ont rejoint l’école ont été tués le 20 et 21 avril 1994 par des gendarmes, des policiers et des civils armés.
Laurent Bucyibaruta a fui le Rwanda pour se réfugier en France en 1997.
Procédure
PROCEDURE DEVANT LE TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL POUR LE RWANDA (TPIR)
Le Tribunal pénal international pour le Rwanda a inculpé Laurent Bucyibaruta le 16 juin 2005. Selon l’acte d’accusation du TPIR du 16 juin 2005, Laurent Bucyibaruta est poursuivi pour six chefs d’inculpation : crime de génocide, complicité de génocide, incitation directe et publique à commettre le génocide, et de crimes contre l’humanité constitués par des actes d’extermination, des assassinats, et des viols. Sa responsabilité individuelle et sa responsabilité en tant que supérieur hiérarchique sont envisagées dans le cadre de cet acte d’instruction.
Le 21 juin 2007, le TPIR a émis un mandat d’arrêt contre Laurent Bucyibaruta demandant au gouvernement français de l’arrêter. Le TPIR a émis un deuxième mandat d’arrêt le 13 août 2007. Le TPIR s’est finalement dessaisi de l’affaire au profit de la justice française le 20 novembre 2007.
PROCEDURE EN FRANCE
Le 30 mai 2000, Laurent Bucyibaruta a été interpellé puis mis en examen par le bureau du Procureur de Troyes, sur la base d’une plainte déposée auprès du Tribunal de grande instance (TGI) de Paris le 5 janvier 2000 par la Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH) et la Ligue des Droits de l’Homme.
Le 6 juin 2000, il est placé en détention. Il a fait appel de cette décision et a été libéré sur décision du juge d’instruction le 20 décembre 2000. Il a été par la suite placé sous contrôle judiciaire.
Le 12 juin 2007 , le Procureur du TPIR a demandé au Tribunal l’autorisation de transférer les affaires de Laurent Bucyibaruta et de Wenceslas Munyeshykaya à une Cour d’Assises française puisque les deux hommes étaient déjà mis en examen en France et en vertu d’un accord passé avec la France en 2006 prévoyant cette possibilité.
Suite au mandat d’arrêt international émis par le Rwanda le 21 juin 2007 – qui demandait aux autorités françaises d’appréhender Bucyibaruta en attendant qu’une chambre de première instance du TPIR, saisie pour traiter du transfert, prenne sa décision – il a été arrêté le 20 juillet 2007 par la police judicaire de Reims à son domicile de Saint-André-des-Vergers dans le département de l’Aube où il vivait depuis quatre ans. Le même mois, le Ministère de la Justice a confirmé l’accord des autorités judiciaires françaises pour se saisir des procédures suivies par le TPIR à l’encontre de Laurent Bucyibaruta et Wenceslas Munyeshykaya.
Cela dit, suite à leur arrestation le 20 juillet 2007, la Cour d’Appel de Paris a décidé la libération immédiate des deux hommes le 1 août 2007. En effet, la Cour a motivé sa décision en considérant que le mandat d’arrêt n’était pas valide car imprécis et en violation du droit français concernant la présomption d’innocence.
Le parquet général ne s’est pas pourvu en cassation contre la remise en liberté des deux hommes. Ils demeuraient sous contrôle judiciaire dans le cadre d’une procédure instruite en France pour « génocide et crimes contre l’humanité ».
Le 13 août 2007, le TPIR a émis un deuxième mandat d’arrêt contre Bucyibaruta et Munyeshykaya, qui, changeant de stratégie, demandait cette fois le transfert des deux hommes devant sa juridiction en attendant que la Chambre de première instance statue sur l’article du Règlement de procédure et de preuve du TPIR. Suivant ce deuxième saisissement, les autorités françaises ont procédé à une deuxième interpellation des deux hommes à leurs domiciles le 5 septembre 2007.
Le 26 septembre 2007, la Chambre d’Appel de Paris a ordonné au TPIR un supplément d’informations considérant qu’elle ne pouvait se prononcer sur la demande de transfert au regard des éléments fournis.
Le 20 novembre 2007 , le TPIR s’est dessaisi au profit de la justice française des poursuites contre les deux hommes. Ainsi, l’affaire renvoyée par le TPIR a été jointe à l’information judiciaire déjà ouverte en France depuis le 30 mai 2000.
Le 9 mai 2017, le juge d’instruction a clôturé son enquête. Le 4 octobre 2018, le procureur a déposé son réquisitoire définitif en demandant que Laurent Bucyibaruta comparaisse en justice pour des accusations de génocide et crimes contre l’humanité.
Le 24 décembre 2018, un juge d’instruction parisien a renvoyé l’affaire devant la Cour d’Assises de Paris. En 2019, Laurent Bucyibaruta a fait appel de ce renvoi.
Le 21 janvier 2021, la Cour d’appel a confirmé le renvoi de l’affaire, en modifiant les charges de complicité en perpétration directe du génocide pour certains faits criminels, et en ajoutant d’autres qui avaient été rejetés par le juge d’instruction.
Le procès devrait se dérouler du 9 mai au 1er juillet 2022 devant la Cour d’assises de Paris.
Contexte
Le Rwanda était historiquement peuplé par trois groupes sociaux distincts, les Hutu, Tutsi et Twa. Entre les mois d’avril et de juillet 1994, le pays a été déchiré par un génocide sanglant, au cours duquel les extrémistes Hutus ont pris pour cible les Tutsi et les Hutus modérés. La Mission des Nations Unies au Rwanda (MINUAR) était impuissante contre les génocidaires, les casques bleus n’étant pas assez nombreux.
LE TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL POUR LE RWANDA (TPIR)
Afin de faciliter le processus de réconciliation nationale et de promouvoir la paix dans le pays, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté le 8 novembre 1994 la Résolution 955 instituant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), situé à Arusha, en Tanzanie.
La fonction du Tribunal était de poursuivre les auteurs de crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis entre le 1 janvier et le 31 décembre 1994 au Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d’États voisins. 93 personnes ont été inculpées devant le TPIR. Le Tribunal a été dissout le 31 décembre 2015.
Le Conseil de Sécurité des Nations Unies a établi dans sa résolution 1966 (2010) un Mécanisme International Résiduel pour les Tribunaux Pénaux (ci-après ‘le Mécanisme’) afin de prendre en charge les fonctions et activités qui resteront en place suite à la fermeture du TPIR, ainsi que de celle du Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (ou TPIY). Le Mécanisme, qui fonctionne depuis le 1 juillet 2012, a pris en charge les fonctions passées du TPIR telles que l’exécution des peines des personnes condamnées par le TPIR, la recherche, l’arrestation et la poursuite des fugitifs assignés en justice devant le Mécanisme, et enfin la protection des témoins.
LES JURIDICTIONS ‘GACACA’
Dès 1998, des réflexions ont été engagées – sous la direction du Président de la République rwandaise – sur le possible recours à des tribunaux traditionnels afin de soutenir le système judiciaire ordinaire et le TPIR. Une commission a été créée pour étudier cette possibilité, et son rapport a été la base de la loi organique du 26 janvier 2001, qui a créé les Juridictions Gacaca.
Ces tribunaux étaient chargés de juger les auteurs matériaux du génocide, en dehors des ‘planificateurs’ qui devaient être jugés devant les juridictions ordinaires. Les juridictions Gacaca étaient constituées d’assemblées populaires élues composées de juges non professionnels. La composition et le fonctionnement de ces tribunaux ont soulevé plusieurs préoccupations au sujet du respect du droit à un procès équitable.
Selon les autorités rwandaises, au cours de leur fonctionnement, les tribunaux Gacaca ont jugé presque deux millions de personnes. Le 18 juin 2012, le président rwandais Paul Kagame a annoncé la fin officielle de l’activité des juridictions Gacaca.