Chaque année, des milliers de migrants d’Amérique centrale disparaissent au Mexique, venant s’ajouter au nombre déjà considérable de ressortissants mexicains disparus. Avec un gouvernement nouvellement élu et une préoccupation internationale croissante pour les migrations en Amérique latine, le Mexique peut-il lutter efficacement contre ce crime ?

 

TRIAL International et la Fundación para la Justicia and Estado Democrático de Derecho soumettent un rapport à l’ONU sur les disparitions forcées au Mexique. Dans quel contexte ce rapport intervient-il ?

Gabriella Citroni, conseillère juridique principale chez TRIAL International : Le Comité des Nations Unies sur les disparitions forcées (CED) examine la situation du Mexique pour la deuxième fois depuis sa création. L’État présente son rapport au CED et les organisations de la société civile sont invitées à déposer des rapports complémentaires, afin de fournir un autre point de vue sur la situation. La particularité de notre rapport conjoint est qu’il se concentre sur les disparitions forcées de migrants au Mexique.

 

Comment la situation a-t-elle évolué depuis le dernier examen du Mexique en 2015 ?

Ana Lorena Delgadillo, directrice exécutive de la Fundación para la Justicia: Ces dernières années, nous avons assisté à une augmentation du nombre de disparitions forcées, ce qui nous mène à affirmer que le Mexique manque à ses obligations internationales. Ce constat est paradoxal, puisqu’en 2017, le pays a adopté des mesures législatives extrêmement progressistes (connues sous le nom de « Loi générale ») pour lutter contre les disparitions forcées. Mais ces améliorations sont restées lettre morte jusqu’à présent : les familles des victimes ne disposent toujours pas de mécanismes efficaces pour rechercher leurs proches, ni d’accès concret à la vérité et à la justice.

 

Pouvez-vous donner des exemples ?

Gabriella Citroni: La Loi générale pourrait être l’un des instruments juridiques les plus complets au monde sur les disparitions forcées. Deux autres mesures, créées avec la collaboration des familles et de la Fundación para la Justicia, sont particulièrement progressistes. La première est la création d’une commission médico-légale interdisciplinaire spécialement chargée d’identifier la dépouille des victimes de trois massacres commis entre 2010 et 2012, dont celles de nombreux migrants. La seconde était le Mécanisme transnational pour l’accès à la justice, une disposition permettant aux familles d’États d’Amérique centrale de saisir les autorités mexicaines par l’intermédiaire de ses ambassades et consulats – un point crucial étant donné la difficulté pour les familles de migrants de saisir la justice mexicaine.

Ana Lorena Delgadillo: Le problème est que certaines de ces mesures restent théoriques. La nouvelle Commission nationale de recherche des disparus – créée en vertu de la Loi générale – manque de ressources financières et humaines suffisantes. Les familles des victimes continuent d’effectuer elles-mêmes le travail de recherche.

L’accès à la justice pour les familles hors du pays est également bloqué. Le Mécanisme transnational pour la justice a été créé, mais le Mexique ne compte aucun personnel permanent affecté aux disparitions forcées dans les États d’Amérique centrale d’où proviennent les migrants (principalement le Honduras, le Nicaragua, El Salvador et le Guatemala). Les demandes des familles doivent donc passer par les fonctionnaires en visite, mais cela n’arrive que quelques fois par an. Entre-temps, les familles souffrent quotidiennement des incertitudes liées au sort de leurs proches.

 

Qu’espérez-vous de ce rapport ?

Gabriella Citroni: Je pense qu’il y a une prise de conscience croissante des disparitions forcées au Mexique, en particulier concernant les migrants, et que cette prise de conscience constitue un élément particulièrement positif. Un autre facteur encourageant est que le Mexique dispose de l’arsenal juridique nécessaire pour prévenir et éliminer efficacement les disparitions forcées, et notre rapport présente une feuille de route très concrète pour sa mise en œuvre. Donc, si la volonté politique est là, les autorités sont bien équipées pour initier un changement.

Ana Lorena Delgadillo: Il y a aussi un élan politique : le Mexique vient d’élire un nouveau gouvernement. Nous avons rencontré ses représentants et espérons qu’ils prendront au sérieux le crime de disparitions forcées. Les familles et les proches des victimes sont très bien organisés et incroyablement courageux. Ils ont toujours été à l’avant-garde de la lutte contre l’impunité et ont souvent mené leurs propres enquêtes lorsque les autorités leur ont fait défaut. Le nouveau gouvernement doit prendre en compte l’expertise qu’ils ont ainsi développé, respecter et améliorer les bonnes pratiques telles que la commission de police scientifique et le mécanisme transnational d’accès à la justice, et s’appuyer sur l’aide de la communauté internationale. Compte tenu de l’ampleur de l’impunité au Mexique, seul un effort commun peut apporter de réelles améliorations.

 

Lire le rapport complet au Comité des disparitions forcées (en espagnol)
Lire le résumé du rapport (en anglais)
En savoir plus sur les disparitions forcées

Le journaliste a disparu en juillet 2016. Face au désarroi de sa famille et à l’inaction du gouvernement, TRIAL International a saisi les Nations Unies.

En juin 2016, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Zeid Ra’ad Al Hussein a parlé d’ « une forte augmentation des disparitions forcées » au Burundi. Celles-ci représentent « une des nouvelles tendances très préoccupantes » émergeantes au pays.

Le rapport de l’Enquête indépendante des Nations Unies sur le Burundi (EINUB) va dans le même sens. Depuis le début de la crise en 2015, des centaines de personnes auraient disparu.

 

La souffrance des proches

C’est dans ce contexte que Jean Bigirimana a disparu. Il était journaliste de l’IWACU, un de principaux médias indépendants burundais et l’un des seuls à être encore actif au Burundi. Père de deux enfants de huit et trois ans, il a été enlevé le 22 juillet 2016 par des hommes à bord d’un pick-up qui appartiendrait au Service National de Renseignement burundais. Jean Bigirimana n’a jamais été revu depuis.

Près de 9 mois se sont écoulés et son sort demeure inconnu, ainsi que les circonstances entourant sa disparition. Cette situation engendre une souffrance profonde chez sa famille, ses amis et ses collègues.

« Les disparitions forcées sont une forme de torture psychologique pour les proches de la victime. Ils oscillent entre l’espoir et le découragement, sans moyen de tourner la page » explique Pamela Capizzi, Conseillère juridique en charge du Programme Burundi. « Les proches de Jean Bigirimana ont le droit de savoir ce qui lui est arrivé. »

 

Instruction lacunaire et impunité

Les autorités burundaises ont l’obligation de mener l’enquête sur cette disparition. Pourtant, cela n’a pas été le cas. Au vu d’une instruction lacunaire et du contexte d’impunité prévalant au Burundi, la voie de la justice internationale s’est imposée d’elle-même.

En collaboration avec le Groupe de Presse IWACU, TRIAL International a porté l’affaire à l’attention du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires des Nations Unies (GTDFI) en août 2016. Cette procédure a pour but d’aider la famille à découvrir ce qui est arrivé à leur proche.

« La justice burundaise a le devoir de dire la vérité à la famille, à Iwacu, aux Burundais. Il y va de son honneur », conclut Antoine Kaburahe, Directeur du Groupe de Presse Iwacu. « La vérité permettrait aux proches de mettre fin à l’attente et de sortir de ce doute terrible. A ce jour, les deux enfants de notre confrère attendent toujours ‘Papa parti travailler’. C’est atroce »

 

 

Le Mexique a peu avancé depuis que le Comité des disparitions forcées a émis ses recommandations en 2015.

Le temps passe et les familles des personnes disparues n’ont aucun mécanisme efficace vers lequel se tourner pour avoir des nouvelles de leurs proches.  En février 2015, le Comité des disparitions forcées des Nations Unies (CED) a formulé une liste de recommandations afin de s’attaquer à ce qu’il nomme « un contexte de disparitions généralisées sur une grande partie du territoire de l’État ». Jusqu’ici, la mise en application de ces recommandations est loin d’être satisfaisante.

Le CED a identifié entre autres priorités la création d’un registre national unifié des personnes disparues, la mise en place d’un mécanisme transnational effectif visant à empêcher et à éradiquer la pratique des disparitions forcées, l’adoption de mesures adéquates pour la recherche, la localisation et la libération des personnes disparues, et, en cas de décès de ces personnes, la localisation, le respect et le renvoi des corps aux familles.

Un an plus tard, TRIAL International et ses partenaires ont déjà tiré la sonnette d’alarme sur l’absence de mise en œuvre des recommandations. Le CED a partagé ce constat, estimant que le Mexique n’avait pas fait suffisamment pour lutter contre les disparitions forcées.

 

Deux ans plus tard, rien n’a vraiment changé

Le 15 février 2017, TRIAL International et deux ONG mexicaines ont soumis au CED un nouveau rapport de suivi. Les conclusions sont tristement similaires à celles de l’an passé : aucun registre national n’a été mis en place, les mécanismes créés pour faire face aux disparitions forcées se heurtent à des obstacles pratiques et la recherche des personnes disparues demeure déficiente et extrêmement lente.

Or, il y a peu de chance que le Mexique résolve la situation bientôt ; son manque de volonté politique est évident. Mais le CED est également responsable : face à l’inertie du Mexique, il doit user de moyens plus audacieux pour pousser le gouvernement à agir, par exemple en organisant une visite dans le pays ou en y référant à l’Assemblée générale de l’ONU.

Lire le rapport de suivi complet (en espagnol)

Lire le résumé (en anglais)

Un OP-Ed de Gabriella Citroni

Quarante ans de lutte contre les disparitions forcées ont produit des avancées significatives, mais le phénomène reste en augmentation constante.  

A la fin des années 1970, les proches de victimes de disparitions forcées en Amérique Latine se sont mobilisés pour mettre un terme à ce crime. La Commission nationale argentine pour les personnes disparues leur a donné raison en 1984 en publiant son rapport final intitulé « Plus jamais ça ! ». Le rapport soulignait l’importance de prévenir la répétition d’une tragédie nationale qui a fait des milliers de disparus. Depuis lors, plusieurs commissions de vérité et réconciliation dans le monde ont repris ce titre dans leurs rapports finaux et « plus jamais ça » est devenu le cri de ralliement de la société civile contre les disparitions forcées.

Tous les ans, la Journée internationale des victimes de disparitions forcées est l’occasion de nous demander : quel chemin avons-nous parcouru et que reste-t-il à faire ?

 

Des signes encourageants aux niveaux national et international

Des progrès indéniables été constatés récemment, notamment le choix de certains Etats de renforcer leur législation nationale : le Pérou a fait promulguer une loi sur la recherche des personnes disparues, pour enfin faire la lumière sur le sort des milliers de disparus du conflit de 1980 à 2000. Des efforts pour adopter une législation complète sur ce crime sont également en cours en Tunisie et au Mexique.

Après des années de lobbying de la société civile, la Cour suprême du Salvador a déclaré inconstitutionnelle la loi d’amnistie de 1993, qui jetait un voile d’impunité sur les violations des droits humains commises de 1980 à 1992. Cette décision historique ouvre la voie à la reddition et ravive l’espoir des familles des disparus.

D’autres Etats ont intégré à leurs institutions des mécanismes de soutien pour les proches des disparus. Au Népal, une Commission d’enquête sur les victimes de disparitions forcées a enfin été établie. Elle devrait donner les moyens aux victimes et à leur famille de faire valoir leur droit à la vérité, à la justice et aux réparations, restés lettre morte depuis la fin du conflit en 2006. Au Mexique, une Unité spécialisée d’investigation des crimes contre les migrants ainsi qu’un Mécanisme transnational de rechercher des migrants disparus s’attèleront pour la première fois aux abus subis par les migrants, y compris les disparitions forcées.

Les organes internationaux sèment eux aussi des jalons encourageants. En mars, le Comité des Nations Unies contre les disparitions forcées (CED) a profit de sa toute première décision pour se prononcer sur des questions encore inexplorées, telles que les obligations des Etats quand un prisonnier est transféré d’un lieu de détention à un autre, et les droits des proches à être informé de ces déplacements et de l’avancée de l’enquête.

 

Des efforts trop timides et toujours trop tard

Tous ces exemples sont d’importantes victoires qu’il convient de saluer. Mais aucun d’entre eux ne s’attaque aux causes du mal : la commission elle-même de ces disparitions forcées. Malgré tous nos efforts, ce crime est de plus en plus répandu. Au cours des trois dernières années, le nombre d’actions urgentes enregistrées par le CED ont bondi de 4 à 294. Le Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires est submergé quotidiennement de nouvelles affaires.

Il est grand temps que les Etats et la communauté internationale adoptent et mettent en œuvre de nouvelles stratégies pour ne pas simplement compenser a posteriori, mais aussi prévenir ces abus. Si les Etats ne se montrent pas à la hauteur de leurs responsabilités et ne font pas de ce problème une priorité, « Plus jamais ça » restera une expression vide de sens et il n’y aura rien à célébrer pour la Journée internationale des victimes de disparitions forcées.

 

Gabriella Citroni, conseillère juridique principale

 

En décembre 2014, TRIAL et une coalition de huit associations de la société civile du Mexique, de l’Honduras, du Guatemala et d’El Salvador ont soumis un rapport alternatif au Comité des Nations Unies des disparitions forcées (CED) en vue du prochain examen du rapport officiel du Mexique, qui aura lieu en février 2015 à Genève. Le rapport alternatif fournit des réponses aux questions précédemment formulées par le Comité des disparitions forcées dans sa liste de questions et vise notamment la disparition forcée des migrants au Mexique. Le rapport met en exergue l’existence de plusieurs pièges dans la législation existante, qui ne respecte pas les obligations établies par la Convention internationale pour la protection de toutes les Personnes contre les disparitions forcées.

TRIAL, a présenté, avec huit associations mexicaines et d’Amérique centrale, un rapport au Comité des Nations Unies sur les disparitions forcées.

Ce rapport (en anglais et espagnol) rappelle au Mexique ses obligations légales découlant de la Convention internationale sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Bien que l’État ait ratifié ce traité depuis 2008, plusieurs mesures reste à adopter pour mettre la Convention en œuvre. Des disparitions forcées continuent entre temps d’être perpétrées.

Alors que beaucoup reste à faire, le rapport met en évidence certaines des faiblesses de l’appareil juridique mexicain:

  • pas de législation pénale adéquate pour prévenir et réprimer les disparitions forcées
  • aucune base de données des personnes disparues qui pourrait faciliter les enquêtes et l’accès à la justice pour les familles
  • les familles de migrants disparus se heurtent à des obstacles considérables et se voient refuser le statut de victime
  • pas de coopération juridique efficace ni d’assistance mutuelle entre le Mexique et les pays voisins

TRIAL enjoint le Comité à demander au Mexique d’adopter des mesures efficaces pour lutter sans plus tarder contre ce fléau.

En mai 2014, TRIAL et 8 associations du Mexique et de l’Amérique Centrale ont soumis un rapport alternatif au Comité des Nations Unies contre les disparitions forcées (CED). Le rapport concerne la mise en œuvre par le Mexique de ses obligations conformément à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Le Mexique est partie à ce traité depuis le 18 mars 2008 et il doit, partant, adopter un certain nombre de mesures pour le mettre entièrement en œuvre. Il reste beaucoup à faire, tandis que des disparitions forcées continuent d’être commises dans le pays

Selon la Commission nationale des droits de l’homme du Mexique, 170 migrants ont été tués dans le pays depuis 2005, y compris le meurtre massif de 72 migrants en août 2013 à San Fernando, Tamaulipas. Il semblerait qu’il y ait un lien entre le meurtre des migrants, le crime organisé et la complicité de la police et d’autres autorités.

Les abris des immigrés ont été l’objet d’attaques multiples par le crime organisé et ils ont reçu des mesures de protection insuffisantes par le gouvernement. Les migrants ont peur de porter leurs affaires devant la police. Il y a ainsi un état d’impunité chronique.

TRIAL et neuf associations locales ont soumis un rapport au Rapporteur Spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires qui vise principalement la question des exécutions arbitraires des migrants.

Les organisations partagent le point de vue précédemment exprimé par le Rapporteur Spécial, à savoir que les migrants sont un groupe particulièrement vulnérable aux exécutions. Ils ont également identifié plusieurs questions de préoccupation qu’ils considèrent devant être soulevées par le Rapporteur Spécial dans son prochain rapport final.