Retrait des États du Sahel de la CPI : un recul pour les victimes et la justice

26.09.2025
L’Initiative mondiale contre l’impunité (GIAI)*, y compris la FIDH, la CCPI, REDRESS, TRIAL et WIGJ, condamne le retrait annoncé du Burkina Faso, du Mali et du Niger du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI). Cette décision constitue un recul majeur qui affaiblit des décennies de leadership africain dans la lutte mondiale contre l’impunité. Elle fragilise non seulement la CPI, mais aussi le projet global de justice internationale, à un moment où l’unité est plus que jamais nécessaire.
©Vue de la Cour pénale internationale à La Haye (Pays-Bas) -OSeveno / Creative Commons BY-SA 4.0

 

Ce retrait ne peut pas être effectif immédiatement

Le 22 septembre, les trois États membres de l’Alliance des États du Sahel (AES) – Burkina Faso, Mali et Niger – ont annoncé leur retrait de la CPI « avec effet immédiat ». Cependant, en vertu de l’article 127 du Statut de Rome, un État doit adresser une notification écrite au Secrétaire général des Nations unies pour se retirer du Statut de Rome, et le retrait ne prend effet qu’un an après cette notification. D’ici là, les États du Sahel restent pleinement liés par les obligations qui leur incombent en vertu du Statut de Rome, y compris l’obligation de coopérer avec la Cour. Le retrait n’a pas d’incidence sur les procédures déjà engagées concernant les crimes commis avant la prise d’effet de leur retrait.Actuellement, des affaires liées à la situation au Mali, renvoyée à la Cour par le gouvernement malien en juillet 2012, sont en cours devant la CPI. Le processus de réparations dans l’affaire Al Mahdi est dans sa phase finale. Al Mahdi a été condamné le 27 septembre 2016 pour avoir dirigé intentionnellement des attaques contre des bâtiments religieux et historiques à Tombouctou. Par ailleurs, la Cour devrait rendre dans les prochains mois sa décision sur les réparations dans l’affaire Al Hassan, suite à sa condamnation du 26 juin 2024 pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité également commis à Tombouctou. Un mandat d’arrêt reste également en vigueur contre Iyad Ag Ghaly, chef présumé d’Ansar Dine (un mouvement djihadiste actif au Mali).

 

Du leadership au retrait : les victimes laissées pour compte

Les États africains ont joué un rôle essentiel dans la création de la Cour en 1998, ratifiant massivement le Statut de Rome et renvoyant même certaines situations nationales à la juridiction de la Cour. Cet engagement a offert aux victimes des crimes les plus graves un allié international vital lorsque la justice n’était pas possible au niveau national. Le retrait annoncé vient à l’encontre de ce passé de leadership, laissant les victimes avec des moyens réduits pour obtenir justice.

Cette décision fait suite au départ des trois États en janvier 2025 de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) – une autre institution qu’ils avaient contribué à façonner et qui a établi un solide bilan en matière de droits humains à travers sa Cour de Justice. Ces retraits constituent une régression en matière de lutte contre l’impunité, laissent les victimes sans recours, affaiblissent les protections des droits humains et accentuent l’isolement à un moment où la coopération régionale et internationale est essentielle, notamment dans ces pays en prise avec des atrocités liées au terrorisme.

« La décision de se retirer de la CPI fragilise la situation des victimes, pour lesquelles la Cour représente souvent le dernier espoir d’obtenir justice. Après leur retrait de la CEDEAO, la perte de la protection de la CPI laisse les victimes au Burkina Faso, au Mali et au Niger sans recours pour les violations des droits humains les plus graves qu’elles continuent de subir », a déclaré Drissa Traoré, Secrétaire Général de la FIDH. « Dans ces pays qui subissent une crise multidimensionnelle, les juridictions nationales ne sont toujours pas en mesure de fournir justice et réparations aux victimes, en raison d’un manque de volonté politique et d’une incapacité à enquêter sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. »

 

Un coup porté à une justice internationale vulnérable

Le retrait annoncé du Burkina Faso, du Mali et du Niger intervient alors que la justice internationale subit des pressions croissantes. Plus tôt cette année, la Hongrie a également annoncé son intention de quitter le Statut de Rome, une décision largement critiquée comme sapant la lutte contre l’impunité au niveau mondial.

Si par le passé, la CPI a été critiquée pour la sélectivité des affaires ouvertes et son attention portée à l’Afrique jugée excessive, la Cour a progressivement travaillé à renforcer l’universalité de son mandat, élargissant son champ d’action bien au-delà du continent africain, avec des enquêtes et affaires en cours en Afghanistan, Bangladesh/Myanmar, Palestine, Ukraine, Venezuela, Libye et aux Philippines. Les récentes arrestations de suspects libyens et de l’ancien président Rodrigo Duterte montrent qu’aucune région ni aucun haut responsable n’est à l’abri de la justice. Cette universalité renforce la légitimité de la Cour, mais la rend aussi plus vulnérable aux attaques politiques.

« Les États parties doivent faire preuve de résilience et réaffirmer leur engagement envers la Cour, la lutte contre l’impunité et les droits des victimes dans le monde entier », a souligné Alix Vuillemain, Directrice Exécutive de Women’s Initiatives for Gender Justice (WIGJ). « À un moment où la Cour fait face à des attaques croissantes, les États doivent avancer vers l’universalité, non se replier. Se détourner maintenant ne fait que renforcer l’impunité. »

 

Le rôle des États pour sauver les normes internationales

Le rôle de la CPI dans le cadre de la justice internationale est significatif. Elle ne remplace pas mais complète les mécanismes existants tels que les processus de recherche de la vérité et les initiatives de justice transitionnelle, essentiels à une paix durable. Le Statut de Rome consacre des principes clés qui fondent la justice internationale : pas d’immunité pour les chefs d’État, complémentarité avec les juridictions nationales et droits des victimes à participer aux processus judiciaires et à demander réparation. Le retrait du Statut risque d’affaiblir ces protections au niveau national et de compromettre des décennies de progrès dans l’élaboration de normes mondiales contre l’impunité.

La GIAI exhorte tous les États parties à la CPI à réaffirmer leur engagement envers le Statut de Rome. A l’heure où les victimes en Afrique et dans le monde font face à une escalade de violence, il est essentiel de préserver la CPI comme juridiction de dernier recours.

 

*L’Initiative mondiale contre l’impunité (GIAI) est un consortium constitué de huit ONG internationales et de la Coalition pour la CPI, cofinancée par l’Union européenne. Elle a pour vocation de contribuer à la lutte contre l’impunité en soutenant une approche holistique, intégrée et inclusive de la justice et de l’établissement des responsabilités pour les auteur·es des graves violations des droits humains et de crimes internationaux. Cette déclaration ne reflète pas nécessairement la position de chacune de ses organisations membres.