Pillage de bois de rose entre le Sénégal et la Gambie : la dénonciation pénale de TRIAL International mène à l’ ouverture d’une enquête pénale en Suisse

En juin 2019, TRIAL International avait saisi le Ministère Public de la Confédération (MPC) d’une dénonciation pénale à l’encontre de Nicolae Bogdan Buzaianu, un homme d’affaires suisse, alors proche de l’ancien président gambien Yahya Jammeh. L’organisation le soupçonnait de pillage, un crime de guerre selon le droit suisse.

Bois de rose

Selon l’épais dossier adressé au MPC, l’entreprise Westwood, vraisemblablement détenue par cet homme d’affaires suisse et l’ancien président Yahya Jammeh était impliquée dans l’exploitation illégale et l’exportation du précieux bois de rose en Casamance de 2014 à 2017, étant précisé qu’il s’agit d’une espèce protégée. Durant plusieurs décennies, de larges portions de cette région étaient en proie à un conflit et sous le contrôle de groupes armés séparatistes, notamment le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC). Or, l’exploitation illégale de ressources naturelles dans des zones en conflit peut être considérée comme un acte de pillage, ce qui constitue un crime de guerre selon le droit international et le droit suisse.

Selon les informations en possession de TRIAL International, le MPC a formellement ouvert une enquête pénale concernant l’exploitation et l’exportation illégale de bois de rose alléguées entre le Sénégal et la Casamance. L’ouverture de cette procédure fait suite à la dénonciation pénale susmentionnée, déposée auprès du MPC par TRIAL international en juin 2019. Il convient cependant de préciser que TRIAL International ne détient à ce jour aucune information officielle concernant la/les infractions, ainsi que la/les personne(s) – physiques ou morales – visées par cette enquête.

Cette instruction pénale est la troisième ouverte par le MPC à la suite à des investigations menées et des dossiers déposés par TRIAL International contre des acteurs économiques suspectés de pillage. Les deux autres affaires pénales concernent le commerce illégal de minéraux dans l’est de la République démocratique du Congo d’une part, et le pillage de gasoil libyen de l’autre. Pour TRIAL International, ces affaires ont n’ont pas seulement le potentiel de mener à des décisions de justice qui clarifieraient les obligations au regard du droit international humanitaire des acteurs économiques œuvrant dans des zones de conflit ou des territoires occupés. Elles permettraient également de mettre fin à l’impunité quasi généralisée des acteurs économiques qui saccagent l’environnement et participent illicitement à l’exploitation de ressources naturelles, en alimentant ainsi les causes des conflits.

Pour voir ou revoir le reportage « Trafic de bois, les criminels de l’environnement » diffusé dans Temps présent, le 16 juin sur la RTS :

Entre 2014 et 2017, la Gambie a exporté pour près de 163 millions de dollars de bois de rose, une essence rare et précieuse, à destination de la Chine. Pendant cette période, Westwood, une société gambienne vraisemblablement détenue par le ressortissant suisse Nicolae Bogdan Buzaianu et l’ancien Président gambien Jammeh, avait la licence exclusive pour exporter du bois de rose. Le bois qu’elle exportait était abattu illégalement en Casamance voisine où un groupe armé séparatiste combat l’armée sénégalaise depuis des décennies. TRIAL International a déposé une dénonciation pénale auprès du Ministère public de la Confédération contre M. Buzaianu, l’accusant d’avoir pillé du bois de conflit.

Le bois précieux abattu en Casamance était transporté à travers la frontière, puis entreposé dans des dépôts à ciel ouvert avant d’être vendu à des négociants en Gambie. ©TRIAL International

Selon la dénonciation pénale déposée par TRIAL International, l’entreprise de l’homme d’affaire suisse Nicolae Bogdan Buzaianu aurait été impliquée dans le commerce illégal de bois précieux entre 2014 et 2017. Durant cette période, la société Westwood Company Ltd – que M. Buzaianu aurait cofondée avec l’ancien Président gambien Yahya Jammeh – possédait le monopole des exportations de bois de rose, un bois tropical précieux. Or les réserves gambiennes de cette essence étant presque épuisées, l’essentiel de ce bois était en réalité importé depuis la Casamance, une région du Sénégal à la frontière sud de la Gambie. Depuis plusieurs décennies, de grandes portions de cette région sont aux mains d’un groupe armé, le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC).

«Exploiter des ressources naturelles issues d’une zone de conflit porte un nom : il s’agit de pillage. Et aux yeux du droit international humanitaire, le pillage constitue un crime de guerre», a déclaré Montse Ferrer, Conseillère juridique senior et Coordinatrice responsabilité des entreprises de TRIAL International. «Malgré les nombreux cas de pillage, avérés et documentés, pas une seule condamnation n’a été prononcée depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale.»

TRIAL International a déposé une dénonciation pénale pour pillage contre M. Buzaianu en juin 2019. « Nous avons attendu jusqu’à ce jour pour la rendre publique, car nous voulions donner à l’autorité de poursuite pénale le temps nécessaire pour examiner les preuves soumises et prendre, le cas échéant, des mesures décisives à l’encontre de M. Buzaianu. Nous espérons que de telles mesures ont été prises et que le Ministère public de la Confédération enquête sur cette affaire », a ajouté Montse Ferrer.

LA DÉFORESTATION AU PROFIT D’UN GROUPE ARMÉ

L’importance du trafic de bois est telle que certaines estimations indiqueraient une perte pour le Sénégal équivalente à 40 000 hectares de forêt par an, dont plusieurs dizaines d’hectares perdus en raison de l’exploitation illégale de bois de rose qui sévit en Casamance. Cette déforestation sélective a entraîné une baisse des précipitations et accentué la désertification de la région. Elle est par ailleurs à l’origine de conflits entre les rebelles et les communautés locales qui ne peuvent plus utiliser les forêts pour s’assurer des moyens d’existence durables.

L’exploitation illégale de bois précieux est d’autant plus regrettable qu’elle saborde les efforts de reforestation entrepris dans la région. Selon l’Institut international pour l’environnement et le développement (IIED), «dans le village de Koudioube, la restauration de la forêt communautaire a aidé à surmonter les conflits». L’exploitation forestière illégale a cessé, les fruits et la faune sauvage sont abondants, les populations locales sont à nouveau en mesure de vendre des produits forestiers. Les communautés qui auparavant se battaient entre elles travaillent maintenant ensemble.

Une grande partie du trafic et de la coupe se déroulait ainsi directement sur les territoires occupés par le MFDC depuis près de trente ans. «L’activité illicite de Westwood est d’autant plus grave qu’elle a contribué à un commerce illégal de bois qui a historiquement financé le MFDC. Ce qui est dramatique, c’est que ce commerce a des conséquences néfastes sur la vie des populations locales et contribue directement à la déforestation de la région», a déclaré Jennifer Triscone, Conseillère juridique pour TRIAL International. Le groupe exerce un contrôle de fait sur la filière du bois précieux, et ce en délivrant des autorisations pour la coupe ainsi que des permis de transport, ou en assurant la sécurité de ce dernier. Les rebelles exploitent et vendent illégalement le bois issu de feuillus précieux pour acheter des armes: un commerce illégal alimenté par la demande du marché mondial des bois feuillus tropicaux..

 

  Lire le dossier de presse

TRIAL International et l’Open Society Justice Initiative (OSJI) saluent l’ouverture d’une enquête pénale par le Ministère public de la Confédération sur les agissements de Christoph Huber, un ressortissant suisse actif dans le secteur minier. M. Huber est suspecté de pillage de ressources naturelles en République démocratique du Congo (RDC), un crime de guerre aux yeux de la loi suisse. En novembre 2016, les deux organisations avaient déposé une dénonciation pénale, étayée par les nombreuses preuves récoltées au cours de leur enquête débutée en 2013.

L’exploitation illégale de ressources naturelles d’une zone de conflit pourrait valoir à M. Huber d’être accusé de pillage, un crime de guerre selon le droit international humanitaire. ©GuyOliver/IRIN

Le Ministère public de la Confédération (MPC) a confirmé avoir ouvert une procédure pénale contre l’homme d’affaires suisse Christoph Huber. Le MPC enquête depuis mars 2018 sur les accusations – formulées par TRIAL International et OSJI – de commerce illicite de minerais en RDC au cours de la deuxième guerre du Congo entre 1998 et 2003.

« Nous avons mis la main sur des documents commerciaux, ainsi que des documents internes du RCD-Goma, démontrant les liens d’affaires entretenus par Christoph Huber et ce groupe armé», a déclaré Bénédict De Moerloose, responsable du programme Procédures et enquêtes internationales de TRIAL International. «A l’heure où le public exige un engagement accru du secteur privé en faveur du respect des droits humains, l’ouverture d’une enquête sur les agissements d’un homme d’affaires occidental impliqué dans un commerce illégal en zone de conflit envoie un message fort à tout le secteur minier. »

Selon Ken Hurwitz, responsable du Programme Anticorruption de OSJI, « de nombreux conflits sont encore alimentés par la vente illégale de ressources pillées. Mais les entreprises et les hommes d’affaires impliqués ne sont que trop rarement poursuivis. Nous saluons l’ouverture d’une procédure par les autorités suisses dans cette affaire aussi complexe qu’importante. »

Les explications de Bénédict De Moerloose dans l’émission Forum de la Radio Télévision Suisse, le 12 décembre 2019

Des liens avec un groupe armé

Les deux organisations ont notamment découvert des éléments de preuve montrant que M. Huber commerçait directement avec le RCD-Goma, un groupe armé accusé de crimes de guerre qui contrôlait de larges territoires dans l’Est du Congo pendant le conflit. En 2001, l’entreprise représentée par M. Huber a en effet obtenu quatre concessions minières de la part du RCD-Goma, qui occupait militairement la zone dans laquelle se trouvent les mines. L’octroi de ces concessions était assorti de garanties de protection, assurées par les soldats du groupe armé. Avant l’obtention de ces concessions, M. Huber aurait déjà été impliqué dans le commerce de minerais dans la région au moins depuis 1997 pour le compte d’autres entreprises, y compris suisses.

S’il venait à être établi que M. Huber s’est livré à l’exploitation illégale et à l’appropriation de ressources naturelles d’une zone de conflit, il pourrait être tenu pénalement responsable de pillage, un crime de guerre selon le droit international humanitaire, et punissable selon le code pénal suisse d’une peine de prison de trois ans au moins.

Les deux organisations invitent maintenant le MPC à conclure rapidement son enquête.

Un éventuel procès dans cette affaire constituerait un précédent historique. En effet, ce serait la première fois en Suisse qu’un acteur économique ferait face à un juge pour des faits reprochés de crime de guerre de pillage. Pourtant, cette pratique a atteint des proportions alarmantes au cours des dernières décennies.