Disparition forcée de Sejad Hero et Razmi Kožljak en Juillet 1992

12.02.2016 ( Modifié le : 27.02.2017 )

Dans le courant du mois d’avril 2010, TRIAL a déposé devant leComité des Droits de l’Homme des Nations Unies une communication individuelle contre la Bosnie-Herzégovine (BIH), à propos de la disparition forcée, de l’exécution arbitraire présumée et de la dissimulation des corps de Sejad Hero et de Ramiz Kozljak intervenues en juillet 1992.

Le 4 juillet 1992, les membres de l’Armée Nationale Yougoslave (Jugoslovenska Narodna Armija – JNA) ont encerclé le village de Tihovici et ont arbitrairement arrêté près de 13 civils, dont Sejad Hero. D’après des témoins, les hommes ont été conduits dans une prairie où ils ont été torturés et mutilés. Puis, les membres du JNA les auraient ensuite arbitrairement exécutés, puis auraient mis le feu aux cadavres et auraient finalement emmené les dépouilles jusqu’à un courant d’eau près de Tihovici. Le sort de Sejad Hero est demeure inconnu depuis son arrestation par les membres de la JNA. Sa dépouille mortelle n’a pas non plus été localisée, ni même identifiée ou rendue à la famille pour le deuil et l’enterrement. Après avoir appris pour le massacre des 13 hommes, Ramiz Kozlak a décidé, pour sa survie, de s’échapper vers le village voisin de Vrapce, encore sous le contrôle de l’armée de Bosnie-Herzégovine (BiH). Les environs du village de Vrapce étaient eux, sous le contrôle de la JNA. Ramiz Kozlak aurait également été enlevé et arbitrairement exécuté par les membres de la JNA. Sa dépouille mortelle n’a pas non plus pu être localisée, exhumée, identifiée et rendue à sa famille. Son sort et sa localisation demeurent inconnus depuis ce jour.

Plus de 18 ans après les événements, aucune enquête officielle, prompte, impartiale, minutieuse et indépendante n’a été effectuée par les autorités de BiH pour retrouver Sejad Hero et Ramiz Kozljak, ou les corps de ces derniers, et personne n’a encore été poursuivi, jugé ou sanctionné pour les crimes mentionnés. Tija Hero, Ermina Hero, Armin Hero, Emina Kozljak et Sinan Kozljak ont accompli de nombreuses démarches pour obtenir des informations sur la disparition de leurs proches, auprès de la police de Visoko Ilijza et de Vogosca, auprès de la Commission nationale pour les personnes disparues, auprès du bureau cantonal du Procureur de Sarajevo et auprès de la société de la Croix–Rouge de BiH. Jusqu’à ce jour, toutes ces initiatives sont restées vaines. Par ailleurs, Tija Hero, Ermina Hero, Armin Hero, Emina Kozljak et Sinan Kozljak sont des membres actifs de l’association pour les familles des personnes disparues de Vogosca.

Le 23 février 2006, la Cour Constitutionnelle de BiH, saisie par plusieurs familles de victimes de disparition forcée dans la région de Vogosca, dont Tija Hero et Emina Kozljak, a retenu que la BiH avait violé le droit à ne pas être soumis à des tortures ou à des traitements inhumains et dégradants, ainsi que le droit au respect de la vie privée et familiale des parents des personnes disparues. Par conséquent, la Cour a ordonné aux autorités de divulguer toutes les informations disponibles sur ce qu’il est advenu des personnes disparues, y compris de Sejad Hero et de Ramiz Kozljak. Le 16 novembre 2006, la Cour Constitutionnelle a rendu une autre décision, par laquelle elle a déclaré que le Conseil des ministres de BiH, le gouvernement du Republika Srpska, le gouvernement de la Fédération de BiH et le gouvernement du district de Brcko ont manqué à l’exécution de sa décision précédente. Néanmoins, Tija Hero, Ermina Hero, Armin Hero, Emina Kozljak et Sinan Kozjak n’ont toujours pas reçu d’informations sur leurs proches par les institutions mentionnées.

Par conséquent, Tija Hero, Ermina Hero, Armin Hero, Emina Kozljak et Sinan Kozjak demandent au Comité des Droits de l’Homme :

  • de constater que Sejad Hero et Ramiz Kozljak ont subi une violation par la BiH des articles 2.3 (garantissant le droit à un recours utile) en conjonction avec les articles 6 (droit à la vie), 7 (interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants), 9 (droit à la liberté et à la sécurité), et 16 (droit à la reconnaissance de la personnalité juridique) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques , en raison de l’échec des autorités de BiH de mener une enquête officielle, prompte, impartiale, minutieuse et indépendante concernant leur disparition, les mauvais traitements présumés et leur exécution arbitraire et d’identifier, poursuivre, juger et punir les personnes qui en sont responsables ;
  • de constater la violation par la BiH de l’article 2.3 (droit à un recours utile) en conjonction avec l’article 7 (interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques , en raison de l’angoisse et des troubles psychiques causés par la disparition forcée, l’exécution arbitraire présumée et la dissimulation des dépouilles de Sejad Hero and Ramiz Kozljak et de l’absence d’information donnée quant aux causes et circonstances de la disparition de leurs proches, ainsi que sur les progrès et les résultats des enquêtes effectuées par les autorités de BiH; dans le cas de Ermina Hero et Armin Hero,  mineur jusqu’au 21 juin 2004 et le 28 décembre 2008 respectivement, ces faits emportent également violation de l’article 24.1 du Pacte ;
  • d’exiger que les autorités de BiH entreprennent enfin – et rapidement – une enquête indépendante pour retrouver les corps de Sejad Hero et Ramiz Kozljak, et le cas échéant d’exhumer leurs restes, de les identifier et de les restituer à leur famille;
  • d’exiger de la BiH qu’elle poursuive pénalement les auteurs des privations arbitraires de liberté, des disparitions forcées et des exécutions arbitraires présumées de Sejad Hero et Ramiz Kozljak, devant les autorités compétentes pour qu’elle les juge et les sanctionne dans les plus brefs délais et
  • d’exiger de la BiH qu’elle assure à Tija Hero, Ermina Hero, Armin Hero, Emina Kozljak et Sinan Kozljak une réparation pour le tort qu’ils ont subi, notamment une compensation rapide, adéquate et équitable.

 

La procédure est actuellement en cours devant le Comité des droits de l’homme des Nations Unies.

Contexte général

Selon les sources, entre 100’000 et 200’000 personnes ont trouvé la mort entre 1992 et 1995 durant le conflit en BiH et entre 25’000 et 30’000 personnes ont été victimes de disparition forcée. Environ 10 000 n’ont à ce jour pas encore été retrouvées.

Les cas de M. Sejad Hero et M. Ramiz Kozljak se sont déroulés durant la première vague de disparitions forcées et de purification ethnique menée par les forces serbes durant le printemps et l’été 1992.

Malgré l’existence de preuves solides permettant d’identifier les personnes responsables de la disparition forcée, l’exécution arbitraire présumée et la dissimulation des dépouilles de M. Sejad Hero et M. Ramiz Kozljak, jusqu’à aujourd’hui, personne n’a été poursuivi, condamné ou sanctionné pour les crimes mentionnés, renforçant un climat d’impunité déjà tenace. A ce jour, les familles des personnes disparues et arbitrairement exécutées à Tihovici n’ont reçu aucune information quant au sort qui a été réservé à leurs proches et n’ont pas eu la possibilité de pleurer et enterrer leurs proches conformément à leurs coutumes et croyances religieuses.

 

Les décisions

Le Comité des droits de l’homme a décidé de séparer les affaires. Le 28 octobre 2014 a adopté deux décisions (en anglais) respectivement sur le cas de M. Sejad Heroet M. Ramiz Kožljak. Le Comité a déclaré la Bosnie-Herzégovine responsable pour la violation des plusieurs dispositions du Pacte international relatif aux droits civiles et politiques, entre lesquelles le droit à la vie, le droit à la liberté et l’interdiction de torture. Notamment, le Comité a affirmé que l’État est responsable de n’avoir pas menée une enquête effective sur la privation de liberté, torture, et disparition forcée de M. Sejad Hero et M. Ramiz Kožljak, et d’avoir soumis les auteurs de la communication à un traitement inhumaine et dégradant car il n’a pas établi la vérité sur la sort réservé à leur proches et le lieu où ils se trouvent. En plus, le fait que les auteurs des plaintes soient forcés de déclarer la mort de leurs proches disparus afin de recevoir des indemnisations constitue un traitement inhumain et dégradant.

Le Comité demande à la Bosnie-Herzégovine de:

– Etablir la sort de M. Sejad Hero et M. Ramiz Kožljak;

– Veiller à ce que les enquêteurs établissent des contacts avec les auteurs et recueillent toutes les informations qu’ils peuvent fournir sur l’affaire ; et traduire en justice sans plus de délai les responsables de ces disparitions forcées;

– Garantir une indemnisation adéquate aux auteurs des communications ;

– Modifier la législation afin qu’il ne soit plus nécessaire de déclarer le décès de la victime afin d’obtenir réparation.

La Bosnie-Herzégovine dispose maintenant de 180 jours pour informer le Comité des mesures prises pour donner effet aux décisions.

 

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