Procès Lumbala à Paris – Semaine 5

15.12.2025

(8-12 décembre)

Phase finale du procès : derniers témoignages et plaidoiries

Roger Lumbala et sa défense ne se sont pas présentés au tribunal durant toute la quatrième semaine du procès.

Court Sketch - Lumbala Trial

Jour 19 – Lundi 8 décembre

L’expert psychiatre, le docteur Daniel Zagury, qui avait examiné Roger Lumbala en 2021, a décrit l’accusé comme un homme calme et cohérent, sans pathologie ni altération du discernement. Le discours de Roger Lumbala est décrit comme cohérent et ferme, marqué par l’assurance et une absence manifeste de culpabilité. Il nie toute implication personnelle dans les violences reprochées, qu’il replace dans un contexte de conflit armé et d’engagement politique, qu’il présente comme étant destiné aux intérêts de la population.

Deux témoins de Bafwasende sont ensuite entendus. Ils ont relaté la prise de contrôle de la zone par le RCD-N, accompagnée de pillages, d’extorsions de biens, de taxes imposées, de travaux forcés et d’exécutions sommaires. Ils ont également décrit l’arrestation du chef local, partie civile dans la procédure, et son transfert par hélicoptère vers Isiro, ainsi que des violences à l’encontre de civils, incluant des homicides, des viols et des détentions arbitraires. L’un des témoins a notamment rapporté l’assassinat de membres de sa famille et des attaques liées à l’exploitation de ressources diamantifères. Le second témoin a globalement confirmé ces faits et précisé la composition des forces déployées.

La dernière audition s’est tenue à huis clos à la demande du témoin, entendu en qualité de témoin de la défense. Ancien cadre du RCD-N, il a fourni une description détaillée de son organisation interne, de la répartition des responsabilités politiques et militaires, ainsi que du fonctionnement administratif dans les zones minières.

 

Jour 20 – Mardi 9 décembre

Un témoin originaire d’Epulu a décrit l’arrivée des « Effacers » en 2002, caractérisée par le pillage systématique, l’extorsion de vivres et plusieurs exécutions sommaires. Il a également relaté des violences sexuelles commises contre des femmes du village, ainsi que le transfert de biens vers Bafwasende. Il a indiqué que, quelques jours après l’occupation, il a vu Lumbala tenir un discours public, annoncer l’arrivée de renforts et distribuer des vivres à la population. Le témoin a décrit les extorsions subies par sa propre famille, l’usage d’uniformes APC par certains combattants « Effacers » et a cité des responsables militaires identifiés sur place.

Trois parties civiles ont ensuite été entendues. La première a décrit la prise d’Epulu en 2002, le pillage complet de son domicile, la perte de son bétail et la mort de son frère, abattu après être revenu au village.

La seconde, qui était adolescente à l’époque, a rapporté avoir été capturée à Mandima puis violée en public sous les yeux de sa famille, tandis que son domicile était simultanément mis à sac.

La troisième, chef de localité, a relaté son arrestation, sa détention avec d’autres civils et des tortures à la braise. Il a mentionné le pillage de l’hôpital et de son foyer, le viol de femmes détenues, ainsi qu’une nouvelle offensive en décembre 2002, au cours de laquelle les assaillants auraient revendiqué un effectif de 750 hommes et bénéficié de livraisons de ravitaillement par hélicoptère.

En fin d’audience, un journaliste congolais, entendu comme témoin de la défense, a apporté un éclairage sur le contexte politico-militaire. Il a décrit l’émergence du RCD-N à partir de combattants issus du MLC et du RCD-K/ML, progressivement intégrés autour de Bafwasende puis d’Isiro. Plusieurs articles publiés entre 2001 et 2003 dans le journal Le Millénaire, dont il était directeur, ont été lus à l’audience. Ils retracent l’implantation du RCD-N, l’administration exercée dans ces localités et la mise en place d’un système de taxation minière, tout en relayant certaines critiques locales visant la gestion politique de Lumbala. Deux articles du même journaliste publiés en 2022 mettent en doute la procédure engagée en France.

Des relevés téléphoniques versés au dossier ont fait apparaître une concordance de dates entre ces publications et des échanges entre Lumbala et un membre de sa famille.

Enfin, la Cour a pris connaissance de plusieurs publications du témoin sur les réseaux sociaux, rédigées lors de l’arrestation de Lumbala en France, dans lesquelles il le décrit comme un « seigneur de guerre », évoquant des pillages, l’exploitation des ressources naturelles et l’implication de ses troupes dans l’opération « Effacer le tableau », ainsi que les exactions qui l’auraient accompagnée.

 

Day 21 – Mercredi 10 décembre

Le témoin de la défense, Robert Ombilingo, a été entendu par visioconférence depuis Kinshasa. Il a expliqué avoir rencontré Lumbala à Bafwasende en juin 2000, à l’occasion de son arrivée par hélicoptère, peu avant la proclamation du RCD-N.

Il a décrit la manière dont Lumbala a pris le contrôle du territoire avec le soutien de soldats ougandais et de troupes du RCD-K/ML restées sur place, ainsi que la façon dont il a lui-même été recruté au sein de l’administration du mouvement.

Le témoin a indiqué qu’après la dissolution du FLC, le RCD-K/ML avait repris le contrôle de Bafwasende. Il a relaté avoir été arrêté puis détenu pendant plusieurs mois à Beni, avant que Simon Tshitenge n’organise son évacuation vers Isiro. À son arrivée à Isiro, Lumbala lui aurait confié le poste de secrétaire national aux finances.

S’agissant de la gestion d’Isiro, il a affirmé que la situation y était calme et qu’il n’y avait « presque pas de guerre ». Selon lui, la taxation mise en place ne constituait pas un « effort de guerre », mais servait à financer les déplacements de Lumbala ainsi que le fonctionnement de l’administration civile. Il a soutenu que le ravitaillement militaire provenait de Gbadolite, tout en reconnaissant qu’ils« s’arrangeaient parfois » pour nourrir les soldats sur place.

Il a déclaré n’avoir connaissance d’aucune exaction commise à Isiro, à Bafwasende ou ailleurs sous le contrôle du RCD-N, et a affirmé que Mambasa n’avait jamais été sous l’autorité du mouvement. Il a indiqué ne rien savoir des relations entre Lumbala et les militaires, précisant que seuls Roger Lumbala et Constant Ndima échangeaient sur les questions opérationnelles. Il a également affirmé n’avoir jamais entendu parler d’une opération dénommée « Effacer le tableau », qu’il a présentée comme un simple surnom attribué à Ndima. Il a toutefois confirmé avoir vu des soldats arriver à Isiro avec des organes génitaux mutilés utilisés comme trophées, précisant qu’ils étaient placés sous les ordres du colonel Widy Ramses.

Robert Ombilingo a nié avoir proféré des menaces à l’encontre d’autres témoins. Le tribunal a relevé qu’il semblait noter les noms évoqués au cours de l’audience, et la feuille a alors été retirée.

En fin d’audience, après avoir présenté un bref récapitulatif des différents éléments exposés à la Cour au cours des cinq semaines d’audience, le président a rappelé certaines notions juridiques au cœur des questions posées aux jurés, notamment les éléments constitutifs du crime contre l’humanité, les différentes formes de complicité et ce qui les caractérise.

 

Jour 22 – Jeudi 11 décembre

La journée était consacrée aux plaidoiries des avocats des parties civiles.

Me Thulliez est revenu sur les conditions dans lesquelles les victimes ont été identifiées, protégées et acheminées jusqu’à la Cour, en soulignant les risques encourus. Il a exposé les éléments de preuve qu’il estime convergents, la crédibilité des témoignages entendus, l’existence de troupes relevant du RCD-N ou placées sous son contrôle, ainsi que le déroulement de l’opération « Effacer le tableau ». Il a également abordé les faits de pillage et soutenu leur qualification en crimes contre l’humanité par autre acte inhumain, avant de rappeler les éléments contextuels des crimes contre l’humanité.

Me Bectarte a évoqué le principe de compétence universelle et le rôle central des victimes dans la légitimité de la Cour. Elle est revenue sur le travail d’accompagnement mené par les organisations partenaires, puis sur le caractère systématique des violences sexuelles dénoncées par plusieurs parties civiles et leur utilisation comme arme de guerre. Elle a soutenu la responsabilité de Roger Lumbala en tant que dirigeant ayant permis la commission de ces crimes.

Me Deniau a situé les faits dans le contexte de l’exploitation des ressources naturelles en RDC. Elle a évoqué la reprise de Bafwasende, les systèmes de taxation et de pillage mis en place, et décrit les faits subis par les parties civiles qu’elle représente ainsi que leurs séquelles durables. Elle est revenue sur le rôle exercé par Lumbala au sein du RCD-N et sur son autorité sur les troupes.

Me Brengarth a rappelé l’absence de Lumbala à l’audience et exposé les faits subis par la partie civile qu’il représente, soulignant qu’à la suite de son témoignage, celle-ci s’est vu accorder le statut de réfugié en raison des menaces et représailles subies.

Me Mouldaia a évoqué l’absence d’un témoin clé qu’il représente, revenant sur l’implication de celui-ci dans la procédure et sur les éléments soutenant la crédibilité de son témoignage. Il a également décrit les tortures subies par ce témoin. Me Delapalme a complété en rapportant des exécutions sommaires, des violences lors du recouvrement des taxes et des détentions arbitraires, notamment à l’aéroport d’Isiro Matari.

Me Lindon a abordé le principe de la compétence universelle et la stratégie de défense adoptée par Lumbala. Elle a ensuite décrit l’utilisation des violences sexuelles comme un moyen de briser les communautés.

Enfin, Mes Sarron, Sulzer et Witt ont présenté le travail de documentation mené par les organisations qu’elles représentent. Elles ont décrit la situation du peuple Bambuti, les persécutions qu’il a subies et les crimes commis à son encontre.

La journée s’est conclue par un rappel des faits examinés au cours des audiences, des formes d’esclavage dénoncées et de l’attente de justice exprimée par les parties civiles.

 

Jour 23 – Vendredi 12 décembre

Le ministère public a relevé le caractère contradictoire de la contestation de la compétence des juridictions françaises par Lumbala et de son absence à l’audience, rappelant sa participation active à l’instruction pendant plusieurs années. Il a souligné que son absence au procès ne remet pas en cause l’équité d’une procédure marquée par une instruction approfondie et cinq semaines de débats contradictoires.

Dans ses réquisitions, le ministère public a rappelé que le procès n’avait pas vocation à juger l’ensemble des crimes commis en RDC, mais à établir la responsabilité pénale individuelle de Roger Lumbala. Il a insisté sur le fait que la tenue du procès constitue une avancée significative malgré l’absence de coopération judiciaire de la RDC et les pressions exercées sur les témoins, et a appelé les jurés à répondre méthodiquement aux questions qui leur étaient soumises afin de contribuer à l’établissement d’une vérité judiciaire concernant les crimes commis en 2002–2003.

Le ministère public a replacé les faits dans le contexte de la deuxième guerre du Congo, marquée par la fragmentation des groupes armés et la prédation des ressources naturelles. L’opération « Effacer le tableau » s’inscrivait dans une logique de contrôle territorial et constituait l’aboutissement d’une violence extrême, caractérisée notamment par des viols massifs et des mutilations.

Le parquet a retracé le parcours de Lumbala, présenté comme ayant délibérément choisi la lutte armée comme moyen d’accès au pouvoir. Soutenu d’abord par des acteurs ougandais puis par Jean-Pierre Bemba, il s’est imposé à Bafwasende et à Isiro, où il a administré le territoire par la force. Contrairement à ses déclarations, l’existence de troupes placées sous l’autorité du RCD-N est établie par des témoignages, des rapports d’ONG, des articles de presse et ses propres déclarations antérieures.

Le ministère public a soutenu que Lumbala exerçait une autorité effective sur ces troupes, entretenait des liens directs avec leurs commandants et jouait un rôle central dans la logistique de l’opération « Effacer le tableau », notamment par le biais de la taxation et du pillage, du contrôle des ressources minières et du ravitaillement des combattants.

Les faits ont ensuite été examinés localité par localité (Bafwasende, Isiro, Epulu, Mambasa, Mandima), faisant apparaître un mode opératoire récurrent : pillages, arrestations arbitraires, tortures, viols, travaux forcés, exécutions sommaires et destructions visant notamment les communautés Nande et Bambuti. Ces éléments permettent de caractériser des crimes contre l’humanité commis dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique contre la population civile.

Le ministère public a requis la condamnation de Lumbala pour complicité de crimes contre l’humanité par provocation, aide ou assistance et abstention coupable, ainsi que pour participation à une entente en vue de commettre des crimes contre l’humanité, en lien avec l’alliance stratégique conclue avec Jean-Pierre Bemba et la planification de l’opération « Effacer le tableau ». Des acquittements partiels ont été sollicités pour certains faits insuffisamment étayés concernant deux parties civiles. Compte tenu de la gravité des crimes et de la personnalité de l’accusé, le ministère public a requis la réclusion criminelle à perpétuité, la confiscation des scellés et une interdiction définitive du territoire français.