La fin d’une longue attente : Résumé des débats de la première semaine du procès d’Ousman Sonko

15.01.2024 ( Modifié le : 26.01.2024 )

(8-12 janvier 2024, Tribunal pénal fédéral, Suisse)

Le procès d’Ousman Sonko s’est ouvert le 8 janvier 2024 devant le Tribunal pénal fédéral suisse (TPF). Un panel de trois juges examine la responsabilité de l’ancien ministre de l’Intérieur gambien dans les nombreux crimes contre l’humanité qu’il est accusé d’avoir commis entre 2000 et 2016, sous le régime de l’ancien président Yahya Jammeh.

Pendant les trois semaines du procès, Ousman Sonko sera représenté par une équipe de défense de quatre personnes. Neuf parties plaignantes seront entendues pendant deux semaines. Elles sont représentées par leurs avocat·es et soutenues par TRIAL International, qui a déposé la dénonciation pénale contre Ousman Sonko en 2017.

©TRIAL International / plaintiffs, plaintiffs’ lawyers and TRIAL representatives before the Swiss Federal Criminal Court in Bellinzona.
©TRIAL International / les parties plaignantes, leurs avocates et des représentants de TRIAL International devant le Tribunal pénal fédéral à Bellinzone le premier jour du procès.

8 janvier 2024 – Ouverture du procès

Le premier jour, l’audience a porté sur des questions de procédure et d’organisation. Dans ce cadre, la défense a fait valoir que la Suisse n’était pas compétente pour juger les faits qu’Ousman Sonko est accusé d’avoir commis entre 2000 et 2006 et que ces crimes présumés étaient prescrits. En outre, il a été demandé de retirer de nombreux éléments de preuve du dossier pour des raisons de procédure.

D’autre part, le Procureur Fédéral et les avocat·es des parties plaignantes ont rappelé que la jurisprudence suisse est en faveur de l’accusation.

En Suisse, « (…) un·e auteur·e peut être poursuivi·e et puni·e pour des crimes contre l’humanité commis avant 2011 jusqu’à la fin de sa vie, indépendamment de l’écoulement du temps. » (Plaidoyer du Procureur fédéral du 8 janvier 2024)

En outre, les avocat·es des parties plaignantes ont demandé que les accusations soient examinées comme étant aggravées, compte tenu du nombre élevé de personnes touchées et de la nature particulièrement cruelle des faits à juger.

9 janvier 2024 – Le procès continue

La procédure a repris et la Cour a décidé que le procès examinerait d’abord le fond et, une fois qu’elle aura établi si des crimes contre l’humanité ont été commis, elle examinera les arguments des parties concernant sa compétence et la prescription.

La Cour a ensuite décidé que les éléments de preuve contestés avaient été recueillis conformément à la loi par les autorités de poursuite et que, par conséquent, le dossier resterait en l’état.

En ce qui concerne la traduction de la procédure, la Cour a expliqué que l’interprétation en anglais ne serait pas assurée pour les parties du procès qu’elle considère comme non essentielles pour les parties.

Une fois ces questions clarifiées, la Cour a abordé le fond de l’affaire.

Comme le prévoit la loi, la Cour a rappelé à Ousman Sonko les accusations portées contre lui. Il a ensuite été invité à répondre à des questions sur sa situation personnelle. Selon lui, les sept années de détention préventive ont été la pire période de sa vie, alors que son état de santé s’est détérioré et que la situation financière de sa famille s’est aggravée.

Dans une déclaration ouverte, Ousman Sonko a réaffirmé qu’il n’était pas coupable des crimes dont il est accusé. Il a assuré qu’il a toujours été loyal envers son pays et qu’il l’a servi du mieux qu’il a pu, en essayant d’améliorer les conditions carcérales et de professionnaliser le travail des forces de sécurité et de la police. Il a affirmé n’avoir connaissance d’aucun mauvais traitement dans les quartiers de sécurité des prisons gambiennes.

Ousman Sonko a ensuite formulé des critiques à l’encontre des autorités suisses :

« La Suisse n’est pas dans une position pour donner des leçons à qui que ce soit en matière de droits humains. » (Ousman Sonko, déclaration du 8 janvier 2024)

10 janvier 2024 – Examen des accusations liées aux années 2000

(meurtre d’Almamo Manneh et viols répétés en tant que crimes contre l’humanité)

« Ousman Sonko est accusé d’avoir participé à l’assassinat d’Almamo Manneh, ancien membre des State Guards, en janvier 2000, et d’avoir agressé sexuellement sa veuve entre les années 2000 et 2002 ainsi que de l’avoir torturée, violée et séquestrée en 2005. » (Acte d’accusation déposé contre Ousman Sonko le 17 avril 2023)

Le troisième jour du procès, la veuve d’Almamo Manneh a été entendue par la Cour. Sonko a été placé dans une pièce séparée, afin d’éviter une confrontation directe avec lui lors de son interrogatoire. Elle a expliqué comment Sonko avait abusé d’elle de manière sévère et répétée. Elle a indiqué qu’à partir du milieu des années 1990, les Gambien·es qui s’opposaient au gouvernement vivaient un véritable enfer. Suite à son témoignage devant la TRRC, elle a été contactée par de nombreuses femmes qui avaient également été agressées sexuellement mais qui avaient peur de porter plainte.

Interrogé sur le meurtre d’Almamo Manneh, Sonko a expliqué qu’il était tenu au secret professionnel et qu’il ne pouvait pas faire d’autres commentaires. En ce qui concerne les allégations de viol et de torture, il a affirmé qu’il n’était pas dans le pays au moment des faits, car il était en voyage pour une mission des Nations Unies et n’est revenu qu’une fois en Gambie pour faire une pause. La Cour a informé les parties qu’elle attendait que les Nations Unies confirment cette information.

10-12 janvier 2024 – Suite de l’examen des accusations liées aux années 2000

(actes de torture, privation de liberté et violences sexuelles commis en tant que crimes contre l’humanité)

« Dans le cadre d’une tentative de coup d’état en mars 2006, Ousman Sonko est accusé, en tant que complice d’un groupe d’auteurs, d’avoir torturé diverses personnes, dont des membres de l’armée, des personnalités politiques et des journalistes, de les avoir illégalement privées de leur liberté, ainsi que d’avoir commis un viol à Banjul, en Gambie. » (Acte d’accusation déposé contre Ousman Sonko le 17 avril 2023)

Au cours de trois jours, trois parties plaignantes ont fourni des compte rendus des actes de torture subis dans le cadre d’une enquête menée sur une prétendue tentative de coup d’état en mars 2006.

Ousman Sonko a contesté toutes les accusations portées contre lui en relation avec ces événements. Il sera entendu ultérieurement sur ces événements.

Le premier plaignant à s’adresser à la Cour a rappelé son arrestation le 21 mars 2006, date à laquelle il a été violemment interrogé et soumis à des actes de torture à l’Agence nationale de renseignement (NIA) à plusieurs reprises. Il souffre encore aujourd’hui de graves séquelles physiques et mentales. Le plaignant a également rappelé que les membres d’un panel d’enquête mis en place dans les locaux de la NIA – dont Ousman Sonko – savaient très bien que des personnes étaient torturées dans le cadre de cette enquête.

« À l’époque, le pays était soumis à une dictature extrême. Des personnes étaient arrêtées et emprisonnées sans être déférées devant la justice. D’autres disparaissaient. Les gens vivaient dans une peur constante. » (Déclaration du premier plaignant, concernant le contexte gambien, 10 janvier 2024)

La deuxième plaignante à faire une déclaration a expliqué qu’elle avait été arrêtée le 24 mars 2006 et détenue, puis amenée dans les locaux de la NIA. Elle s’est retrouvée dans une pièce où de nombreuses personnes – parmi lesquelles Ousman Sonko et l’ancien vice-directeur de la NIA – étaient assises. Elle a été interrogée sur la tentative de coup d’état qui était soupçonnée d’avoir eu lieu. Pendant sa présence à la NIA, elle a été violée, humiliée et torturée. À la suite de ces événements horribles, elle a été mise en prison, où elle est restée pendant plusieurs semaines – avec d’autres personnes.

En octobre de la même année, elle a de nouveau été arrêtée à son domicile et emprisonnée. Finalement, elle a été libérée.

« Le système judiciaire gambien était complice du gouvernement, au sein duquel les juges répondaient aux ordres du président. » (Déclaration de la deuxième plaignante, concernant le contexte gambien, 11 janvier 2024)

Le troisième plaignant a confirmé qu’il avait été enlevé du Parlement en mars 2006. Emmené à plusieurs reprises dans les locaux de la NIA, il a été interrogé sur son rôle présumé dans la tentative de coup d’état présumée. Il a été soumis à des actes de torture à plusieurs reprises et a subi des pressions pour signer une déclaration. En conséquence, il a subi d’importantes séquelles physiques et psychologiques des suites des actes de torture qu’il a endurés et reste depuis lors affecté dans sa vie quotidienne.

« J’ai été soumis à des crimes odieux et à des humiliations que je n’aurais jamais cru qu’un être humain puisse faire à un autre ! » (Déclaration du troisième plaignant, concernant le contexte gambien, 11 janvier 2024)

 

>> Ce résumé de la première semaine du procès d’Ousman Sonko reprend les points les plus importants abordés au cours des audiences. TRIAL International s’efforce de résumer le plus fidèlement possible ce qui a été dit. L’organisation ne peut être tenue responsable d’éventuelles erreurs ou omissions. <<

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