Torture et mort de Djilali HANAFI en novembre 1998

12.02.2016 ( Modifié le : 15.09.2016 )

L’affaire

En avril 2008, TRIAL a saisi le Comité contre la torture des Nations unies d’une communication individuelle pour le compte de Sahraoui Hanafi, qui agit au nom de son frère, Djilali Hanafi. Ce dernier a été arrêté et détenu pendant deux jours au siège de la brigade de gendarmerie (Dark Al Watani) de Mechraa Sfa (Algérie). Au cours de sa détention il a subi de graves actes de torture ayant entraîné sa mort. Ce décès est survenu dans le contexte des exactions massives commises par les différents corps de sécurité algériens entre 1992 et 1998.

Djilali Hanafi a été arrêté le 1er novembre 1998 – vraisemblablement sur son lieu de travail –, ce dont la famille n’a eu connaissance que le lendemain, grâce à un codétenu libéré. S’étant rendu au poste de la brigade de la gendarmerie indiqué, le père de la victime s’est vu refuser toute information sur l’état et les raisons de la détention de son fils. En revanche, le 3 novembre 1998 dans la soirée, lorsqu’il y est retourné accompagné d’un de ses fils, les agents lui ont aussitôt remis Djilali Hanafi. Celui-ci avait à l’évidence été soumis à des sévices extrêmement sévères. Transporté au domicile familial, il a succombé à ses blessures pendant la nuit.

Pendant son agonie, la victime a affirmé avoir été atrocement battue. Certains de ses codétenus ont confirmé que les gendarmes de Mechraa Sfa leur ont imposé des abus physiques de manière systématique, que Djilali Hanafi en particulier avait été interrogé sous la torture et qu’après ces sévices, il montrait des signes incontestables de détresse physique. Malgré cela, il n’a jamais reçu d’assistance médicale.

Le matin suivant la mort de Djilali Hanafi, le 4 novembre 1998, des gendarmes sont allés demander à ses proches leur livret de famille afin que le chef de brigade y inscrive son décès. Le même jour, lorsque la famille s’apprêtait à enterrer Djilali Hanafi, l’ordre a été donné d’amener le corps à l’hôpital pour pratiquer une autopsie, qui aurait été ordonnée par le procureur de Tiaret, au vu d’un certificat de décès signalant sa «mort suspecte». Les démarches se sont ensuite arrêtées brusquement et sans explication, et la famille n’a jamais eu accès au rapport d’autopsie.

Les membres de la famille se sont adressés à toutes les institutions compétentes pour que justice soit faite, et notamment aux procureurs civils et militaires territorialement compétents. Ces démarches n’ont jamais abouti. Même leur demande d’aide sociale pour cause de décès d’un proche pendant la période de la «tragédie nationale» a échoué, au motif que Djilali Hanafi serait, d’après les autorités, décédé de «mort normale».

La seule enquête qui ait jamais été officiellement menée à bien, fut conduite 8 ans après les faits, par les gendarmes de la même brigade responsables de la mort de la victime. La famille n’a cependant pas pu obtenir le dossier. A ce jour, aucune des personnes impliquées dans les tortures, pourtant facilement identifiables, n’a été inquiétée.

De surcroît, les proches du disparu se trouvent confrontés, depuis la promulgation, en février 2006, de l’Ordonnance n°6/01 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, à l’interdiction légale de recourir à toute instance judiciaire, au risque d’encourir une peine de prison. Par ailleurs, toute juridiction algérienne est légalement tenue de se dessaisir d’un tel cas.

L’auteur de la communication demande au Comité contre la torture de reconnaître que Djilali Hanafi a été victime de torture, et que l’Algérie a enfreint les articles 1, 2 § 1, 11, 12, 13 et 14 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

 

Le contexte général

Les faits relatifs au présent cas s’inscrivent dans le contexte des violences qui ont fait rage en Algérie au cours des années 1990. Sous couvert de lutte contre le terrorisme, le gouvernement s’est adonné à des exactions gravissimes en masse. Les exécutions sommaires, disparitions forcées, détentions arbitraires, tortures et autres violations commises par les services de sécurité de l’Etat entre 1992 et 1998 (la période de la «tragédie nationale», selon la formule consacrée par le gouvernement) se comptent par dizaines de milliers.

Pourtant, l’Etat n’a jamais admis (encore moins réparé) les conséquences de telles violations. L’Etat n’a jamais entrepris de faire justice pour ces crimes. Au contraire, il a mené une politique d’impunité, institutionnalisée depuis la promulgation de l’Ordonnance portant application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationales en février 2006.

 

La décision

Dans sa décision du mois de juin 2011, le Comité contre la torture reconnaît l’Algérie coupable des tortures infligées à M. Hanafi, ayant entrainé son décès. Le Comité constate notamment «qu’aucune enquête pénale impartiale et approfondie n’a été diligentée pour faire la lumière sur la mort du mari de la requérante et ceci encore 12 ans après les faits, ce que ne conteste pas l’Etat partie. L’absence d’enquête est d’autant plus inexplicable que le certificat de décès délivré en avril 2006 fait référence à la mort suspecte de la victime».

Le Comité retient que l’Algérie a violé les articles 1, 2 § 1, 11, 12 13 et 14 de la Convention contre la torture. Par ailleurs, le Comité dénonce comme «inacceptable» et incompatible avec l’article 22 de la Convention la pratique consistant à interroger des anciens codétenus ainsi que la famille du défunt dans le but qu’ils retirent leurs précédents témoignages devant le Comité.

Selon la décision, l’Algérie doit initier une enquête impartiale sur les événements en questions, dans le but de poursuivre en justice les personnes responsables du traitement infliger à la victime. L’Algérie dispose d’un délai de 90 jours pour informer le Comité des mesures qui auront été prises, incluant l’indemnisation de l’épouse du défunt.

 

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