Revirement dans l’affaire Naït-Liman

29.11.2016 ( Modifié le : 01.12.2016 )

Genève, 29 novembre 2016 – L’affaire Naït-Liman a connu un revirement important ce 29 novembre 2016, après plus de 12 ans de procédure. A la demande de M. Naït-Liman, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a jugé que l’affaire méritait d’être renvoyée devant la Grande Chambre de la Cour, dont les juges auront désormais le dernier mot. Un jugement qui pourrait faire jurisprudence en matière de torture, permettant à de nombreux réfugiés qui ne peuvent obtenir justice dans leur pays d’origine d’intenter une action en justice dans leur pays d’accueil sur le sol européen.

TRIAL International accompagne Monsieur Naït-Liman dans sa quête de justice depuis plus d’une décennie. Ce ressortissant tunisien, devenu depuis citoyen suisse, avait été torturé durant plus d’un mois par les autorités tunisiennes. Ne pouvant obtenir justice en Tunisie, M. Naït-Liman avait introduit avec l’aide de TRIAL International une action en justice en Suisse contre un ancien ministre de l’intérieur tunisien aux fins d’obtenir réparation. TRIAL International avait recouru jusqu’au Tribunal fédéral, avant de porter l’affaire devant la CEDH, qui a elle aussi rejeté la requête en juin dernier.

« M. Nait-Liman est très heureux que son cas soit examiné par la plus haute instance judiciaire Européenne. Cela montre qu’il existe un besoin de clarification juridique », explique Me François Membez, qui représente la victime. « Cela constitue aussi une avancée pour les victimes de violation des droits de l’homme, dont les besoins de protection sont grandissants. »

« Il est plutôt rare que la Cour juge une affaire suffisamment importante pour être renvoyée devant la Grande Chambre », rappelle Philip Grant. « C’est un signal positif pour l’affaire et TRIAL International va tout faire pour que la Grande Chambre rende un jugement favorable à M. Naït-Liman. Il est temps que justice lui soit enfin rendue », ajoute le Directeur de TRIAL International.

Chronologie de l’affaire

En avril 1992, alors qu’il vivait en Italie, M. Naït-Liman est arrêté et remis aux autorités tunisiennes. Durant quarante jours il est alors arbitrairement détenu et soumis à diverses tortures : privé de sommeil, il est roué de coups et accroché à une barre de fer disposée entre deux tables, durant toute sa détention. M. Naït-Liman a vécu cet enfer dans les locaux mêmes du Ministère de l’Intérieur de la République de Tunisie.

En 1995, M. Abdennacer Naït-Liman obtient l’asile en Suisse, en raison des tortures qui lui ont été infligées durant ces quarante jours.

En février 2001, profitant de la présence de l’ancien ministre de l’intérieur M. Abdallah Kallel sur le territoire genevois, M. Naït-Liman dépose une plainte pénale contre ce dernier pour lésions corporelles graves. Le plaignant lui reprochait d’avoir ordonné les tortures physiques et psychologiques qu’il a subies directement dans les locaux du Ministère de l’intérieur. L’ancien ministre parvient toutefois à quitter la Suisse juste avant que la justice genevoise s’intéresse à son cas.

En juillet 2004, soutenu par TRIAL International, M. Naït-Liman introduit à Genève une action en justice visant à obtenir de M. Kallel et de la Tunisie la réparation du dommage  subi en raison des tortures infligées. Défendu par Me François Membrez, vice-président de TRIAL International, M. Naït-Liman se trouve en effet dans l’impossibilité de retourner dans son pays sous peine de graves risques pour son intégrité. Le seul lieu où il peut faire valoir ses droits est Genève, où il est domicilié depuis des années.

Valablement convoqués, les défendeurs refusent de prendre part à la procédure. Le Tribunal de première instance, puis la Cour de justice en appel, déclarent cependant la demande irrecevable, soit en raison de l’immunité dont jouirait M. Kallel pour les faits commis dans le cadre de ses fonctions, soit en raison de l’absence d’un lien suffisant avec Genève.

Naït-Liman saisit alors le Tribunal fédéral d’un recours visant à faire reconnaître qu’il existe un «for de nécessité» à Genève, tel que prévu par l’article 3 de la loi fédérale sur le droit international privé. Selon cette disposition, il doit en effet être possible d’agir en Suisse lorsqu’une «procédure à l’étranger se révèle impossible ou qu’on ne peut raisonnablement exiger qu’elle y soit introduite», les autorités judiciaires «du lieu avec lequel la cause présente un lien suffisant» étant alors compétentes.

Le 22 mai 2007, le Tribunal fédéral rejette dans un arrêt le recours en raison de l’insuffisance de ce lien, laissant ouverte la question de savoir si l’immunité d’un ancien ministre de l’intérieur pourrait également faire obstacle à l’affaire.

En novembre 2007, M. Naït-Liman saisit la CEDH d’une requête visant à reconnaître qu’il avait subi une violation de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme en raison du refus des tribunaux suisses d’examiner sa demande d’indemnisation suite en raison des conséquences sur sa santé des tortures subies.

Le 21 juin 2016, par 4 voir contre 3, la CEDH rejette sa requête. La Cour reconnaît que la Suisse avait le droit de limiter son droit d’introduire une procédure civile. La Cour estime que les autorités suisses étaient autorisées à considérer sa résidence à long terme en Suisse, l’octroi du statut de réfugié dans ce pays, l’acquisition de la nationalité suisse et le fait que la personne suspectée d’avoir ordonné la torture ait été trouvée sur le territoire suisse comme ne constituant pas des liens suffisants. En conséquence, la Suisse pouvait restreindre le droit de M. Naït-Liman de saisir la justice d’une demande en réparation.

Le 29 novembre 2016, un panel de 5 juges accepte la demande formulée par M. Naït-Liman et TRIAL International que l’affaire soit renvoyée devant la Grande Chambre de la Cour. La procédure devant les 17 juges de la Grande Chambre peut désormais commencer.

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