Un op-ed de Daniele Perissi

Le calvaire des victimes de Lemera toucherait-il à sa fin ? Leur situation pourrait évoluer grâce à une autre affaire devant la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples.

2009, dans le village de Lemera, au Sud-Kivu. Sept femmes, dont deux enceintes, sont violées par des soldats congolais.

Novembre 2014. L’ONG REDRESS soumet une plainte à la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) au nom de la victime S.A., également violée par des soldats.

Quel est le rapport entre ces deux événements ? Etonnamment, l’affaire S.A. pourrait aider les victimes de Lemera – et bien d’autres – à obtenir réparations.

 

 

Faire la lumière sur les lacunes en RDC

Aujourd’hui, TRIAL a soumis un amicus curiae à la CADHP sur l’affaire S.A. Un amicus curiae (« ami de la cour ») est un document soumis par un expert ne faisant pas partie de la procédure, afin d’éclairer les juges dans leur décision.

Les situations de S.A. et de Lemera présentent de nombreux points communs : dans les deux cas, des femmes indigentes ont été violées par des membres de l’armée. Dans les deux cas, les tribunaux congolais ont accordé des réparations aux victimes. Et dans les deux cas, ces dernières n’ont pas touché un centime.

TRIAL a tout mis en œuvre en RDC pour que les réparations soient versées aux femmes de Lemera. Mais deux ans et des milliers de dollars plus tard, toutes les voies de recours sont épuisées et les victimes n’ont encore rien reçu. Leur dossier est bloqué au ministère de la Justice.

Cette expérience frustrante prouve l’impossibilité d’obtenir des compensations de l’Etat, même quand un juge en a ordonné le versement. Ce fait soutient la requête de REDRESS devant la Commission africaine.

 

Les réparations sont un droit, pas un privilège

Si la Commission africaine donne raison à S.A., cela constituerait une reconnaissance formelle des lacunes du système judiciaire congolais… ce qui inciterait les autorités à enfin compenser S.A. et les victimes de Lemera.

C’est la première fois que TRIAL soumet un amicus curiae, et celui-ci porte sur l’un des chevaux de bataille de l’organisation : l’accès aux réparations. Cette étape cruciale pour les victimes est trop souvent outrepassée, et ce constat est particulièrement vrai en RDC.

Aucune victime de violences sexuelles n’a jamais reçu de réparations : il est grand temps que S.A., les femmes de Lemera et toutes les autres victimes obtiennent enfin leur dû.

Daniele Perissi, responsable du programme RDC

 

Dans d’autres pays aussi, TRIAL lutte pour que les victimes obtiennent réparations. Lisez ici nos derniers succès en Bosnie-Herzégovine et au Népal

 

Pour la deuxième année consécutive, 8 avocats congolais ont suivi un coaching juridique personnalisé sur une année entière. Entre sessions théoriques et exercices pratiques, deux participants reviennent sur leur expérience.

 

TRIAL : Pourriez-vous vous présenter et expliquer comment vous avez entendu parler de la formation ?  

Me Ghilaine Bisimwa Naweza : Je suis avocate au Barreau de Bukavu depuis 2010 avec une spécialité dans les droits humains. Je suis également membre de l’Association des femmes juristes congolaises du Sud Kivu, qui défend et promeut les droits humains dans la région. J’avais déjà reçu une formation de TRIAL International par le biais de cette association, sur la documentation des violences sexuelles. Je l’avais trouvé très concrète, aussi j’ai candidaté dès que j’ai eu vent de ce coaching d’un an.

Me Jerry Ntondo Zahinda : Je suis avocat à Bukavu depuis près de 10 ans. Je suis aussi spécialiste des droits humains, j’ai donc beaucoup travaillé sur l’accès à la justice et le renforcement du système judiciaire national. J’ai entendu parler de cette formation par un ami du CICR de Bukavu. Le contenu de la formation m’a immédiatement intéressé, de même que la méthodologie fondée sur l’étude de cas concrets.

 

A quelles difficultés êtes-vous confronté dans votre métier d’avocat ?

Me Ghilaine : Il n’y a pas un seul, mais une multitude de difficultés qui se renforcent mutuellement. Au terme de cette formation, je mesure à quel point les magistrats sont peu formés aux instruments juridiques internationaux. Même quand un avocat les invoque pour son client, les juges se limitent à l’examen des normes internes sans aucune référence aux disposition du droit international, pourtant applicables.

Me Jerry : Les textes présentent en effet de sérieuses lacunes. L’arsenal juridique congolais est morcelé et inadaptés aux réalités juridiques et pratiques du pays. Il y a même des textes législatifs qui se contredisent entre eux ! Nous avons aussi des difficultés à rencontrer les victimes, car les infrastructures de transports sont déficientes et certaines routes ne sont pas sûres.

Me Ghilaine : Les avocats sont également découragés par le « deux poids, deux mesures » qui règne. Les personnes qui ont le bras long continuent d’échapper à la justice. Le clientélisme et le trafic d’influence vont bon train, et les évasions régulières des prisons anéantissent tous nos efforts.

 

Dans le cadre de la formation, vous avez été amenés à travailler sur des affaires réelles. Pouvez-vous nous en dire plus ?

 Me Jerry : J’ai défendu des victimes dans le procès de Mutarule. Trois chefs militaires étaient accusés d’avoir attaqué le village de Mutarule, pillé des maisons et fait une dizaine de morts. Grâce au conseil de TRIAL, j’ai pu améliorer mon analyse juridique et y inclure de la jurisprudence internationale. Psychologiquement, l’appui d’une ONG est rassurant, car le procès s’est déroulé sous très haute tension. Cela m’a donné le courage d’être beaucoup plus proactif. Les magistrats n’ont pas encore rendu leur jugement, mais le seul fait qu’un procès de cette ampleur ait pu voir le jour est une victoire pour nous.

Me Ghilaine : On m’avait confié l’affaire de la jeune Stella (nom d’emprunt), violée à 13 ans par un juge. Son dossier était au point mort depuis plus d’un an car le magistrat instructeur rechignait à poursuivre son confrère. La formation de TRIAL m’a permis d’établir un questionnaire précis pour la victime, et donc d’obtenir de meilleurs éléments à charge. Nous avons aussi exploré des pistes nouvelles pour la constitution de preuves. Grâce à nos efforts, un procès a été ouvert devant la cour d’appel de Bukavu.

 

Comment la formation a-t-elle changé votre manière de travailler ? 

Me Ghilaine :  Avant la formation, j’avais travaillé sur une affaire de viol, mais je ne savais pas quelles questions poser à la victime. Une autre fois, des femmes victimes d’esclavage sexuel ont fait appel à moi, et je n’avais pas de réponses à leur donner. Je suis désormais mieux armée pour approcher les victimes respectueusement tout en obtenant des éléments de preuve.

 Me Jerry : Avant, je n’avais pas de connaissances pour saisir la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples ou les organes onusiens. Plusieurs de mes affaires remplissaient les critères d’admissibilité, mais je ne savais pas par où commencer. Je sais aussi désormais comment invoquer des dispositions du Statut de la CPI, que je vais pouvoir appliquer lors de procès pour crimes de masse.

 

Entretien avec Guy Mushiata, expert des droits humains en RDC

 

TRIAL : La RDC fait une fois de plus la une de la presse internationale. Quelle est votre lecture de la situation ?

Guy Mushiata : Le contexte est très tendu depuis que l’incertitude règne quant aux délais de  l’élection présidentielle.  La situation politique est dans une impasse et celle des droits humains n’est pas toujours reluisante. Au cours des derniers mois, quatre chercheurs internationaux qui enquêtaient sur les droits humains ont été expulsés. Les risques de violences sont réels. Il faut espérer que le dialogue national en cours, bien que non inclusif, trouvera rapidement une issue à la crise pour apaiser les esprits et garantir un meilleur respect des droits de chacun.

 

A quelles difficultés faites-vous face dans votre travail quotidien ?

On parle souvent du manque de volonté politique, ce qui est vrai. Mais nous sommes aussi confrontés à une multitude de problèmes structurels, mais aussi simplement logistiques. La province du Sud-Kivu, où opère TRIAL, est plus grande que la Suisse. Les villages où les exactions sont commises sont extrêmement reculés ; se rendre sur place pour documenter des cas peut prendre des jours et présenter des défis sécuritaires.

Le travail avec les victimes exige également d’être patient. Elles sont souvent traumatisées et craignent des représailles. Il faut les approcher en douceur et laisser un lien se tisser. Le réseau que nous avons sur place est essentiel pour instaurer une relation de confiance.

 

Comment réagissent les victimes quand vous leur parlez de justice ?

Elles sont souvent sceptiques au début. L’impunité est tellement répandue qu’elles ne pensent pas obtenir justice face à leurs bourreaux, surtout lorsque ceux-ci sont dans les forces armées régulières ou dans des groupes armés. Pourtant, notre expérience prouve que leur rôle est crucial dans les procédures. Dans l’affaire Bolingo, par exemple, la Cour aurait sans doute rendu un non-lieu si les victimes n’avaient pas témoigné. Il est important qu’elles puissent être actrices dans le procès et raconter leur histoire avec leurs propres mots. Cela donne aussi du courage aux autres victimes qui se taisent encore.

 

Près de deux ans après l’ouverture des bureaux de TRIAL à Bukavu, comment a évolué votre mission ?

Dès notre arrivée, nous avons tissé des liens avec les acteurs internationaux et locaux sur place : MONUSCO, PNUD, associations de victimes, réseaux d’avocats, etc. Cela nous permet de travailler de manière complémentaire sans nous substituer au travail des autres, et de valoriser l’expertise juridique unique de TRIAL International. Nous sommes de plus en plus sollicités, il faut donc faire des choix dans les dossiers que nous défendons.

 

Quelles sont les priorités du programme aujourd’hui ?

Nous voulons continuer d’œuvrer au niveau national. Bien sûr, nous continuerons de porter les affaires devant la Commission africaine ou les Nations Unies si nécessaire, mais c’est de la RDC que le changement doit émaner : les juges, les avocats, la société civile et les autres acteurs locaux ont un rôle à jouer. Par exemple, les avocats que nous avons formés sont à présent capables d’assister eux-mêmes les victimes de violations des droits humains. C’est une grande satisfaction de voir ces bonnes pratiques se disséminer.

 

* Le dialogue national réunit des représentants de la majorité, d’une partie de l’opposition politique et de la société civile pour trouver une solution à la crise politique liée au report des élections présidentielles, initialement prévues pour fin novembre.

Un projet de l’Union européenne, mené en collaboration avec le PNUD, permettra à TRIAL International d’élargir ses activités de lutte contre l’impunité dans l’Est de la RDC.

Grâce à son expertise en matière d’accès à la justice, TRIAL International a été approchée par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) pour participer à un projet d’amélioration structurelle du système judiciaire congolais. Celui-ci est mené de concert avec l’Union européenne, qui en est le principal bailleur.

Le projet vise à lutter contre les crimes internationaux en renforçant l’accès des victimes à la justice. Il s’articule autour de deux priorités : d’une part, au niveau national, développer le rôle des juridictions civiles ; et d’autre part, favoriser l’accès des victimes aux organes internationaux, tels que la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et le Comité des droits de l’homme des Nations Unies.

La première phase du projet se déroulera jusqu’en 2018. Dans ce cadre, TRIAL International, déjà présent au Sud Kivu, devrait étendre ses actions à la province du Katanga, tristement célèbre pour l’importante impunité qui y règne.

N. a été violée chez elle en 2014 par un colonel des FARDC (Forces armées de la République démocratique du Congo), collègue de son mari. Comme d’innombrables victimes de viol, N. a été mise au banc de sa communauté, isolée et stigmatisée pour un crime dont elle est la victime.

Malgré les pressions, N. a eu le courage de porter plainte, mais le dossier a été bloqué après que l’auteur du crime, le colonel, ait tenté de passer un arrangement à l’amiable avec la victime pour mettre fin aux poursuites pénales. Cette pratique, illégale dans ces circonstances, est encore trop souvent utilisée pour acheter le silence de la victime.

Déterminée à obtenir justice, N. a déposée une nouvelle plainte pénale avec l’aide de TRIAL International, mais l’enquête piétine. Face à ce blocage au niveau national, TRIAL a agit en parallèle au niveau régional : elle a déposé une plainte devant la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, lui demandant de reconnaître les violences commises par les agents de l’Etat en RDC, en l’occurrence le colonel.

Ce dossier de viol par un militaire de haut rang est représentatif du fléau que sont les violences sexuelles en RDC, mais également de l’incapacité et du manque de volonté de la justice militaire de punir les crimes commis par des militaires haut gradés.

 

La société civile cherche pour la première fois à obtenir justice devant la Commission africaine pour des cas d’exécutions extrajudiciaires restés impunis devant les autorités judiciaires nationales. Des ONG ont remis quatre plaintes à la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. Elles concernent plusieurs cas d’exécutions extrajudiciaires commises entre 2010 et 2012.

De nombreuses exécutions extrajudiciaires visant essentiellement des opposants politiques ont été commises au Burundi entre 2010 et 2012. Ces atteintes au droit à la vie intervenues hors de toute procédure judiciaire et impliquant des agents de l’Etat (ce qui renvoie à la définition internationalement reconnue des exécutions extrajudiciaires) demeurent aujourd’hui encore largement impunies.

Dans ce contexte, un groupe d’ONG composée de l’ACAT-Burundi, l’APRODH, leFOCODE, le FORSC et TRIAL et soutenu par Human Rights Watch a soumis quatre plaintes à la Commission africaine concernant les exécutions extrajudiciaires suivantes :

Alors que le 9 avril dernier a marqué la commémoration du 5ème anniversaire de l’assassinat de l’activiste anti-corruption Ernest Manirumva, il est plus que jamais nécessaire de poursuivre la lutte contre l’impunité pour de telles violations des droits de l’homme afin d’éviter que des crimes d’une telle gravité se reproduisent et que la paix si difficilement acquise soit mise à mal.

Au nom de ces victimes, la société civile cherche pour la toute première fois à obtenir justice devant la Commission africaine pour des cas d’exécutions extrajudiciaires restés impunis devant les autorités judiciaires nationales.

Ces ONG ont formellement demandé à la Commission africaine d’adopter des mesures dites « conservatoires » en faveur des familles des victimes, des témoins et de leurs défenseurs afin que le Burundi garantisse leur pleine protection. Les ONG enjoignent en outre aux autorités burundaises à prendre leurs responsabilités dans la protection de ces personnes et le respect de leurs droits.

Depuis novembre 2011, quatorze affaires révélant de graves violations des droits de l’homme au Burundi ont été soumises à des instances des Nations unies de protection des droits de l’homme soit le Comité contre la torture et le Groupe de travail sur la détention arbitraire en raison de la passivité des autorités judiciaires nationales pour examiner la cause des victimes.

Les onze affaires devant le Comité contre la torture sont toujours pendantes alors que le Groupe de travail sur la détention arbitraire a déjà jugé en 2012 que la détention de Me François Nyamoya a été arbitraire exigeant qu’une réparation lui soit versée et toute autre restriction à sa liberté de mouvement levée.

 

Mise à jour : Deux plaintes ont été déclarées recevables par la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples : l’affaire concernant M. Médard Ndayishimiye en 2016 et celle concernant M. Jackson Ndikuriyo en 2018.