Pour la deuxième année consécutive, 8 avocats congolais ont suivi un coaching juridique personnalisé sur une année entière. Entre sessions théoriques et exercices pratiques, deux participants reviennent sur leur expérience.

 

TRIAL : Pourriez-vous vous présenter et expliquer comment vous avez entendu parler de la formation ?  

Me Ghilaine Bisimwa Naweza : Je suis avocate au Barreau de Bukavu depuis 2010 avec une spécialité dans les droits humains. Je suis également membre de l’Association des femmes juristes congolaises du Sud Kivu, qui défend et promeut les droits humains dans la région. J’avais déjà reçu une formation de TRIAL International par le biais de cette association, sur la documentation des violences sexuelles. Je l’avais trouvé très concrète, aussi j’ai candidaté dès que j’ai eu vent de ce coaching d’un an.

Me Jerry Ntondo Zahinda : Je suis avocat à Bukavu depuis près de 10 ans. Je suis aussi spécialiste des droits humains, j’ai donc beaucoup travaillé sur l’accès à la justice et le renforcement du système judiciaire national. J’ai entendu parler de cette formation par un ami du CICR de Bukavu. Le contenu de la formation m’a immédiatement intéressé, de même que la méthodologie fondée sur l’étude de cas concrets.

 

A quelles difficultés êtes-vous confronté dans votre métier d’avocat ?

Me Ghilaine : Il n’y a pas un seul, mais une multitude de difficultés qui se renforcent mutuellement. Au terme de cette formation, je mesure à quel point les magistrats sont peu formés aux instruments juridiques internationaux. Même quand un avocat les invoque pour son client, les juges se limitent à l’examen des normes internes sans aucune référence aux disposition du droit international, pourtant applicables.

Me Jerry : Les textes présentent en effet de sérieuses lacunes. L’arsenal juridique congolais est morcelé et inadaptés aux réalités juridiques et pratiques du pays. Il y a même des textes législatifs qui se contredisent entre eux ! Nous avons aussi des difficultés à rencontrer les victimes, car les infrastructures de transports sont déficientes et certaines routes ne sont pas sûres.

Me Ghilaine : Les avocats sont également découragés par le « deux poids, deux mesures » qui règne. Les personnes qui ont le bras long continuent d’échapper à la justice. Le clientélisme et le trafic d’influence vont bon train, et les évasions régulières des prisons anéantissent tous nos efforts.

 

Dans le cadre de la formation, vous avez été amenés à travailler sur des affaires réelles. Pouvez-vous nous en dire plus ?

 Me Jerry : J’ai défendu des victimes dans le procès de Mutarule. Trois chefs militaires étaient accusés d’avoir attaqué le village de Mutarule, pillé des maisons et fait une dizaine de morts. Grâce au conseil de TRIAL, j’ai pu améliorer mon analyse juridique et y inclure de la jurisprudence internationale. Psychologiquement, l’appui d’une ONG est rassurant, car le procès s’est déroulé sous très haute tension. Cela m’a donné le courage d’être beaucoup plus proactif. Les magistrats n’ont pas encore rendu leur jugement, mais le seul fait qu’un procès de cette ampleur ait pu voir le jour est une victoire pour nous.

Me Ghilaine : On m’avait confié l’affaire de la jeune Stella (nom d’emprunt), violée à 13 ans par un juge. Son dossier était au point mort depuis plus d’un an car le magistrat instructeur rechignait à poursuivre son confrère. La formation de TRIAL m’a permis d’établir un questionnaire précis pour la victime, et donc d’obtenir de meilleurs éléments à charge. Nous avons aussi exploré des pistes nouvelles pour la constitution de preuves. Grâce à nos efforts, un procès a été ouvert devant la cour d’appel de Bukavu.

 

Comment la formation a-t-elle changé votre manière de travailler ? 

Me Ghilaine :  Avant la formation, j’avais travaillé sur une affaire de viol, mais je ne savais pas quelles questions poser à la victime. Une autre fois, des femmes victimes d’esclavage sexuel ont fait appel à moi, et je n’avais pas de réponses à leur donner. Je suis désormais mieux armée pour approcher les victimes respectueusement tout en obtenant des éléments de preuve.

 Me Jerry : Avant, je n’avais pas de connaissances pour saisir la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples ou les organes onusiens. Plusieurs de mes affaires remplissaient les critères d’admissibilité, mais je ne savais pas par où commencer. Je sais aussi désormais comment invoquer des dispositions du Statut de la CPI, que je vais pouvoir appliquer lors de procès pour crimes de masse.

 

En RDC, les victimes de crimes graves peuvent désormais chercher justice devant les juridictions civiles. Des débuts timides mais encourageants qui pourraient mettre un terme à l’impunité généralisée dans le pays.

 Depuis ses débuts en 2002, la lutte contre l’impunité pour les crimes internationaux en RDC a été placée exclusivement entre les mains des tribunaux militaires du pays. Mais malgré quelques victoires, de nombreux obstacles entravent les victimes dans leurs démarches. D’importantes lacunes dans le code militaire perpétuent également l’impunité des plus hauts gradés.

Par exemple, les militaires congolais ne peuvent être jugés que par des pairs ayant un grade égal ou supérieur au leur. Vu l’absence quasi-totale de généraux parmi les procureurs et juges militaires, ce principe engendre, de fait, une impunité pour les gradés les plus hauts placés.

De plus, les magistrats militaires sont soumis aux interférences directes du pouvoir exécutif et du commandement militaire. Les poursuites peuvent être interdites ou soumises à l’autorisation préalable du commandement militaire, ce qui équivaut souvent à un abandon des poursuites.

Les exemples d’impunité chez les militaires sont pléthores : dans l’affaire Kabungulu, un magistrat trop zélé a été muté en cours d’instruction, sans aucune justification, alors qu’il examinait la responsabilité de personnalités politiques. L’affaire est encore bloquée à ce jour. Dans une autre affaire, un colonel accusé de viol est protégé par ses supérieurs sous prétexte qu’il participe à des opérations militaires importantes.

 

La RDC enfin en phase avec les standards internationaux

 Face à ces injustices flagrantes, les standards internationaux préconisent que les affaires de droits humains soient confiées à des juridictions civiles. La RDC s’est finalement alignée à ces standards en 2013, au terme d’une longue campagne menée par la société civile. Désormais, la compétence pour les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide se partage entre les tribunaux militaires et les cours civiles.

En septembre 2016, la cour d’appel de Lubumbashi (province du Katanga) a fait usage de cette nouvelle loi pour la première fois. Dans un procès sans précédent, elle a condamné quatre prévenus pour génocide.

Prenant appui sur ce précédent, les magistrats civils du Sud Kivu viennent d’ouvrir à leur tour une première enquête. « Nous avons beaucoup insisté pour que les juridictions civiles se saisissent de l’affaire, explique Daniele Perissi, responsable du programme RDC chez TRIAL International. La cour d’appel de Bukavu sera sans doute mieux adaptée qu’un tribunal militaire pour mener cette enquête et organiser rapidement un procès. »

Dans cette affaire de crimes contre l’humanité, TRIAL International assiste et représente gratuitement* les dizaines des victimes qui cherchent justice et réparation.

 

* Les activités de TRIAL International sur ce dossier font partie d’un projet mis en œuvre en collaboration avec l’Union européenne et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) qui prévoit le renforcement des juridictions civiles congolaises dans la répression des crimes internationaux.