L’Algérie condamnée pour le décès sous torture de Djilali Hanafi

05.07.2011 ( Modifié le : 17.07.2017 )

Genève, le 5 juillet 2011

Le Comité contre la torture des Nations unies vient de condamner l’Algérie pour le décès sous la torture de M. Djilali Hanafi, un commerçant de 32 ans, père de deux enfants, arrêté le 1er novembre 1998, à Mechraa Sfa. M. Hanafi avait été relâché le 3 novembre suivant et était décédé quelques heures plus tard à son domicile des suites de tortures infligées à la brigade de la gendarmerie de Mechraa Sfa. La décision est la première jamais rendue par le Comité contre la torture concernant l’Algérie.

Durant des années, les proches de la victime ont tenté d’obtenir que justice soit rendue. Mais jamais aucune enquête n’a été ouverte, les autorités affirmant que la victime était décédée de mort naturelle. En avril 2008, TRIAL a saisi le Comité contre la torture, l’organe chargé de surveiller le respect de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ratifiée par l’Algérie en 1989.

Dans sa décision du mois de juin 2011, qui vient d’être rendue publique, le Comité considère que les faits sont bien «constitutifs de torture», au sens de la Convention, et que la mort de la victime en a directement résulté. Selon l’organe onusien, «durant toute la durée de la détention de la victime et malgré des témoignages concordants selon lesquels elle aurait été torturée, les autorités n’ont diligenté aucune enquête ni demandé à un médecin de vérifier son état de santé alors que les codétenus ont alerté les gardes sur l’état critique de la victime. En outre, alors que le certificat de décès a révélé la « mort suspecte » de la victime, le parquet ne s’est à aucun moment saisi de l’affaire».

Ce n’est que dans le cadre de la procédure devant le Comité que la famille a pu mettre la main sur un rapport d’autopsie, pratiquée juste avant l’enterrement de la victime. Le rapport concluait à la mort de la victime suite à une insuffisance cardiaque. TRIAL a alors soumis ledit rapport à plusieurs experts médicaux légaux, lesquels ont relevé son caractère lacunaire et douteux, ne permettant pas de retenir les réelles raisons du décès.

Contrairement à ce que prévoit la Convention contre la torture, aucun des tortionnaires n’a été poursuivi ou puni. Le Comité constate à cet effet «qu’aucune enquête pénale impartiale et approfondie n’a été diligentée pour faire la lumière sur la mort du mari de la requérante et ceci encore 12 ans après les faits, ce que ne conteste pas l’Etat partie. L’absence d’enquête est d’autant plus inexplicable que le certificat de décès délivré en avril 2006 fait référence à la mort suspecte de la victime»!

L’organe onusien a ainsi conclu à la violation par l’Algérie des articles 1, 2 § 1, 11, 12 13 et 14 de la Convention contre la torture. Par ailleurs, le Comité a dénoncé comme «inacceptable» et incompatible avec l’article 22 de la Convention la pratique consistant à interroger des anciens codétenus ainsi que la famille du défunt dans le but qu’ils retirent leurs précédents témoignages devant le Comité.

Pour Philip Grant, directeur de TRIAL, «l’Algérie ne peut poursuivre dans la voie de l’impunité. Les victimes de torture et d’autres violations graves commises durant la guerre civile ont le droit de connaître la vérité et d’obtenir justice. Le Comité contre la torture a rendu une décision qui fera jurisprudence». Pour M. Grant, «les cas de torture, comme celui de Djilali Hanafi, doivent faire l’objet d’enquêtes rigoureuses, et les auteurs de ces actes doivent être poursuivis et sanctionnés. Une vraie procédure pénale doit immédiatement être réouverte.»

Selon la décision, l’Algérie doit en effet initier une enquête impartiale sur les événements en questions, dans le but de poursuivre en justice les personnes responsables du traitement infligé à la victime. L’Algérie dispose d’un délai de 90 jours pour informer le Comité des mesures qui auront été prises, incluant l’indemnisation de l’épouse du défunt.

TRIAL est actuellement en charge de 64 affaires devant différentes instances internationales (Cour européenne des droits de l’homme, Comité des droits de l’homme et Comité contre la torture), concernant des affaires de disparitions forcées, d’exécutions extrajudiciaires et de torture en Algérie, Bosnie-Herzégovine, Libye et Népal. Seize de ces dossiers concernent l’Algérie.

Le contexte général

Les faits relatifs au présent cas s’inscrivent dans le contexte des violences qui ont fait rage en Algérie au cours des années 1990. Sous couvert de lutte contre le terrorisme, le gouvernement algérien a mis en oeuvre une politique répressive d’une rare violence. Les exécutions sommaires, disparitions forcées, détentions arbitraires, tortures et autres violations commises par les services de sécurité de l’Etat entre 1992 et 1998 se comptent par dizaines de milliers.

Pourtant, l’Algérie n’a jamais accepté (et encore moins réparé) les conséquences de telles violations. En effet, l’Etat n’a jamais entrepris de rendre justice pour ces crimes, d’en poursuivre et condamner les responsables et d’indemniser convenablement les victimes et/ou leurs proches. Au contraire, une véritable politique d’impunité est appliquée, et même légalisée depuis la promulgation de l’Ordonnance portant application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationales en février 2006 qui interdit aux victimes des exactions commises pendant cette période d’entreprendre des démarches judiciaires en vue d’obtenir justice.

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