Dossier Khaled Nezzar : les plaignants déboutés de leur demande en constatation du déni de justice

18.03.2025

Le 10 mars 2025, la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (TPF) a rejeté la demande de deux parties plaignantes dans l’affaire de Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense algérien, mis en accusation en août 2023. Elles avaient demandé la constatation de la violation du principe de célérité des autorités pénales, ayant constitué un déni de justice. Le décès du prévenu 6 mois avant son procès, avait constitué un empêchement définitif de le poursuivre, entrainant le classement de la procédure en juin 2024. Malgré une procédure qui a duré plus de 12 ans, le TPF a refusé de reconnaître le déni de justice et d’indemniser les plaignants, représentés par Me Orlane Varesano et Me Sophie Bobillier, pour les lenteurs de l’instruction. TRIAL International regrette cette décision et est prête à continuer à soutenir les victimes dans leur combat pour la reconnaissance des manquements survenus dans l’enquête.

Le TPF a notamment retenu que la procédure à l’encontre de Khaled Nezzar pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité avait été « objectivement d’une durée importante, ce d’autant que feu l’accusé était déjà âgé de 74 ans lors de l’ouverture de l’instruction ». Mais d’après le tribunal, cette durée s’expliquait notamment par « la gravité des faits investigués, la complexité de la cause, impliquant des infractions réalisées plus de 20 ans auparavant (…) intégralement dans un pays étranger n’ayant apporté aucune forme de collaboration à l’élucidation des faits ». Selon sa décision, le TPF considère que l’enquête, ouverte en 2011, a été menée à un rythme acceptable. Celle-ci s’est terminée avec le décès du prévenu en décembre 2023.

TRIAL International regrette profondément que le TPF n’ait pas reconnu que les autorités de poursuite ont violé leurs obligations légales de mener l’enquête dans un délai raisonnable et sans retard injustifié. Il est tout aussi regrettable que les parties plaignantes soient privées de toute indemnisation pour ces faits. TRIAL International avait exprimé à plusieurs reprises son inquiétude quant à la durée de la procédure et la nécessité pour les victimes d’obtenir justice dans un délai proportionné. L’organisation continuera de soutenir les plaignants, y compris en envisageant une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme pour faire reconnaître le déni de justice qu’ils ont subi.

Sid Ahmed ABER, l’un des plaignants, a réagi : « Cette décision de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral scelle un scandale judiciaire, vu la manière dont la procédure d’instruction a été menée pendant 12 longues années, ponctuées de phases d’inaction et de pressions politiques. Je suis extrêmement déçu par cette décision. »

Pour rappel, Khaled Nezzar a été arrêté à Genève le 22 octobre 2011, à la suite d’une dénonciation de TRIAL International. L’ouverture en Suisse d’une procédure pénale contre l’un des hommes les plus puissants d’Algérie au début des années 1990, sur la base du principe de compétence universelle, représentait déjà une avancée majeure dans la lutte contre l’impunité. Mais ce n’est que le 28 août 2023 qu’un acte d’accusation a été rendu, documentant de nombreux actes de torture perpétrés par le prévenu dont les plaignants ont été victimes. Cet acte d’accusation intervenait bien tard eu égard à l’âge avancé et l’état de santé précaire de Khaled Nezzar, que n’ignoraient pas les autorités. En décembre 2023, l’annonce de la tenue d’un procès six mois plus tard pour complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité a ravivé leur espoir de justice après une attente interminable, marquée par des pressions et des menaces récurrentes.

Mais le décès de Khaled Nezzar, survenu quelques jours après l’annonce des dates du procès, a mis fin à la procédure.

Abdelwahab Boukezouha, l’un des plaignants dans le dossier Khaled Nezzar, a réagi dans une interview recueillie par TRIAL International : « On n’aurait jamais accepté de déposer plainte en Suisse si on ne savait pas que la Suisse était vraiment très à cheval sur les principes de l’humanité, des droits de l’homme. On est les victimes de Nezzar, du coup d’État. Et on ne nous a pas rendu justice. Ils sont arrivés à leur but. C’est-à-dire qu’il meure avant qu’il y ait un jugement. »

TRIAL International appelle les autorités de poursuite à tirer des leçons de cet échec, dans l’intérêt des victimes. Les parties plaignantes ont droit à un procès dans un délai raisonnable, d’autant plus lorsque les crimes les plus graves sont en jeu. Ces procédures sont souvent marquées par une lenteur qui prive les victimes et affecte leur sécurité. TRIAL International appelle la Suisse à allouer des ressources suffisantes et à adopter des mesures pour garantir que les poursuites de crimes internationaux soient instruites dans des laps de temps acceptables.