Procès Lumbala à Paris – Semaine 2

25.11.2025

(17-21 novembre)

Les témoignages d’experts et des ONG parties civiles

Roger Lumbala et sa défense ne se sont pas présentés au tribunal durant toute la deuxième semaine du procès.

Court Sketch - Lumbala Trial

Jour 4 – 17 novembre

La semaine a débuté avec le témoignage de Xavier Macky Kisembo, de l’ONG partie civile Justice Plus, qui a détaillé la méthodologie rigoureuse utilisée pour identifier les victimes et préparer les constitutions de partie civile. Il a décrit des obstacles majeurs, notamment l’accès limité aux zones de conflit, les menaces visant les victimes et le personnel, ainsi que des campagnes de dénigrement destinées à discréditer leur travail. Il a également présenté les violences subies par les communautés nande et pygmée.

Dickson Dikangu Kalela, représentant l’ONG partie civile du Club des Amis du Droit du Congo (CAD), a expliqué les défis dans la documentation des crimes graves en RDC et souligné l’importance symbolique de la procédure.

L’ONG partie civile Clooney Foundation for Justice, représentée par Yasmine Chubin et Hélène Helbig de Balzac, a insisté sur l’urgence de documenter les violences sexuelles, encore largement sous-déclarées, et a évoqué l’insécurité vécue par certaines parties civiles du fait de la situation sécuritaire à l’est de la RDC. Elles ont présenté une analyse de l’économie du conflit et ont offert des observations sur  des documents officiels relatifs à la gestion des mines d’or en 2002 dans le territoire administré à l’époque par Lumbala, ce qui corrobore le contrôle  du RCD-N sur les ressources naturelles  et le lien avec les opérations militaires.

Serge Ngabu Kilo, de l’ONG partie civile LIPADHOJ, a expliqué l’expérience de longue date de son organisation dans la documentation des crimes graves Il  a souligné la crainte persistante de représailles vis-à-vis des victimes et défenseurs des droits humains qui les accompagnent ainsi quet l’absence de poursuites nationales depuis plus de 20 ans.

Claire Thomas, directrice de l’ONG partie civile Minority Rights Group, a détaillé le travail de sensibilisation mené avec l’ONG PAP-RDC auprès de communautés autochtones de la région autour de Mambasa, qui sont fortement marginalisées, et a insisté sur l’importance de faire entendre leurs voix.

Cette journée a été marquée par la cohérence des témoignages entre organisations et par l’absence d’alternatives crédibles au niveau national pour l’accès à la justice.

 

Jour 5 – 18 novembre

Les auditions d’experts ont fourni un éclairage sur la justice internationale et le contexte du conflit à l’est de la RDC.

Pascal Turlan, spécialiste du droit pénal international, a exposé le fonctionnement et les interactions  entre la CPI, les juridictions hybrides et les juridictions nationales dans la lutte contre l’impunité. S’appuyant sur les affaires Lubanga, Katanga, Ntaganda et Bemba, il a expliqué comment la Cour a traité le recrutement d’enfants soldats, les attaques contre des civils, la responsabilité du supérieur hiérarchique et les questions relatives à la subornation de témoins, et a présenté la structure et les étapes procédurales de la CPI.

Daniele Perissi, de l’ONG TRIAL International, a présenté la méthodologie de l’organisation et son travail en RDC. Il a expliqué les raisons de la constitution de partie civile de TRIAL, décrit l’identification des victimes et témoins dans ce dossier, tout en soulignant les standards internationaux en matière de documentation des crimes graves par des ONG. Il a mis en avant l’abondance et convergence des différents éléments de preuve presents au dossier et il a parlé des différentes manières dont un chef de groupe armé peut être complice des crimes commis par sa milice.

Céline Bardet, de l’ONG partie civile We Are Not Weapons of War, a décrit les schémas de commission de violences sexuelles qu’elle a pu documenter au Kivu et au Kasaï et a souligné le rôle de l’impunité dans leur persistance. Elle a évoqué les difficultés pour identifier les auteurs au sein de groupes armés ainsi que l’ampleur des besoins psycho-médicaux des survivant·e·s. .

Mark Lattimer, ancien directeur de Minority Rights Group et rédacteur d’un rapport paru en 2004 sur l’opération Effacer le Tableau, a expliqué la méthodologie et les résultats de son enquête ainsi que l’impact que les violences de 2002-2003 ont eu sur la population civile. S’appuyant sur les entretiens menés en Ituri et au Nord-Kivu à l’époque, il a décrit la brutalité extrême de l’opération Effacer le tableau, marquée par des attaques contre les Nande, des enlèvements de civils pygmées et des destructions massives. Il a évoqué l’implication conjointe du RCD-N et du MLC, le déplacement de plus de 80 000 personnes et des témoignages récoltés qui ont indiqué la présence physique de Lumbala dans la région dans la période de commission des crimes.

 

Jour 6 – 19 novembre

Le professeur Luc Henkinbrant, l’un des rédacteurs du Rapport Mapping publié par les Nations unies en 2010, a détaillé les origines et l’importance de ce projet, qui a recensé 617 incidents graves en RDC entre 1993 et 2003 susceptibles de constituer des crimes internationaux. Il a rappelé qu’il s’agit, plus de vingts ans après les crimes, du premier procès lié à l’un de ces incidents. Henkinbrant a décrit la méthodologie rigoureuse du Mapping, son rôle attendu comme base pour des initiatives judiciaires, et l’existence d’une annexe confidentielle identifiant des auteurs présumés, jamais rendue publique. Il a évoqué les conclusions sur les rôles de l’Ouganda et du Rwanda dans l’est du pays, ainsi que les passages du rapport relatifs à Effacer le tableau et au RCD-N. Il a terminé en soulignant les faiblesses structurelles de la justice congolaise et la nécessité d’une justice transitionnelle crédible.

Le réalisateur Thierry Michel a ensuite témoigné, expliquant comment des décennies de travail et de recherches d’archives ont nourri son film L’Empire du Silence, projeté après son audition. Il a précisé que la place accordée dans son film à Jean-Pierre Bemba reflétait un choix éditorial et n’exonérait en rien d’autres acteurs, dont Roger Lumbala, et a rappelé que ce procès offre enfin à de nombreuses victimes la possibilité de s’exprimer publiquement.

Le général Jérôme Pichard et l’adjudant Julien Blanc, de l’OCLCH, ont présenté l’enquête menée sur Lumbala, décrivant les éléments de preuve dérivant de l’entraide internationale, l’exploitation d’archives et les auditions de témoins. Ils ont détaillé le déroulé des investigations depuis 2016 et la reconstitution des différentes phases de l’opération Effacer le tableau à partir de documents, images, rapports d’ONG et témoignages locales. Les éléments présentés indiquaient le rôle attribué à Lumbala au sein du RCD-N, ses liens avec la chaîne de commandement du MLC, ainsi que l’ampleur des violences et des déplacements de population.

 

Jour 7 – 20 novembre

Julien Blanc a poursuivi son témoignage, présentant des photographies, des échanges WhatsApp et des documents officiels illustrant la position de Lumbala dans la hiérarchie du RCD-N et son implication dans les operations militaires de 2002-2003. Les images le montraient en tenue militaire aux côtés de cadres du RCD-N. Des interceptions téléphoniques ont révélé qu’il continuait de donner des instructions codées et de maintenir son influence depuis sa détention. Blanc a également présenté des lettres signées par le général Constant Ndima confirmant l’activité de troupes du RCD-N sous l’autorité de Lumbala et leur coordination avec l’aile armée du MLC, ainsi qu’une lettre du colonel Widi Ramses désignant Roger Lumbala comme “son” président.

La cour a ensuite entendu deux membres de l’Équipe spéciale d’enquête des Nations unies déployée en janvier 2003 pour documenter les violences aux alentours de Mambasa. Sonia Bakar a décrit plus de 500 entretiens avec victimes, témoins et sources locales faisant état de pillages systématiques, meurtres, tortures, travaux forcés et viols, par les forces Effacer le Tableau d’abord sous le colonel Freddy Ngalimu, puis sous le colonel Widi Ramses. Les témoins ont également évoqué une logistique planifiée, des ordres explicites autorisant le pillage et, dans certains cas, des actes de cannibalisme.

Pierre-Antoine Braud a confirmé ces conclusions, décrivant la terreur observée durant la seconde phase d’Effacer le tableau, avec des attaques coordonnées contre les communautés nande et pygmée et des déplacements massifs  de population. Il a conclu que l’ampleur, la gravité et l’organisation des violences, combinées à la chaîne de commandement établie, indiquaient un système où Roger Lumbala exerçait une autorité politique tandis que les commandants mettaient en œuvre les opérations militaires.

 

Jour 8 – 21 novembre

La cour a prononcé sa décision sur l’exception d’incompétence soulevée par la défense. Elle a rejeté cette exception confirmant que toutes les vérifications légales réquises avaient été effectuées avant l’ouverture des poursuites en 2021 et que les demandes d’extradition ultérieures ne pouvaient remettre en cause une compétence déjà valablement établie.

La journée s’est poursuivie avec la fin du témoignage de Julien Blanc, qui a réaffirmé la crédibilité et la cohérence des récits recueillis auprès des victimes et témoins, ainsi que la richesse et la diversité des éléments de preuve récolté.

L’anthropologue Jérôme Lewis a ensuite décrit la marginalisation profonde des communautés bambuti et leur extrême vulnérabilité durant l’opération Effacer le tableau, qui les a exposées à des exécutions et à d’autres formes d’exploitation et de violences inouïe.

La cour a ensuite examiné des rapports onusiens de 2001 à 2003 décrivant l’escalade des violences autour d’Isiro et Mambasa, l’alliance politico-militaire forgée entre le RCD-N et le MLC dans le cadre d’une logique plus large d’expansion territoriale.

Enfin, le journaliste Guy Boyoma est revenu sur ses reportages réalisés entre 2000 et 2003 dans les zones de conflit, les menaces et arrestations subies et ses nombreuses rencontres avec Lumbala qui ont fait l’objet d’interviews parus dans les médias. Il a décrit les opérations militaires conjointes de l’ALC comme bras armé du MLC et du RCD-N aux alentours d’Isiro et pendant l’opération Effacer le tableau, les rôles respectifs de Lumbala et du commandant Ndima, l’usage des taxes appelées “effort de guerre » et des approvisionnements ougandais, ainsi que les abus généralisés ayant entraîné le déplacement massif de populations.