Procès Lumbala à Paris – Semaine 4
(1-5 décembre)
Témoignages de survivants et d’experts
Roger Lumbala et sa défense ne se sont pas présentés au tribunal durant toute la quatrième semaine du procès.

Jour Quatorze – 1 décembre 2025
Le témoin de contexte Hervé Cheuzeville, ancien humanitaire de l’UNICEF, a décrit son passage à Beni et Mambasa en 2002. Il qualifie l’opération « Effacer le tableau », menée par les forces du MLC et du RCD-N, de « paroxysme » de violence. Il affirme n’avoir jamais rencontré Roger Lumbala, et il l’a décrit comme un acteur secondaire à l’époque, et souligne la dépendance des groupes armés à un soutien militaire et territorial, ainsi que la responsabilité des pays voisins dans la dynamique des conflits.
La partie civile A. B. décrit l’irruption de trois soldats « Effacers » dans son domicile, le pillage intégral de ses biens et les sévices qu’il a subis. Il relate ensuite la fuite massive vers Beni lors de la seconde attaque sur Mambasa et confirme que les soldats se revendiquent de Roger Lumbala et étaient commandés par le colonel Freddy Ngalimu, alias Mopao. Il évoque des travaux forcés imposés aux civils et indique continuer à craindre des représailles liées à son témoignage.
La partie civile G. K. rapporte les violences extrêmes subies lors de l’arrivée des soldats « Effacers » se revendiquant de Lumbala : coups répétés, extorsion de biens de valeur et pillage complet de son domicile. Il décrit le viol collectif de son épouse et de sa fille, la tentative d’exécution à laquelle il a échappé, sa fuite en forêt et la mort ultérieure de sa fille des suites des sévices.
Une partie civile entendue à huis clos a témoigné des viols qu’iel et un autre membre de sa famille ont subis, commis par des soldats liés à Lumbala.
Finalement, la partie civile D. E. décrit en détail la configuration de Mambasa et la progression des « Effacers », ainsi que le meeting de Freddy Mopao, qui s’est présenté comme chef des troupes de Lumbala. Il relate les tortures et exécutions de son père et d’autres civils pris pour des Nande, abattus et enterrés dans une fosse commune. Il évoque l’intensification des violences (tortures, viols, exécutions arbitraires), la seconde prise de Mambasa, la fuite de sa famille, ainsi que les signes distinctifs des forces de Bemba et de Lumbala. Il conclut en soulignant les profondes conséquences psychologiques et économiques qui perdurent encore aujourd’hui.
Jour Quinze – 2 décembre
La partie civile A. P. décrit trois jours de pillages à grande échelle à Mambasa après l’arrivée des « Effacers », suivis de rassemblements menés d’abord par le colonel Freddy Ngalimu, puis par Roger Lumbala, qui s’est présenté comme Président.
Il relate ensuite l’incursion subséquente des APC. Il a vu des soldats, certains portant des uniformes de l’APC (mais qui en réalité étaient des « Effacers » déguisés), rassembler des civils pour porter des charges. Lorsque les civils ont été interrogés au sujet des « Effacers», un jeune homme du groupe les a vivement critiqués. Ces propos ont été rapportés à Mopao, qui a ordonné à ses hommes de tuer celui qui avait parlé. Trois Nande ont également été séparés du groupe. L’un des soldats a forcé l’un des Nande à manger sa propre oreille après la lui avoir coupée. Alors que les autres civils se sont échappés, les soldats ont tué les quatre Nande.
Il évoque ensuite les affrontements autour de Mambasa, l’arrivée immédiate des troupes commandées par Ramses et la fuite de la population de Mambasa.
La partie civile P. R. rappelle comment les « Effacers » sont entrés à Mambasa, et comment les soldats l’ont poignardé au bras et ont pillé tous ses biens et son argent. P. R. a ensuite été contraint de travailler pour eux sous la menace constante de violences. Lors d’un rassemblement, le général Mopao a annoncé qu’il était le chef des opérations du Président Lumbala et il a persuadé la population, qui avait fui lors de l’occupation, à revenir, précisant que les pillages qui avaient eu lieu au cours des trois jours précédents cesseraient.
Après une contre-offensive de l’APC, P. R. a échappé à une exécution en se cachant, tandis que son oncle et d’autres civils ont été tués dans le même épisode décrit par A. P. Il revient sur les déplacements répétés de la population, les traumatismes persistants et sa frustration de ne pas pouvoir confronter Lumbala dans la salle d’audience.
Ensuite, le témoin de contexte, Père Silvano Ruaro, a décrit la brutalité des troupes d’« Effacer le Tableau ». Le témoin a également mentionné un soldat affirmant que les troupes avaient reçu trois jours d’autorisation pour commettre viols, meurtres et pillages. Il déclare n’avoir jamais entendu des soldats prêter allégeance à Lumbala et minimise son rôle, en contradiction avec ses déclarations précédentes. Il évoque également sa rencontre avec Ngalimu, l’arrivée de la MONUC et la fuite de la population.
Les déclarations du témoin de contexte, Père Francesco Laudani ont ensuite été lues. Son rapport décrit sa captivité à la fin de l’année 2002. Selon lui, les troupes d’« Effacer le Tableau » suivaient les ordres de Bemba et de Lumbala, mais il ne connaissait pas la chaîne de commandement exacte. Il considère néanmoins que Ndima répondait à Lumbala et que ce dernier ne pouvait ignorer les exactions en cours. Il confirme les pillages et les travaux forcés imposés à la population.
Les avocats des parties civiles lisent des extraits du rapport de la MONUC confirmant l’exécution de quatre hommes parmi douze civils capturés, épisode déjà décrit par plusieurs victimes. Ils lisent également une plainte adressée à la CPI en avril 2003 par l’association Aviguituri, identifiant la responsabilité conjointe du RCD-N et du MLC, ainsi que de leurs dirigeants Bemba et Lumbala, dans les exécutions sommaires et les violences systématiques commises à Mambasa.
Jour Seize – 3 décembre
Trois parties civiles ont été entendues à huis clos. Elles ont témoigné des violences sexuelles qu’elles ont subies. Elles ont toutes insisté sur les conséquences physiques, psychologiques et sociales durables de ces crimes, pour elles et pour les membres de leur famille.
La partie civile R. E. a décrit l’arrivée des « Effacers » à Mambasa et Mandima, les violences ayant suivi les affrontements avec l’APC, ainsi que plusieurs épisodes de travaux forcés, de pillages et de menaces visant la population locale. Il a rapporté avoir été capturé pour transporter des munitions lors d’un convoi de civils sous le commandement de Freddy Ngalimu, les soldats affirmant explicitement agir au nom de Roger Lumbala. Il a rappelé son évasion, les séquelles physiques laissées par les coups, le pillage de tous ses biens et son espoir que ce procès mette fin au cycle de violences en Ituri.
La témoin experte Anneke Van Woudenberg a raconté son parcours et son expérience d’enquête en Ituri pour Human Rights Watch à partir de l’année 2002, fondée sur de nombreuses missions de terrain et des dizaines d’entretiens, qui ont abouti à deux rapports majeurs sur les violences (intitulés « Ituri couvert de sang », puis « Le fléau de l’or »). Elle a décrit la méthodologie rigoureuse utilisée, comprenant des entretiens, des recoupements et une collecte documentaire et elle a replacé les crimes dans un contexte de concurrence politique, militaire et économique alimentée par des ingérences régionales.
Elle a expliqué que Roger Lumbala faisait partie d’un système d’acteurs armés motivés par des intérêts politiques et miniers, et elle a rapporté une conversation avec Salim Saleh, frère du président ougandais, indiquant que Lumbala aurait été encouragé à former une rébellion afin de prendre le contrôle des mines de diamants à Bafwasende. Elle a ensuite détaillé les exactions commises par le RCD-N à Durba et Watsa à partir du mois d’août 2002, parmi lesquelles pillages, violences sexuelles, tortures publiques, exécutions sommaires, taxation arbitraire et détentions dans des geôles souterraines, et elle a établi des similitudes directes avec l’opération « Effacer le tableau », marquée par une persécution ciblée des populations Nande et Bambuti.
Elle a indiqué que ces pratiques faisaient partie d’une stratégie planifiée et ne constituaient pas des abus isolés. Selon elle, Roger Lumbala avait ses propres ambitions et ne peut pas être réduit à un simple relais de Jean-Pierre Bemba, même si ce dernier lui fournissait des hommes et des munitions.
Elle a conclu en qualifiant le RCD-N de groupe peu structuré d’un point de vue militaire et dépendant du pillage pour sa survie, seuls les officiers semblant percevoir une rémunération régulière.
Jour Dix-Sept – 4 décembre
Le médecin expert Hervé Boissin a présenté les conclusions concernant l’expertise médicale réalisée sur trois parties civiles. Il a détaillé les déficiences temporaires et permanentes ainsi que l’intensité des souffrances endurées, qu’il a jugées compatibles avec les faits allégués. Il a rappelé les limites d’une expertise réalisée vingt ans après les événements, notant que les séquelles auraient été bien plus marquées si les victimes avaient été examinées quelques années après les faits.
Le psychologue expert Christian Ballouard a décrit sa méthodologie clinique et présenté son évaluation de quatre parties civiles. Il a relevé chez toutes les parties civiles un traumatisme durable centré sur les pillages et violences subies, parfois vécu de manière obsessionnelle, associé à la peur de témoigner mais également à une forte volonté de justice.
Le Président a donné lecture de plusieurs déclarations décrivant des meurtres, pillages, viols, captivité, tortures et déplacements forcés dans les zones de Mambasa, Epulu et Bafwasende. Les extraits comprenaient notamment le récit d’une mère dont le fils a été exécuté, des témoignages de femmes violées et contraintes au travail ainsi que des témoins décrivant de première main les exactions subies ou observées. Certains passages mettaient en évidence l’autorité attribuée à Roger Lumbala, désigné comme chef et décrit comme pourvoyeur de logistique aux troupes sur le terrain. Ces témoignages décrivaient un contexte de violences généralisées, d’abus sexuels organisés et de captifs contraints aux travaux forcés.
La psychologue experte Hélène Bongrand a présenté son évaluation de neuf parties civiles. Les violences subies apparaissaient comme une atteinte non seulement individuelle mais aussi collective, créant honte, isolement et une impossibilité durable à verbaliser. Elle a noté que l’acte de témoigner ravive la souffrance mais procure également un soulagement et le sentiment de rompre le silence imposé par les crimes.
Ensuite,plusieurs documents ont été lus, dont un rapport sur l’exploitation des ressources naturelles à Mambasa et Bafwasende, des articles de presse présentant Roger Lumbala sous un angle favorable ou critique, ainsi que des interviews dans lesquelles Lumbala niait tout rôle militaire en RDC et se décrivait comme simple exécutant.
Jour Dix-Huit – 5 décembre
La psychologue experte Amal Hachet a présenté l’évaluation clinique de sept parties civiles, décrivant des traces traumatiques durables, notamment une altération de la mémoire, des réminiscences aiguës et un ancrage temporel fragmenté. Elle a insisté sur l’impact massif des violences, en particulier sexuelles, tant pour celles et ceux qui les ont subies que pour leurs proches. L’experte a également relevé la charge émotionnelle que représente le fait de témoigner.
Le Président de la cour a ensuite donné lecture de plusieurs rapports de l’International Crisis Group datés de 2002 à 2006, évoquant le RCD-N comme un acteur armé allié au MLC mais distinct de lui.
Le psychologue expert Philippe Oudy a présenté l’évaluation de l’accusé. Aucun trouble psychiatrique n’a été identifié, mais des traits marqués par l’égocentrisme, une faible empathie hors du cercle proche et un attachement fort au pouvoir et au statut politique ont été relevés. L’accusé s’est entièrement dédouané, affirmant ne pas avoir commandé de troupes propres, n’avoir été qu’un exécutant, et soutenant que les accusations proviennent d’adversaires politiques. Il a nié avoir été informé des atrocités commises et a remis en question la crédibilité des enquêtes menées par les ONG et par les Nations unies.
Une longue lecture des déclarations écrites de l’accusé a suivi, permettant d’exposer sa version des faits, notamment des ruptures dans la chaîne de commandement, une absence d’implication dans l’opération « Effacer le tableau », et la revendication d’un rôle secondaire dépendant d’autres chefs rebelles, tout en affirmant avoir apporté stabilité et administration dans les territoires sous son contrôle.
Enfin, deux extraits vidéo d’une interview de 2009 ont été projetés. L’accusé y revendique son engagement armé, déclare n’éprouver aucun regret et se dit prêt à comparaître devant une juridiction internationale. Il affirmait qu’il « referait ce qu’il a fait » et considérait le sang versé comme inhérent à la révolution.









