«Trop peu de victimes ont conscience de leurs droits»

31.10.2016 ( Modifié le : 27.02.2017 )

Tej Bahadur Bhandari est porté disparu depuis 2011. Son fils, Ram Bhandari, n’a jamais cessé de lutter pour la justice. Il est aujourd’hui un important défenseur des droits humains au Népal. Voici son histoire.

« Mon père a  disparu en 2001. J’avais alors 23 ans. J’étais à l’université lorsque j’ai reçu l’appel téléphonique de ma mère : elle était affolée, elle a dit que mon père avait été enlevé par la police. J’ai immédiatement redouté le pire : certains de mes amis à l’université avaient été emprisonnés, enlevés ou torturés par les autorités. Je savais de quoi ils étaient capables.

Je me suis empressé de rentrer chez moi dès le lendemain pour être avec ma mère. Ensemble, nous nous sommes rendus au poste de police. Les policiers ont nié avoir enlevé mon père, mais certains témoins nous ont relaté une histoire bien différente : mon père a été passé à tabac en plein jour, au milieu de la rue, jusqu’à perdre connaissance. Les policiers lui ont ensuite bandé les yeux et attaché les mains, et l’ont emmené. Nous ne l’avons pas revu depuis. »

 

Une famille brisée

« Comme je refusais de me taire et continuais d’interpeller les autorités, j’ai commencé à recevoir des menaces. J’ai même été emprisonné pendant quelques jours. Comme ma mère s’inquiétait pour notre sécurité, nous avons décidé de déménager dans une autre ville. Nous avons laissé derrière nous notre entreprise familiale et tous nos proches. Dans cette nouvelle ville, nous ne connaissions personne. Ma mère ne pouvait pas travailler, elle était extrêmement angoissée et a dû être hospitalisée.

Les liens familiaux sont très importants au Népal. La place d’une femme dans la société est liée à son mari. C’est également lui qui apporte un revenu, la femme restant à la maison et s’occupant des enfants. Au moment où mon père a été enlevé, ma mère n’a donc pas été en mesure de se débrouiller seule. C’est le cas de nombreuses épouses d’hommes disparus.

Ces femmes ne peuvent même pas recevoir des fonds de veuvage, car elles ne sont pas en mesure de fournir un corps ou une date de décès. Elles se trouvent dans une position ambiguë que leur communauté ne comprend pas, ce qui entraîne leur rejet et leur stigmatisation. Les enfants souffrent également : en raison du manque de ressources, ils ne peuvent pas aller à l’école ou être soignés correctement. Lorsqu’un homme est victime de disparition forcée, toute sa famille est confrontée à l’exclusion sociale et à de grandes souffrances psychologiques. »

 

Chercher justice au niveau supranational

« Ma mère et moi étions déterminés à savoir ce qui était arrivé à mon père. Nous sommes allés voir la police, les juridictions, les politiciens, nous avons écrit des lettres, nous avons rassemblé des preuves… en vain. Je pensais que nous étions à nos limites lorsque j’ai entendu parler de TRIAL International pour la première fois. Ils m’ont expliqué que les procédures ne s’arrêtaient pas au niveau national, que nous pourrions porter l’affaire devant les Nations Unies. Nous avons retrouvé espoir quand nous avons appris que nous allions pouvoir continuer notre combat malgré le manque de coopération des autorités népalaises !

En 2014, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a pris notre défense et a demandé au Népal de rendre justice. Enfin, notre souffrance, de même que le caractère illégal de ces évènements, étaient reconnus.

Malheureusement, rien n’a été fait par les autorités népalaises depuis la décision du Comité. Nous ne savons toujours pas pourquoi mon père a été enlevé, ce qui lui est arrivé, ni même s’il est encore vivant. »

 

Du préjudice individuel à l’action collective

« Je dédie désormais ma vie à la défense des victimes de disparitions forcées. Avec le Réseau national népalais des familles des disparus, nous informons les personnes sur leurs droits. Nous expliquons les procédures, nous les aidons à récolter les preuves les plus convaincantes, et nous leur parlons des procédures devant les Nations Unies si la justice népalaise fait la sourde oreille.

Ces familles sont trop nombreuses à ne pas connaître leurs droits. Souvent, elles sont issues d’un milieu rural et vivent dans le dépouillement. Beaucoup d’entre elles ont peur, ou pensent que demander justice ne servira à rien. Elles ne rapportent pas toujours les disparitions forcées, ce qui signifie qu’un grand nombre de ces crimes ne sont toujours pas enregistrés et passent inaperçus. Nous nous efforçons de changer cela. Nous encourageons ces personnes à se manifester, car c’est notre action collective qui changera les choses et nous permettra d’obtenir justice.

Nous faisons également un travail didactique sur les disparitions forcées, en expliquant la torture psychologique que subissent les victimes. Nous espérons que, dans le futur, les familles de disparus seront moins stigmatisées et mieux comprises. Je ne veux plus voir de femmes mise au banc comme ma mère l’a été. »

 

En savoir plus sur l’affaire Tej Bahadur Bhandari

Visitez le site de notre campagne pour la justice au Népal

 

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