Chute du régime syrien : le classement de l’affaire Rifaat al-Assad interviendrait à contre-courant de l’Histoire

16.12.2024 ( Modifié le : 17.12.2024 )

Le 8 décembre 2024, après plus de cinq décennies de pouvoir du clan al-Assad, l’histoire de la Syrie a basculé en seulement une poignée de jours. Depuis l’offensive des forces anti-gouvernementales fin novembre, la progression des rebelles a été fulgurante. Une à une, des villes dont les noms résonnent dans la conscience collective, telles qu’Alep, Hama ou Homs, sont tombées aux mains de groupes armés d’opposition, suivies par la chute de Damas. Avec l’effondrement du régime, le lieu de refuge de Bachar al-Assad et de sa famille reste au cœur des questionnements, bien qu’il ait rapidement été confirmé que la Russie lui aurait octroyé l’asile politique.

Le gouvernement syrien a mis en œuvre une politique de répression qui s’est transformée en un conflit ouvert avec les Frères musulmans, devenus la principale force d’opposition à Hafez al-Assad après son arrivée au pouvoir, dès la fin des années 1970. De 1979 à 1982, le régime a affronté son avant-garde combattante. Ce conflit a été marqué par quelques évènements emblématiques, tels le massacre de la prison de Tadmor en 1980 ou la destruction de la ville de Hama en 1982. L’élection en 2001 de Bachar al-Assad, fils du président précédent, a vu naître le printemps de Damas et des espoirs de réforme. Mais à l’automne de la même année, les autorités ont réprimé le mouvement d’opposition, emprisonnant ses dirigeants et tuant plus de 3’500 personnes. Dix ans plus tard, le « printemps arabe » inspire une série de manifestations pacifiques. Sa répression meurtrière par l’appareil de sécurité syrien déclenche une guerre civile, qui a mis le pays à feu et à sang et son économie en ruines.

Rifaat al-Assad est un personnage clé dans la dynastie. Ancien Vice-président syrien et oncle du président déchu Bachar, il fait l’objet depuis 2013 d’une procédure en Suisse pour son rôle présumé en tant que commandant des « Brigades de défense » dans le tristement célèbre massacre de Hama de février 1982. Le Ministère Public de la Confédération (MPC) a émis un mandat d’arrêt international contre lui en novembre 2021. Ce mandat n’a pourtant pas empêché Rifaat al-Assad de fuir la France où il venait d’être condamné à une peine de quatre ans de prison pour une affaire de biens mal acquis. Après plus de dix ans d’enquête, le MPC a finalement déposé un acte d’accusation à son encontre en mars 2024 pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Pourtant, fin novembre 2024, le Tribunal pénal fédéral (TPF) indiquait vouloir classer l’affaire au motif que l’état de santé de Rifaat al-Assad ne lui permettrait pas de se déplacer en Suisse ni d’assister à son procès. Or, même si aucune décision finale n’a été rendue pour le moment, un tel classement à ce moment charnière n’irait pas dans le sens de l’Histoire qui exige une justice pour les victimes du massacre de Hama et, plus généralement, pour le peuple syrien libéré. D’innombrables victimes attendent depuis des décennies que le régime rende des comptes.

Si Rifaat al-Assad, à l’instar du reste de la famille al-Assad, a fui sa région en Syrie ou à l’étranger, alors l’argument de sa prétendue incapacité à se déplacer ne tiendrait plus. Le moment serait de ce fait opportun de proposer des dates de procès pour juger ce dernier, mais également d’amplifier ou de renouveler les voies de diffusion du mandat d’arrêt à son encontre. Par ailleurs, cela donnerait également un nouvel élan aux enquêtes en cours dans plusieurs autres pays d’Europe, tels que la France, le Royaume-Uni ou l’Espagne, où des avoirs importants ont été saisis ces dernières années. Dans la situation actuelle, il est plus que jamais impératif qu’ils reviennent au peuple syrien.

Avec la probable fuite de nombreux alliés du régime syrien déchu, la compétence universelle devrait continuer de jouer son rôle dans cette quête de vérité et de justice d’innombrables victimes d’atrocités commises en Syrie ces dernières décennies. La Suisse pourrait être le premier pays à ouvrir un procès exemplaire contre un des membres du clan al-Assad et donc participer activement à la fin de l’impunité du régime syrien sortant.

©2025 trialinternational.org | Tous droits réservés | Politique de confidentialité | Statuts | Designed and Produced by ACW