La justice allemande confirme la condamnation d’un ressortissant gambien pour crimes contre l’humanité
La Cour fédérale de justice allemande a annoncé le 29 novembre 2024 avoir rejeté le recours d’un ancien membre d’un escadron de la mort gambien, qui avait été condamné à la prison à perpétuité il y a un an, pour sa participation à deux meurtres et trois tentatives de meurtre, constitutifs de crimes contre l’humanité. Il s’agissait du premier procès dans l’histoire qui s’est tenu sur la base du principe de la compétence universelle pour juger les crimes internationaux commis sous l’ancien Président gambien Yahya Jammeh.
Le 30 novembre 2023, Bai Lowe avait été condamné en première instance par le tribunal régional supérieur de Celle, en Basse-Saxe, pour la tentative de meurtre de l’avocat Ousman Sillah en 2003, le meurtre du journaliste Deyda Hydara et les tentatives de meurtre de deux de ses collègues en 2004, ainsi que pour le meurtre de l’ancien soldat Dawda Nyassi en 2006. C’était la première fois qu’un tribunal reconnaissait que des crimes contre l’humanité avaient été commis en Gambie sous la présidence de Yahya Jammeh et ce, grâce à l’exercice de la compétence universelle.
Saisie d’un recours par le défendeur pour examiner si la condamnation de novembre 2023 avait bien été prononcée selon une interprétation conforme du droit, la Cour fédérale de justice n’a pu observer « aucune erreur de droit préjudiciable à l’accusé ». Par sa décision du 12 novembre 2024, elle a ainsi confirmé la condamnation, qui est désormais définitive. « Cette décision montre qu’en Allemagne, même des faits complexes commis à l’étranger peuvent être élucidés et jugés. Cela souligne l’importance du Code pénal international allemand pour la poursuite des crimes les plus graves contre les droits humains », s’est félicité Peer Stolle, avocat d’une des parties plaignantes.
Cette condamnation et sa confirmation marquent un tournant dans la lutte contre l’impunité des atrocités commises sous la présidence de Yahya Jammeh, qui était au pouvoir en Gambie entre 1994 et 2016. La procédure allemande a confirmé l’existence d’attaques systématiques et généralisées contre la population civile, orchestrées par Jammeh pour se maintenir au pouvoir par la violence. Ces décisions revêtent donc une signification majeure, non seulement pour les quatre parties plaignantes au procès, mais également pour l’ensemble des victimes et survivant·e·s des crimes commis sous ce régime. Le procès de Bai Lowe a exposé l’un des outils notoires de cette répression : le rôle des « Junglers », unité paramilitaire créée par l’ex-Président, dans la répression de toute forme d’opposition.
« La confirmation de la condamnation de Bai Lowe par la Cour suprême allemande constitue une étape importante dans le cadre des poursuites pénales en cours et à venir contre les hauts responsables et donneurs d’ordre de ces crimes à l’étranger, notamment en Suisse et aux États-Unis, mais surtout en Gambie », a commenté Babaka Tracy Mputu, Conseillère juridique à TRIAL International. TRIAL International et son partenaire ECCHR avaient informé le parquet fédéral allemand en 2019 de la présence de Bai Lowe sur le territoire. A la suite de son arrestation en Allemagne en 2021, TRIAL International a transmis des informations supplémentaires aux autorités de poursuite allemandes et a apporté un soutien logistique et psychologique aux parties plaignantes pendant le procès.
En mai 2024, l’application de la compétence universelle a également permis à la Suisse de faire juger et condamner en première instance l’ex-ministre de l’Intérieur de la Gambie Ousman Sonko, ancien bras droit de Yahya Jammeh, également pour des crimes contre l’humanité commis entre 2000 et 2006, à 20 ans de prison.[1] En avril 2025 devrait s’ouvrir aux États-Unis, à Denver, le procès de Michael Correa, autre ancien membre présumé des Junglers, qui a été inculpé en juin 2020 pour torture d’individus suspectés d’avoir fomenté un coup d’État en 2006.
TRIAL International espère maintenant que, lors de sa prochaine réunion courant décembre, la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) donnera un avis favorable à la création d’un tribunal international spécial pour la Gambie, afin que les crimes de l’ère Jammeh puissent être jugés au plus près de leur lieu de commission.