Affaire Sheka et consorts : Les puissants d’hier sont les accusés d’aujourd’hui

20.11.2020

Goma/Genève, 20 novembre 2020 – pour diffusion immédiate. Le verdict approche pour le chef de guerre Ntabo Ntaberi, mieux connu sous le pseudonyme Sheka, et ses trois coaccusés. Après plus d’un an et demi de procès et encore plusieurs mois de délibération, les quatre prévenus risquent la prison à vie pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Un message fort à l’heure ou l’ex-acolyte de Sheka, Guidon Shimiray, pourrait à son tour être porté devant la justice.

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Le chef de guerre Sheka à l’ouverture de son procès en 2018. © TRIAL International / Elsa Taquet

Le procès-fleuve de Ntabo Ntaberi alias Sheka, redoutable commandant de la milice Nduma Defence of Congo (NDC), arrive à son terme. En août dernier, défense et accusation ont présenté leurs plaidoiries finales. Le Procureur a requis une peine de prison à vie. Charge maintenant aux juges de se prononcer sur la culpabilité des quatre prévenus dans des crimes de masse commis au Nord Kivu entre 2010 et 2014. Le verdict est attendu le lundi 23 novembre 2020.

Lire le communiqué du 27 novembre 2018 : Le chef de guerre Ntabo « Sheka » Ntaberi fait face à la justice

Me Jules Ruhunemungu, Coordinateur de projet chez Avocats sans Frontières (ASF), rappelle que la participation et le courage des victimes ont été déterminants dans ce procès. «Leur contribution a été un élément essentiel de la plaidoirie des avocats devant la cour pour appuyer les allégations formulées à l’encontre des accusés. Il faut saluer la volonté des parties civiles de braver la peur et de briser le silence pour faire avancer la lutte contre l’impunité en RDC.»

 

Crimes d’hier, crimes d’aujourd’hui

La communauté internationale a suivi de près le procès de Sheka et il ne fait aucun doute que le verdict sera largement relayé par les médias congolais et internationaux. Une décision d’autant plus importante que l’ex-second de Sheka au sein de la milice Nduma Defence of Congo (NDC), devenu depuis l’un des chefs de guerre le plus redouté de la région, pourrait être à son tour inquiété.

Petit retour en arrière : en 2014, des rivalités entre Sheka et son adjoint Guidon Shimiray mènent à la scission du NDC. Dès lors, factions du NDC s’affrontent entre elles jusqu’à la reddition de Sheka en 2017 aux autorités, et sa mise en accusation. Guidon Shimiray et ses hommes continuent de sévir au Nord Kivu jusqu’à ce jour.

Mais le glas pourrait sonner pour M. Shimiray, officiellement destitué dans un communiqué du NDC le 8 juillet 2020. Il est d’ailleurs sous le coup d’un mandat d’arrêt depuis juin 2019. L’ancien rival de Sheka pourrait-il être le prochain sur le banc des accusés ?

«Le parallèle entre Sheka et Guidon Shimiray est évident», confirme Me Elsa Taquet,  Conseillère juridique de TRIAL International, qui a travaillé aux côtés des avocats des parties civiles : «Tous deux étaient des hommes si forts du NDC que tout le monde les croyait intouchables. Le procès qui vient de s’achever prouve que Sheka n’est pas au-dessus des lois, pas plus que M. Shimiray qui devra un jour, à son tour, répondre de ses actes.»

 

Mettre fin au cercle vicieux de la violence

Comment expliquer cette répétition de l’histoire ? De nombreuses milices armées du Nord-Kivu se constituent comme des groupes d’auto-défense, pour lutter contre d’autres milices, voire contre les Forces armées de la RDC (FARDC) dont certains hommes se sont rendus, par moment, coupables d’exactions contre les populations civiles et leurs biens. Ainsi, les populations qui sont les victimes un jour peuvent prendre les armes le lendemain… et commettre des crimes à leur tour. Le cercle vicieux de la violence se perpétue et se renforce.

Pendant le procès, Sheka s’est présenté comme le défenseur des civils de Walikale et de Masisi. Mais les méthodes de sa milice racontent une toute autre histoire : viols de masse, esclavage sexuel, enrôlement d’enfants soldats, mutilations et traitements inhumains contre les individus d’ethnies Hunde et Hutu, etc. En tout, des milliers de civils ont vécu dans la terreur pendant plus de quatre ans.

Pour Me Patient Iraguha, Conseiller juridique senior de TRIAL International en RDC, seul l’État congolais peut mettre un terme à cette escalade : «Les civils ne devraient pas avoir à se défendre eux-mêmes, c’est le rôle des autorités de garantir leur sécurité. C’est pourquoi l’État congolais est également accusé dans le procès Sheka : tous les moyens n’ont pas été mis en œuvre pour prévenir les atrocités commises par le NDC.»

«La justice congolaise est-elle à l’épreuve ?», s’interroge Me Dominique Kamuandu, Coordinateur de Programme chez ASF. «Pour les sceptiques, ce procès pourrait prouver qu’il est possible d’offrir une réponse judiciaire aux violations graves des droits humains. Nous espérons que la cour respectera jusqu’au bout les standards internationaux et rencontrera les attentes des victimes sur les principes du procès équitable.»

Le verdict sera prononcé le lundi 23 novembre à partir de 9h au palais de justice militaire de Goma (Camp Katindo).

 

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