Disparition forcée de Esad Aliskovic en juillet 1992

12.02.2016 ( Modifié le : 12.10.2016 )

En juin 2010, TRIAL a déposé une requête individuelle devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme contre la Bosnie-Herzégovine (BiH) à propos de la disparition forcée de Esad Ališković intervenue en juillet 1992. Dans cette procédure, TRIAL représente Refika Ališković, épouse de Esad Ališković.

Le 20 juillet 1992, presque deux mois après l’attaque de la ville de Prijedor (29-30 avril 1992), l’armée serbe a attaqué Rakovćani, un village du secteur de « Brdo » situé dans la municipalité de Prijedor.

Au moment de l’attaque, la requérante se trouvaient chez elle avec son mari, leurs filles, le frère de son mari et la femme de ce dernier. Les deux hommes ont été séparés de leurs proches et contraints de rejoindre d’autres d’hommes précédemment arrêtés dans le même village. Les soldats n’ont fourni aucune information ni à la requérante, ni à sa belle sœur, sur les raisons de l’arrestation de leurs conjoints et sur le lieu dans lequel ils étaient détenus. De nombreux témoignages portés devant le TPIY affirment que les hommes de Brdo ont étés conduits au de camp de Keraterm aux alentours des 20-21 juillet 1992, et enfermés dans la pièce numéro 3. Le 24 juillet, les soldats ont tirés sur ces détenus, ne laissant que peu de survivants. Un témoin a fait part à Refika Ališković que ce que la veille du massacre, une vingtaine de détenus ont été appelés et emmenés vers une destination inconnue, parmi lesquels son mari. Depuis lors, nous ne détenons aucune information sur ce qu’il est advenu de Esad Ališković.

Plus de 18 ans après les événements, aucune enquête officielle, prompte, impartiale, minutieuse et indépendante n’a été effectuée par des autorités de BiH pour retrouver Esad Ališković ou le corps de celui-ci, et aucun responsable n’a encore été poursuivi, jugé ou sanctionné. Refika Ališković a effectué de multiples démarches pour obtenir des informations sur son mari auprès des autorités et des institutions nationales (notamment auprès des autorités de police et de la Commission fédérale des personnes disparues), et auprès d’institutions internationales (auprès de la Commission internationales des personnes disparues). Ces initiatives sont cependant restées vaines jusqu’à aujourd’hui.

Le 16 juillet 2007 la Cour Constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine, saisie par plusieurs parents des victimes de disparition forcées de Prjiedor et de ses environs, a retenu que la BiH avait violé le droit à ne pas être soumis à des tortures et des traitements inhumains et dégradants, ainsi que du droit au respect de la vie privée et familiale des proches des personnes disparues. Par conséquent, la Cour a ordonné aux autorités de l’Etat de divulguer toutes les informations disponibles sur ce qu’il est advenu des personnes disparues, y compris de Esad Ališković. Suite à cette décision, le Bureau de recherche des personnes disparues de la Republika Srpska a adressé une lettre à la requérante par laquelle il confirme l’inscription de son mari sur les registres de la Commission fédérale des personnes disparues, et fait part de la volonté des autorités de résoudre les cas de disparitions forcées. A ce jour, la requérante n’a reçu aucune information supplémentaires des autorités concernant les circonstances de la disparition de son mari et les mesures prises pour localiser les dépouilles. Les autorités de BiH ont donc jusqu’alors failli à l’exécution de la décision de la Cour Constitutionnelle et n’ont procuré aucune information pertinente à la Cour ou à la requérante.

Par conséquent, Refika Ališković demande à la Cour Européenne des Droits de l’Homme :

La procédure

Après une analyse préliminaire de la recevabilité de la requête, le 28 septembre 2012 a requête a été communiquée au gouvernement de la Bosnie-Herzegovine.

En janvier 2013, REDRESS et l’OMCT ont soumis à la CEDH un « amicus brief » à propos de ce cas afin d’éclaircir la nature du lien entre la disparition forcée et l’interdiction de la torture et autres mauvais traitements; ainsi que d’analyser la corrélation entre le caractère continu de la disparition forcée et le contenu du recours effectif et des réparations en faveur de la famille des disparus.

En janvier 2013, le Gouvernement de Bosnie-Herzégovine a présenté sa réponse, contestant la recevabilité et le fond de l’affaire. Le 25 mars 2013, TRIAL a plaidé, au nom des requérants, devant la Cour européenne des droits de l’homme, et contré les arguments avancés par l’Etat défendeur en mettant en évidence un certain nombre d’erreurs et de contradictions contenues dans le mémoire présenté par l’État à la Cour européenne. Celle-ci a transmis la réponse de TRIAL au gouvernement et lui a donné jusqu’au 13 mai 2013 pour soumettre des commentaires additionnels. Le 3 juin 2014, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a rendu sa décision. Elle a estimé que dans ce cas, les autorités bosniennes avaient fait tout ce qui pouvait être raisonnablement attendu, compte tenu des circonstances particulières qui prévalaient dans le pays jusqu’en 2005 et du grand nombre de crimes de guerre en instance devant les tribunaux locaux. La Cour a noté qu’ « il est évident que tous les auteurs directes des nombreux crimes de guerres commis dans le contexte de la purification ethnique dans la région de Prijedor n’ont pas été punis ». Néanmoins, elle a apprécié le fait que le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et la Cour d’Etat ont respectivement condamné 16 et 7 personnes dans le cadre des crimes commis dans cette région.

Voir également l’affaire Ramulić, dont les proches ont été enlevés dans le cadre des mêmes évènements.

 

Contexte général

Selon les sources, entre 100’000 et 200’000 personnes ont trouvé la mort pendant le conflit en BiH (1992-1995), et entre 25’000 et 30’000 personnes ont été victimes de disparition forcée. A ce jour, entre 10’000 et 13’000 personnes n’ont pas encore été retrouvées.

La disparition de Esad Ališković a eu lieu au cours de la première vague de disparitions forcées et de purification ethnique menée par les forces serbes, durant l’attaque armée de Prijedor et ses environs au printemps et à l’été 1992.

Jusqu’alors, personne n’a été poursuivi, condamné ou sanctionné pour la disparition forcée de Esad Ališković, renforçant ainsi un climat d’impunité déjà tenace. A ce jour, la famille de Esad Ališković  n’a reçu ni information quant au sort qui lui a été réservé, ni compensation adéquate et intégrale pour le préjudice subi.

 

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