Disparition forcée de Kamel Djebrouni : une enquête bâclée en deux jours

12.02.2016 ( Modifié le : 10.11.2016 )

Introduction

Au mois de février 2008, TRIAL a saisi le Comité des droits de l’homme des Nations unies d’une communication individuelle pour le compte de Fatma Zohra Berzig, veuve Djebrouni, agissant au nom de son fils, Kamel Djebrouni. Ce dernier a été enlevé durant la nuit du 19 au 20 novembre 1994, à Alger, et est porté disparu depuis. Ce cas s’insère dans le contexte des disparitions de milliers de citoyens algériens aux mains de l’armée et des différents corps de sécurité du pays entre 1992 et 1998.

Kamel Djebrouni a été enlevé du domicile familial par un groupe de militaires en présence de sa mère et de ses frères. Depuis son arrestation, et malgré des efforts constants, sa famille n’a réussi ni à le situer ni à avoir de ses nouvelles. Seul un ancien détenu, que la famille n’a pas pu interroger directement, a expliqué l’avoir vu dans un centre de détention non identifié au début de l’année 1995.

Pourtant, les proches de M. Djebrouni se sont adressés à toutes les institutions compétentes afin de s’enquérir de son sort. Imméditatement après l’enlèvement, le frère de Kamel Djebrouni s’est rendu au commissariat du quartier du 8èmearrondissement d’Alger. Toutefois, les policiers n’étaient pas en mesure de lui fournir de renseignements sur son frère et se sont contentés de lui conseiller d’attendre la fin du délai légal de garde à vue.

Les proches du disparu ont d’abord effectué des démarches auprès des services de police et des différents tribunaux d’Alger, afin de vérifier s’il n’avait pas été présenté à un procureur. Ils ont ensuit demandé à l’Observatoire national des droits de l’homme (ONDH) de lancer des recherches en vue de retrouver Kamel Djebrouni.

Après presque quatre ans, suite à plusieurs rappels de la famille, la gendarmerie leur enverra une convocation pour déposer un témoignage. L’enquête a pris fin à peine deux jours plus tard, sans qu’aucun élément ne permette de localiser la victime. L’ONDH a rapporté à la famille après plusieurs mois ses conclusions selon lesquelles Kamel Djebrouni n’avait pas été arrêté, vraisemblablement sur la seule base qu’il n’était pas officiellement recherché.

La famille, assistée par une ONG bien connue, a saisi le Groupe de Travail sur les Disparitions forcés et involontaires. Cette procédure spéciale n’a pas davantage permis d’éclaircir ce qui est arrivé à M. Djebrouni, l’Etat ayant omis de répondre aux requêtes qui lui ont été adressées.

De surcroît, les proches du disparu se trouvent confrontés, depuis la promulgation de l’Ordonnance n°6/01 portant la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale en février 2006, à l’interdiction légale de recourir à toute instance judiciaire, au risque d’encourir une peine de prison. Par ailleurs, toute juridiction algérienne est tenue de se dessaisir d’un tel cas.

L’auteur de la communication demande au Comité des droits de l’homme de reconnaître que Kamel Djebrouni a été victime d’une disparition forcée, un crime qui porte atteinte aux droits les plus fondamentaux tels que garantis par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). La plaignante sollicite que soient reconnues des violations des articles 2 § 3, 6 § 1, 7, 9 § 1, § 2, § 3 et § 4, 10 § 1 et 16 du PIDCP sur la personne de Kamel Djebrouni, et que soit reconnue une violation envers elle-même des articles 2 § 3 et 7 du PIDCP, pour les souffrances psychologiques endurées par tant d’années d’incertitude sur le sort de son fils.

 

Le contexte général

7’000 à 20’000 personnes, selon les différentes sources, ont été arrêtées ou enlevées par les services de sécurité algériens, tout corps confondus, ainsi que par les milices armées par le gouvernement entre 1992 et 1998 et sont portées disparues.

A ce jour aucune des familles de victimes de disparitions forcées n’ont reçu d’information sur le sort de leurs proches, aucune enquête n’a été ouverte suite aux plaintes et démarches qu’elles ont effectuées, et, bien que les auteurs et commanditaires de ces crimes soient connus, aucun d’entre eux n’a jamais été poursuivi ou inquiété

 

La décision

Au mois de décembre 2011, le Comité des droits de l’homme a communiqué sa décision (appelée « constatations » dans le jargon onusien).

Le Comité a retenu que l’Algérie avait violé les articles 6 § 1, 7, 9, 10 § 1 et 16 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, individuellement ou en lien avec l’article 2 § 3 du Pacte à l’égard de la victime.

Le Comité a également constaté une violation de l’article 7 du Pacte, individuellement et conjointement avec l’article 2 § 3, à l’égard de l’épouse de la victime et de leurs six enfants.

Le Comité a notamment enjoint l’Algérie de « mener une enquête approfondie et rigoureuse sur la disparition de Kamel Djebrouni », de fournir à sa famille « des informations détaillées quant aux résultats de son enquête », de le libérer immédiatement s’il est toujours détenu au secret ou de restituer sa dépouille à sa famille en cas de décès. Le Comité insiste par ailleurs sur l’obligation qu’a l’Algérie de « poursuivre, juger et punit les responsables des violations commises ». L’Algérie doit également indemniser de manière appropriée la mère de la victime pour les violations subies.

 

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