Disparition forcée de Safet Kozica en juin 1992

12.02.2016 ( Modifié le : 11.10.2016 )

Dans le courant du mois de novembre 2009, TRIAL a déposé devant le Comité des droits de l’homme des Nations Unies une communication individuelle contre la Bosnie-Herzégovine (BiH), à propos de la disparition forcée de Safet Kozica intervenue en juin 1992. Le CAJ représente dans cette procédure Mirha Kozica, la mère du disparu, Bajazit Kozica, le frère du disparu et Selima Kozica, la sœur du disparu.

Safet Kozica a été vu pour la dernière fois le 16 juin 1992 entre les mains des membres de l’armée de Republika Srpska (Vojska Republike Srpske – VRS) dans le camp de concentration de « Planijina Kuca », situé dans la municipalité de Vogošća en Bosnie Herzégovine (BIH). Nous ne savons pas ce qu’il est advenu de lui depuis.

Mirha Kozica, Bajazit Kozica et Selima Kozica vivent dans une situation d’incertitude pénible, malgré les nombreuses démarches qu’ils ont entrepris afin d’établir la vérité sur les circonstances de la disparition forcée de leur être cher, ce qu’il est advenu de lui et les progrès et résultats des enquêtes.

Plus de 17 ans après les événements, aucune enquête sérieuse et indépendante n’a été entreprise par des autorités de BiH pour retrouver M. Safet Kozica ou le corps de celui-ci, ou pour poursuivre et punir les auteurs de ce crime, entretenant ainsi le climat d’impunité déjà existant. Mirha Kozica a maintenant 80 ans et elle craint de mourir avant d’avoir pu connaître la vérité sur ce qui est arrivé à son fils.

Les auteurs se réfèrent aux conclusions de la Cour Constitutionnelle de BiH selon lesquelles actuellement dans le pays « le renvoi devant les tribunaux ordinaires ne rapporterait aucun résultat » et aucune institution spécialisée sur les disparitions forcées ne fonctionnerait efficacement en BiH. Par conséquent, en ce qui concerne l’affaire Safet Kozica, la Cour Constitutionnelle de BiH a accueilli la demande faite par Mme Mirha Kozica, considérant qu’elle, et les autres demandeurs, « n’avaient pas à leur disposition de remède effectif et adéquat pour protéger leurs droits ». La Cour Constitutionnelle de BiH a également déclaré dans une de ses décisions que les autorités de BiH ont manqué à l’exécution de ses précédentes décisions sur cette affaire. Cette décision de la Cour est fixe et définitive. Les auteurs n’ont donc plus d’autre recours interne effectif à intenter.

Le Comité de Droits de l’homme a précisé qu’il pouvait prendre en considération les violations qui se sont déroulées avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif dans un Etat partie, si ces violations se poursuivent de manière continue après l’entrée en vigueur du Protocole. La disparition forcée est intrinsèquement une violation permanente et continue de plusieurs droits, qui perdure tant que les criminels continuent à dissimuler ce qu’il est advenu de ces personnes et que ces faits ne sont pas clarifiés. De plus, les disparitions forcées et l’absence d’enquêtes par les autorités engendrent pour les proches des personnes disparues une angoisse et une détresse constantes, équivalentes à des traitements inhumains.

En conséquence, les auteurs de la communication demandent au Comité des droits de l’homme:

de constater que Safet Kozica a subi une violation par la BiH de l’article 2 par. 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (garantissant le droit à un recours utile) en conjonction avec les articles 6 (droit à la vie), 7 (interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants), 9 (droit à la liberté et à la sécurité), 10 (droit d’être traité avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne humaine) et 16 (droit à la reconnaissance de la personnalité juridique), en raison de sa disparition forcée, mais également de l’échec des autorités de BiH de mener une enquête rapide, impartiale, indépendante et complète concernant ces faits et d’identifier, juger et punir les personnes qui en sont responsables;

de constater que Mirha Kozica et ses enfants Bajazit et Selima ont subi une violation par la BiH de l’article 2 par. 3 du Pacte (droit à un recours utile) en conjonction avec l’article 7 (interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants), en raison de l’angoisse et des troubles psychiques causés par la disparition forcée de Safet Kozica, de l’absence d’information donnée quant à son sort et de l’inexistence d’enquête menée par les autorités de BiH;

d’exiger que les autorités de BiH entreprennent enfin – et rapidement – une enquête indépendante pour retrouver le corps de Safet Kozica, cas échéant d’exhumer ses restes, de les identifier et des les restituer à sa famille;

d’exiger de la BiH qu’elle poursuive pénalement les auteurs de la disparition forcée de Safet Kozica, qu’elle les juge et les sanctionne dans les plus brefs délais;

d’exiger de la BiH qu’elle offre à M. Safet Kozica et ses enfants la réparation du tort subi, notamment une compensation rapide, adéquate et équitable.

Contexte général

De 1992 à 1995, la guerre a ravagé ce petit Etat issu de l’ex-Yougoslavie. Selon les sources, entre 100’000 et 200’000 personnes y ont trouvé la mort et entre 25’000 et 30’000 personnes ont été victimes de disparition forcée. Environ 13’000 n’ont à ce jour pas encore été retrouvées. Le cas de Safet Kozica a s’est déroulé durant la première vague de disparitions forcées et de purification ethnique menée par les forces serbes durant le printemps et l’automne de 1992.

Malgré l’existence de preuves solides permettant d’identifier les personnes responsables de leur disparition forcée, et de témoins directs de ces événements, à ce jour personne n’a été poursuivi, condamné ou sanctionné pour ce crime, renforçant un climat d’impunité déjà tenace. A ce jour, les familles des personnes disparues à Vogošća n’ont toujours pas retrouvé leurs proches et n’ont aucune information quant au sort qui leur a été réservé.

 

La décision

Au mois de mars 2013, le Comité des droits de l’homme a communiqué sa décision(appelée « constatations » dans le jargon onusien). Le Comité a retenu que la Bosnie-Herzegovine avait violé l’article 2.3 en lien avec les articles 6, 7 et 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques à l’égard de la victime et de la famille.

Le Comité a notamment enjoint la Bosnie-Herzegovine de continuer les efforts pour établir la vérité sur le sort et retrouver le corps de Safet Kozica comme prévu par la Loi sur les personnes disparues de 2004, de « continuer les efforts pour juger et sanctionner les responsables de sa disparition forcée d’ici la fin de 2015 comme prévu par la Stratégie nationale pour les crimes de guerre », de « supprimer l’obligation pour les membres de la famille de déclarer les personnes disparues en étant décédées afin d’avoir accès aux bénéfices sociaux » et également d’indemniser de manière appropriée la famille du disparu pour les violations subies.

Le Comité insiste par ailleurs sur l’obligation qu’a la Bosnie-Herzegovine de « prévenir de telles violations par le futur » et de s’assurer que les enquêtes portant sur des disparitions forcées soit inclusives et garantissent accès à la famille de la victime.

 

©2024 trialinternational.org | Tous droits réservés | Politique de confidentialité | Statuts | Designed and Produced by ACW