De graves et multiples violations des droits de Idriss et Juma Aboufaied depuis novembre 2006

12.02.2016 ( Modifié le : 22.09.2016 )

L’affaire

En avril 2008, une communication individuelle conjointe de TRIAL et de l’organisation Al-Karama pour les droits de l’homme a été introduite devant le Comité des droits de l’homme des Nations Unies pour le compte de Tahar Mohamed Aboufaied, agissant au nom de ses frères, Idriss et Juma Aboufaied.

Idriss et Juma Aboufaied ont été arbitrairement arrêtés par des membres de l’Agence de Sécurité Intérieure libyenne et gardés incommunicado pendant une longue période. Idriss Aboufaied, qui est inculpé pour plusieurs crimes, a été soumis à des actes de torture durant sa détention. Il encourt la peine de mort au terme d’un procès actuellement en cours, marqué par l’absence des garanties les plus élémentaires de justice et d’équité. Son frère, Juma Aboufaied, qui n’a pas pu communiquer avec ses proches, reste détenu dans un lieu inconnu. Aucun motif n’a été fourni pour justifier sa détention et aucun chef d’inculpation n’a été présenté à son encontre.

Idriss Aboufaied est un militant renommé des droits de l’homme en Libye. Il a ouvertement appelé aux reformes politiques dans son pays. Réfugié en Suisse durant 16 ans, il est rentré en Libye suite aux promesses du colonel Khadafi de ne pas persécuter les opposants politiques en exil désireux de revenir. Il a été interrogé par des agents de la sécurité dès son arrivée à l’aéroport de Tripoli le 30 septembre 2006. Son passeport a été confisqué.

Le 5 novembre 2006, Idriss Aboufaied a été arbitrairement arrêté et détenu incommunicado pendant 54 jours, jusqu’à ce qu’il soit relâché le 29 décembre 2006. Lorsqu’il était en détention, il a dû être transféré à l’hôpital en raison d’actes de torture infligés par ses geôliers. Après sa libération, se déclarant déterminé à continuer son combat pour la démocratie, il a entrepris d’organiser, avec d’autres opposants critiques envers le régime en place, une manifestation pacifique devant se dérouler le 17 février 2007, pour revendiquer l’Etat de droit et le respect des libertés en Libye.

Le jour précédant cette datte, des agents de la sécurité ont à nouveau arrêté Idriss Aboufaied ainsi que les 11 co-organisateurs de la manifestation prévue, à savoir Jamal Alhaji, Fareed Azway, Almahdi Hmeed, Assadiq Hmeed, Faraj Hmeed, Adel Hmeed, Ali Hmeed, Ala Adrisi, Assadiq Gashoot, Bashir Alharis et Ahmad Alabeedi. Ils ont tous été emprisonnés depuis lors, et ont affirmé avoir été torturés.

Immédiatement après la deuxième détention de Idriss Aboufaied, son frère, Juma Aboufaied, a informé de l’incident par téléphone des personnes à l’extérieur du pays. Trois heures plus tard, il a lui-même été arrêté par des agents de la sécurité, selon toute vraisemblance en lien avec ces appels téléphoniques.

Un autre citoyen libyen, Abdelrahman Al-Gteewi, a également été arrêté. Pour l’un comme pour l’autre, aucun contact avec l’extérieur n’a été possible. Ils n’ont fait l’objet d’aucune inculpation, et les autorités leur ont refusé la moindre information sur leur sort ou lieu de détention.

Deux mois après les arrestations, plusieurs chefs d’inculpation ont été formulés à l’encontre des 12 hommes détenus en lien avec le projet de manifestation du 17 février 2007. A la date du dépôt de la communication, ils étaient en cours de jugement par la Cour Révolutionnaire de Sécurité, un tribunal spécial pour les opposants au régime. A l’issue de plusieurs mois d’un procès ostensiblement inéquitable, la Cour a annoncé que son jugement final serait rendu le 15 avril prochain. Les accusés risquent la peine de mort.

Tous les recours, judiciaires ou autres, prévus par la législation libyenne sont de factoinaccessibles aux victimes de crimes perpétrés pour des raisons politiques, en raison du risque quasi-certain de représailles sévères à l’encontre de ceux qui porteraient des accusations contre l’Etat et de la grande difficulté à se procurer l’aide d’un avocat dans le contexte de la terreur généralisée régnant en Libye. Par ailleurs, la probabilité que ces actions aboutissent favorablement est nulle, en raison du manque d’indépendance des tribunaux nationaux.

L’auteur de la communication demande au Comité de reconnaître que la Libye a violé, de par les faits décrits :

 

Le contexte général

Ces événements s’inscrivent dans le contexte de la répression implacable que subissent tous ceux qui osent élever des critiques contre le régime du colonel Khadafi, qui dirige le pays d’une main de fer depuis près de 40 ans. Il est de notoriété publique que les forces de sécurité – en premier chef l’Agence de Sécurité Intérieure – ont commis massivement et en toute impunité les pires exactions. Les opposants sont les principales cibles de ces pratiques.

Des lourdes condamnations, à l’issue de procès bafouant grossièrement toutes les garanties procédurales de base – à l’instar de l’instance en cours contre les 12 accusés dont il est question plus haut – sont un instrument commun de répression contre les dissidents en Libye.

La pratique des détentions incommunicado pendant des longues périodes est également récurrente, et les antécédents font craindre le pire concernant Juma Aboufaied et Abdelrahman Al-Gteewi, qui restent disparus à ce jour.

 

La décision

Au mois de mai 2012, le Comité des droits de l’homme a communiqué sa décision(appelée « constatations » dans le jargon onusien).

Le Comité a retenu que la Libye avait violé les articles 7, 9, 10 § 1 et 16 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques à l’égard de Idriss et Juma Aboufaied. Il a aussi retenu la violation des articles 12 § 2 et 14 § 1, 3(a) et 3(d) vis-à-vis Idriss Aboufaied. Le Comité a aussi trouvé une violation de l’article 2 § 3 du Pacte, individuellement ou en lien avec les articles 6 § 1, 7, 9, 10 § 1, 12 § 2 et 16.

Le Comité constate par ailleurs une violation de l’article 7 du Pacte, individuellement et conjointement avec l’article 2 § 3, en ce qui concerne l’auteur de la communication.

Le Comité a enjoint la Libye de fournir aux victimes et à l’auteur de la communication un recours effectif, notamment de « mener une enquête approfondie et rigoureuse sur la disparition et le mauvais traitement de Idriss et Juma Aboufaied », fournir des informations détaillées quant aux résultats de son enquête et de poursuivre, juger et punir les responsables de la disparition forcée et du mauvais traitement des frères Aboufaied. La Libye doit également indemniser de manière appropriée les victimes pour les violations subies.

 

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