Procès Kavumu : récit d’un enquêteur au cœur de l’affaire

09.01.2018

Avant que le destin ne l’amène sur la route des victimes de Kavumu, Georges Kuzma, un expert de justice et police, consultant pour Physicians for Human Rights (PHR) a mené des enquêtes liées au terrorisme et à la grande criminalité à travers le globe. Malgré ces précédentes expériences, ce procès a laissé une trace indélébile dans son parcours.

 

En mai 2013, vous avez été missionné par PHR pour soutenir des experts du Sud-Kivu dans des affaires de violences sexuelles liées au conflit en RDC. Quand et comment avez-vous réalisé l’ampleur de ces crimes ?

Mon mandat était de renforcer les capacités des praticiens de la santé, des enquêteurs et des magistrats dans la conduite des enquêtes et la documentation de violences sexuelles liées au conflit.

L’hôpital général de Panzi a été un de mes principaux partenaires en charge de cette problématique dans l’est de la RDC. Ensemble, nous avons identifié dès juin 2013 une série de crimes sexuels touchant une population ciblée : des fillettes, dans le village de Kavumu et ses environs.

Les crimes identifiés en 2013 ont abouti à deux condamnations. Mais la sérialité n’avait pas été mise en lumière à cette époque. Je crois qu’inconsciemment, nous ne pouvions pas imaginer l’horreur qui se préparait… Il a fallu qu’en mars 2014, sur une période d’un mois, sept nouveaux crimes soient rapportés pour que le doute ne soit plus possible. Tragiquement, de 2013 à 2016, 46 jeunes filles ont été victimes du même mode opératoire identifié.

Ensuite, outre le travail patient et minutieux réalisé par les médecins et les enquêteurs congolais avec le soutien de PHR et de TRIAL International, il a fallu convaincre les autorités judiciaires qu’il ne s’agissait pas de cas isolés indépendants mais plutôt d’un seul dossier. Cela laissait entrevoir une qualification pénale susceptible de se rapprocher des éléments de crimes internationaux.

 

Au fil des mois, une collaboration entre acteurs locaux et internationaux s’est établie. Comment cela a-t-il débuté avec TRIAL International ?

Début 2015, alors que les enquêtes sur les crimes de Kavumu occupaient mes journées et devenaient de plus en plus compliquées, Daniele Perissi de TRIAL International a contacté une collègue de PHR. Celle-ci lui a expliqué l’affaire Kavumu. A la fin de la réunion, Daniele a dit : « je crois que nous pouvons vous aider ».

Cette enquête, réalisée dans des conditions extrêmes, dû à la complexité et la récidive de ces cas, nécessitait l’implication d’acteurs nationaux qui, seuls, n’auraient pas eu les capacités de la faire aboutir. Il fallait que des experts internationaux viennent soutenir ce processus et apportent une méthodologie et des moyens complémentaires. Toutes les personnes et les organisations qui ont participé ont vraiment tiré à la même corde pour faire reculer l’impunité.

 

Vous avez une longue expérience dans les affaires criminelles. Quels sont les éléments saillants de l’affaire Kavumu ?

L’affaire est unique à bien des égards… D’abord par sa complexité légale, technique, mais surtout par sa dimension émotionnelle. Je garderai longtemps en mémoire l’image du visage triste et douloureux de ces jeunes filles lourdement blessées. Il faut réaliser que la majorité des victimes sont encore en vie et devront construire leur existence avec ces blessures.

La détresse des familles et des proches est palpable, ainsi que leur incompréhension face à cette situation : c’est toute la communauté de Kavumu qui a été touchée. La tension s’est ressentie le jour de l’ouverture du procès : un millier de personnes étaient présentes. Les familles des victimes comme celles des 18 prévenus étaient très attentives au déroulement des audiences et à la description des faits.

Chaque révélation, chaque prise de parole était attendue, scrutée et jugée par une assemblée curieuse et attentive. La population attendait avec impatience ce verdict avec l’envie de se reconstruire après ces crimes odieux.

 

Vous qui avez longtemps travaillé en RDC, pays tristement célèbre pour les violences sexuelles qui s’y commettent. Y a-t-il eu des avancées aux niveau juridique ?

La RDC a un passé douloureux, les corps et les âmes des congolais sont durablement blessés. Mais depuis mes premières missions dans le pays il y a huit ans, j’ai pu constater d’énormes progrès dans les enquêtes et les jugements en matière de violences sexuelles.

L’impunité est encore très présente, il faut absolument renforcer les capacités des enquêteurs, des magistrats, mais également des personnels de santé, pour une prise en charge holistique des violences sexuelles. Il faut également que priorité soit donnée au droit des victimes à des réparations, et à une vie sûre, digne et libre.

 

 

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