RDC : condamnation pour grossesse forcée et d’autres crimes contre l’humanité pour le chef de guerre Ndarumanga

17.05.2023 ( Modifié le : 27.03.2024 )

Le Tribunal Militaire de Garnison d’Uvira a condamné à perpétuité Munyololo Mbao, alias Ndarumanga et ancien chef d’un groupe armé Raia Mutomboki en République Démocratique du Congo (RDC) le 15 mai 2023. Parmi les crimes contre l’humanité retenus contre Ndarumanga figure le crime de grossesse forcée, une première mondiale devant un tribunal national.

 

© Trial International

 

Le crime de grossesse forcée : un précédent historique devant un tribunal national

Malgré le fait que le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) ait intégré pour la première fois en 1998 le crime de grossesse forcée dans la liste des crimes de guerre et crimes contre l’humanité, ce n’est qu’en 2021 que ce crime a été poursuivi par la CPI, dans le jugement rendu dans l’affaire Dominic Ongwen, un ancien combattant de l’Armée de résistance du seigneur dans le nord de l’Ouganda.

Compte tenu de la fréquence des violences reproductives dans les contextes de conflit, la spécificité du crime de grossesse forcée est l’attention portée au droit des femmes à une autonomie personnelle et reproductive ainsi qu’au droit à la famille. La définition du crime requiert la détention illégale d’une ou plusieurs femmes, mises enceintes de force, avec l’intention spécifique de modifier la composition ethnique d’une population ou de commettre d’autres violations graves du droit international.

Trois femmes ayant connu ce sort ont été entendues durant le procès. Une des victimes témoigne : « Après avoir été kidnappée par les hommes de Ndarumanga en 2012 quand j’étais mineure, je suis restée emprisonnée pendant deux ans. Ndarumanga lui-même m’utilisait comme esclave sexuelle et pour préparer à manger. Il m’a imposé de relations sexuelles à maintes reprises et m’a rendue enceinte deux fois. J’ai été maltraitée par lui et ses hommes quand j’ai essayé de fuir et j’ai été obligée d’accoucher mon premier enfant en captivité ».

Le Tribunal a considéré que, lors de la captivité de ces trois femmes, Ndarumanga avait l’intention de commettre d’autres crimes graves à leur égard, y compris le viol. Cela était suffisant pour prouver ce crime contre l’humanité, même en l’absence de l’intention de modifier la composition ethnique d’une population.

« Il était important pour nous de considérer également les conséquences du crime sur les enfants issus du viol et des grossesses forcées. Ces enfants subissent un préjudice particulier qui doit être pris en compte pour qu’ils soient reconnus comme victimes directes et pour que la justice puisse leur octroyer des réparations spécifiques, notamment des mesures pour assurer une scolarisation et un soutien socioéconomique, médical et psychologique approprié » ajoute Chiara Gabriele, conseillère juridique principale de TRIAL International en RDC.

Il s’agit de la première fois qu’un tribunal pénal national reconnait le crime de grossesse forcée comme crime international prévu par le Statut de Rome de la CPI.

 

Justice pour les victimes à la fin du procès

Afin de juger les crimes commis par Ndarumanga, le Tribunal Militaire de Garnison d’Uvira s’est rendu en audience foraine à Mwenga, au plus près des 121 victimes qui se sont constituées parties civiles dans cette affaire. Le procès s’est déroulé du 8 au 15 mai 2023 et a permis aux juges d’entendre des dizaines de victimes et témoins des événements.

A la fin du procès, le Tribunal a reconnu Ndarumanga responsable de crimes contre l’humanité par meurtre, torture, viol, esclavage sexuel, grossesse forcée, emprisonnement et autres actes inhumains. Le chef de guerre a écopé d’une peine de prison à vie et une compensation financière a été prononcée en faveur de toutes les victimes. La responsabilité civile de l’État congolais n’a pas été reconnue pour les crimes en question.

TRIAL International a soutenu la documentation des crimes commis par Ndarumanga et a accompagné les avocat·e·s des parties civiles dans la procédure.

« Nous nous réjouissons pour ce verdict favorable aux victimes qui voient leurs droits affirmés avec la condamnation de Ndarumanga. Nous estimons que l’État congolais aurait dû être sanctionné sur le plan civil pour ne pas avoir protégé sa population pendant la longue période de commission des crimes. Néanmoins, cette affaire représente une avancée très importante pour la lutte contre les violences sexuelles en période de conflit de par la reconnaissance du crime de grossesse forcée » explique Daniele Perissi, responsable du programme en RDC de TRIAL International.

 

La population civile victime de crimes systématiques pendant plus de 10 ans

Les Raia Mutomboki, ou « les citoyens en colère » en swahili, sont des mouvements locaux d’autodéfense qui se sont structurés en groupes armés et qui opèrent dans la province du Sud Kivu. Ces groupes ont pris de l’ampleur à partir de 2011 en réaction aux attaques commises contre la population par la milice rwandaise FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda), facilitées par un vide sécuritaire lié à la restructuration de l’armée congolaise.

La faction « Ndarumanga » des Raia Mutomboki, quant à elle, s’est disputée le contrôle de plusieurs zones dans les territoires de Walungu et Shabunda en menant des attaques armées répétées entre 2012 et 2021, parfois contre d’autres groupes armés présents dans la région, parfois en coalition avec certains groupes armés contre l’armée congolaise. Lors de ces attaques, de nombreuses exactions ont été commises contre la population civile.

Suite à son arrestation en novembre 2021, les crimes de Ndarumanga ont fait l’objet d’une enquête judiciaire menée par les autorités militaires de poursuite qui a conduit à sa mise en accusation en aout 2022 pour crimes contre l’humanité.

 

Le travail de TRIAL International sur ce dossier est mené dans le cadre de la Task Force Justice Pénale Internationale du Sud Kivu, un réseau informel d’acteurs internationaux qui collaborent afin de soutenir le travail des juridictions congolaises dans l’enquête et la poursuite des crimes de masse en RDC.
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