RDC: La Cour d’appel du Kasaï-central condamne un milicien pour crimes contre l’humanité

06.09.2023 ( Modifié le : 18.09.2023 )

Le vendredi 25 aout 2023, la Cour d’appel du Kasaï-central a condamné pour crimes contre l’humanité un milicien pour le meurtre et la décapitation de trois inspecteurs de l’enseignement, leur chauffeur et un conseiller du ministre provincial. Ces atrocités ont été perpétrées au plus fort de l’insurrection du groupe armé Kamuina Nsapu en avril 2017. Il s’agit de l’un des premiers procès pour crimes graves tenus par la justice civile dans le pays.

© TRIAL International

 

UNE COMPÉTENCE (INÉGALEMENT) PARTAGÉE ENTRE JUSTICE MILITAIRE ET CIVILE

Jusqu’en 2013, la lutte contre l’impunité pour les crimes internationaux en RDC était placée exclusivement entre les mains des tribunaux militaires. Selon les standards internationaux en matière de droits humains et administration de la justice, les enquêtes et poursuites des violations graves des droits humains devraient être menées par les juridictions ordinaires, à cause du manque d’indépendance et des interférences politiques et hiérarchiques dont peut souffrir la magistrature militaire.

En 2013, le parlement congolais a adopté une loi qui a élargi la compétence sur les crimes graves à la justice civile, notamment aux Cours d’appel. Malgré cette législation, force est de constater que les juridictions civiles ne se sont pas encore appropriées ces affaires, pour lesquelles la justice militaire continue à avoir le monopole. Depuis 2013, plus de 50 décisions ont été prononcées par les juridictions militaires et seulement deux décisions ont été rendues par les juridictions civiles.

 

UN RENFORCEMENT NÉCESSAIRE POUR LES JURIDICTIONS CIVILES

Face à cette léthargie, dans les dernières années plusieurs partenaires de la justice congolaise ont procédé à intégrer systématiquement les magistrats civils dans toutes les activités de renforcement de compétences sur cette thématique. En fin 2022, le gouvernement congolais a recruté 5’000 nouveaux magistrats qui vont renforcer les ressources de la magistrature dans les années à venir.

En coordination avec ses partenaires, TRIAL International renforce les capacités techniques et opérationnelles des juridictions civiles sur des affaires particulièrement complexes comme les crimes internationaux.

« La Cour d’appel du Kasaï-central a démontré que la justice ordinaire dispose des capacités nécessaires à faire la lumière sur des cas de crimes graves et en sanctionner les auteurs » explique Guy Mushiata, coordinateur national de TRIAL International en RDC. « Nous espérons que ce verdict montre la voie afin que la magistrature civile joue pleinement son rôle dans la lutte contre l’impunité ».

 

UNE AFFAIRE EMBLÉMATIQUE AU KASAI-CENTRAL

La région du Kasaï a connu un violent conflit qui a opposé entre 2016 et 2019 les forces de sécurité étatiques aux nombreuses milices qui appartenaient à l’insurrection Kamuina Nsapu. La population civile, prise en étau entre les factions armées, a subi de nombreuses atrocités, dont la plupart sont encore impunies. La Cour d’appel du Kasaï-central était confrontée à une affaire tristement célèbre de cette période. Le 30 avril 2017, une équipe d’inspecteurs de l’enseignement chargés de superviser l’épreuve nationale du baccalauréat avait été interceptée dans la localité de Bayamba (territoire de Kazumba, à environ 120 km de la capitale provinciale Kananga) à une barrière des miliciens dirigés par le général autoproclamé Kabue Ditunga. Trois inspecteurs, le conseiller du ministre provincial de l’enseignement et leur chauffeur ont été tués et décapités, leurs corps n’ont jamais été retrouvés.

À partir du 20 aout 2023, la Cour d’appel a traité le dossier en audience foraine dans le territoire de Kazumba où elle a entendu le prévenu Mulumba Kamuatoka Thomas, les familles des victimes ainsi que plusieurs témoins des crimes. La cour a aussi visionné une vidéo dans laquelle on voit le prévenu célébrer la décapitation des inspecteurs avec les autres miliciens du groupe.

À la fin du procès le prévenu a été condamné pour meurtre comme crime contre l’humanité et pour participation à un mouvement insurrectionnel. La cour a octroyé aux cinq familles des victimes – qui ont participé au procès représentées par un collectif d’avocat·e·s que TRIAL International a accompagné – des réparations judiciaires de 100’000 dollars américains chacune. La peine de mort a été prononcée à l’encontre du condamné. « La qualification retenue de crimes contre l’humanité montre bien la gravité des actes perpétrés. Nous nous inquiétons toutefois de l’utilisation de la peine de mort comme sanction infligée au condamné. Même si elle n’est pas appliquée en RDC, TRIAL International considère la peine de mort comme une violation du droit à la vie ainsi que du droit de ne pas être soumis à un traitement cruel, inhumain ou dégradant, droit qui est reconnu à tout individu, indépendamment des crimes commis » souligne Daniele Perissi, Responsable du programme Grands Lacs.

 

©2024 trialinternational.org | Tous droits réservés | Politique de confidentialité | Statuts | Designed and Produced by ACW