Un ancien membre des «escadrons de la mort» gambiens accusé de torture aux Etats-Unis

12.06.2020 ( Modifié le : 16.06.2020 )

L’inculpation aux États-Unis, le 11 juin 2020, d’un ancien membre présumé des « Junglers » pour des actes de torture est une étape importante pour les victimes gambiennes et la justice internationale, ont déclaré plusieurs organisations de défense des droits humains le 12 juin 2020. Selon elles, cette nouvelle est une avancée majeure vers la justice pour les victimes des abus commis sous le régime de Yahya Jammeh.

Michael Correa est le premier membre des escadrons de la mort de Yahya Jammeh à faire l’objet de poursuites judiciaires dans le monde. © Département de la Justice des États-Unis

Michael Sang Correa, 41 ans, était un membre présumé du célèbre escadron de la mort appelé « Junglers », des troupes de choc formées par l’ancien président gambien Yahya Jammeh, au milieu des années 1990. Les 22 années de règne de Jammeh ont été marquées par de nombreuses violations des droits humains, notamment des disparitions forcées, des exécutions extrajudiciaires, des violences sexuelles, des actes de torture et des détentions arbitraires. Yahya Jammeh se trouve actuellement en Guinée équatoriale, où il a fui après avoir perdu l’élection présidentielle de 2016 au profit d’Adama Barrow.

« Je veux que justice soit faite pour moi et pour tous les autres qui ont été victimes de Yahya Jammeh et de ses forces de sécurité », a déclaré Baba Hydara, fils de Deyda Hydara, le rédacteur en chef du journal The Point assassiné lors d’une opération de 2004 à laquelle Correa aurait participé. « Il est important de veiller à ce que de tels abus ne se reproduisent plus jamais en Gambie, ni ailleurs. »

 

UNE LONGUE LISTE DE CRIMES

Dans son acte d’accusation présenté devant le tribunal de district du Colorado, le Département de la Justice des États-Unis (DOJ) allègue que Michael Correa est responsable de la torture d’au moins six personnes en 2006, suite à une tentative de coup d’État contre Jammeh. Selon l’acte d’accusation, Correa et d’autres Junglers ont battu leurs victimes avec des tuyaux, des fils et des branches en plastique, leur ont couvert la tête avec des sacs en plastique et soumis certaines d’entre elles à des chocs électriques. Une victime aurait été suspendue dans un sac de riz et battue sévèrement, alors que les bourreaux versaient du plastique fondu ou de l’acide sur le corps des autres victimes.

Correa est également impliqué dans d’autres crimes du gouvernement Jammeh. En Gambie, d’anciens Junglers ont déclaré à la Commission vérité, réconciliation et réparations (TRRC) que Correa a non seulement torturé des personnes accusées d’avoir planifié le coup d’Etat, mais qu’il aurait également participé à l’exécution de l’ancien chef des services de renseignement Daba Marenah et de quatre de ses associés en avril 2006. Outre ces faits et le meurtre de Deyda Hydara, d’anciens membres des Junglers l’ont également accusé d’avoir participé au meurtre du journaliste Chief Ebrima Manneh, de neuf détenus en août 2012 et de deux binationaux Gambiens et Américains, Alhagie Mamut Ceesay et Ebou Jobe, en 2013.

Depuis 2019, la TRRC documente les violations des droits humains commises sous le régime de Yahya Jammeh, y compris les crimes présumés commis par les Junglers. Le gouvernement gambien, qui a coopéré avec les enquêteurs américains, a reporté les poursuites contre la plupart des auteurs de crimes présumés jusqu’à ce que la TRRC ait terminé son travail.

En septembre 2019, les services américains de l’immigration et des douanes ont arrêté Correa au Colorado parce que la validité de son visa était échue. Depuis son arrestation, une coalition de victimes et d’organisations de défense des droits humains ont demandé à la justice américaine d’enquêter sur des allégations qu’elle jugeait crédibles de graves crimes internationaux commis par Correa en Gambie. Le 18 février, les sénateurs américains Patrick Leahy et Richard Durbin ont également exhorté le gouvernement à enquêter sur Correa et, si nécessaire, à le poursuivre en justice aux États-Unis.

 

LE PREMIER « JUNGLER » POURSUIVI

L’inculpation de Correa est la première poursuite d’un membre des escadrons de la mort de Jammeh dans le monde, ont déclaré les groupes de défense des droits humains, parmis lesquels the African Network Against Extrajudicial Killings and Enforced Disappearances, le Center for Justice and Accountability, le Gambia Center for Victims of Human Rights Violations, le Guernica Centre for International Justice, Human Rights Watch, la fondation Solo Sandeng, et TRIAL International. L’ancien ministre de l’intérieur gambien Ousman Sonko, un autre associé de Yahya Jammeh, est toujours en détention préventive en Suisse, où il fait l’objet d’une enquête pour crimes contre l’humanité.

Si elle progresse, l’affaire Correa ne sera que la deuxième affaire à être jugée par des fonctionnaires américains en vertu du Code des États-Unis, depuis l’adoption en 1994 de son paragraphe sur la torture commise hors du pays. Cette loi érige en infraction pénale des actes de torture commis à l’étranger pour toute personne présente aux États-Unis, qu’elle soit ou non citoyenne américaine, et s’applique quelle que soit la nationalité de la victime. Seul précédent : Charles « Chuckie » Taylor Jr, le fils de l’ancien président libérien Charles Taylor, condamné en 2008 par un tribunal de Miami et qui purge une peine de 97 ans.

« Utiliser la loi américaine sur la torture pour poursuivre l’un des principaux hommes de main de Jammeh est un moment important pour la justice en Gambie », a déclaré Ya Mamie Ceesay, la mère de l’homme d’affaires Alhagie Mamut Ceesay. « Les auteurs de crimes internationaux doivent être tenus pour responsables où qu’ils se trouvent. »

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