Crimes internationaux impunis : comment les ONG mènent l’enquête

10.07.2019 ( Modifié le : 22.07.2019 )

Emmanuelle Marchand est conseillère juridique principale et enquêtrice pour l’ONG Civitas Maxima. Tout comme TRIAL International, cette dernière collecte des preuves des pires atrocités et les porte à la connaissance des autorités de poursuite. Éclairage sur un métier de terrain méconnu, qui met en évidence le rôle capital des ONG dans la lutte contre l’impunité.

Emmanuelle Marchand, Conseillère juridique principale et enquêtrice à Civitas Maxima. ©TRIAL International / JMB

« Ma première mission pour Civitas Maxima était en 2013 au Libéria. C’était aussi ma première expérience en Afrique, un vrai dépaysement ! Heureusement, comme beaucoup d’ONG dans ce domaine, Civitas Maxima était déjà dotée d’un réseau local efficace. Mes collègues libériens et ivoiriens connaissaient évidemment parfaitement le contexte et j’ai appris à le comprendre grâce à eux.

Rapidement, nous avons naturellement trouvé notre complémentarité, que nous avons toujours aujourd’hui. Eux gèrent le stade initial de l’enquête, recueillent les premières informations et prennent contact avec les victimes et les témoins. Mes collègues genevois et moi venons ensuite en complément pour, le cas échéant, interroger les victimes et définir la stratégie juridique. Il faut être réaliste et modeste : en tant qu’étrangère, je n’aurai jamais la même capacité qu’eux à tisser des liens de confiance. Et mes déplacements seront toujours moins discrets…

Débarquer dans un contexte étranger présente aussi des avantages. Forcé d’adapter son comportement, on est aussi plus attentif à celui des autres. Il faut relativiser toutes ses habitudes pour comprendre une autre façon de vivre et d’être. À la lumière de mes expériences préalables, au Cambodge notamment, je constate aussi des points communs dans de contextes très différents : la résilience des survivants, la manière dont la vie reprend le dessus. »

 

ONG et autorités nationales sont complémentaires

« Les ONG spécialisées sont un chainon crucial dans la collecte de preuves. Nous avons une mobilité et une flexibilité que les autorités judiciaires n’ont pas, nous sommes donc souvent plus réactifs et mieux implantés localement. À l’inverse, notre travail est inutile si des autorités nationales refusent d’initier une affaire contre un suspect. Rendre justice reste un pouvoir régalien et la société civile n’a pas vocation à s’y substituer ! Nous sommes donc complémentaires.

Malgré cela, certains procureurs ou magistrats d’autorités nationales ont parfois un comportement ambivalent vis-à-vis des ONG, même spécialisées dans les enquêtes et la collecte de preuves. D’une part, ils doivent compter sur les informations collectées par les ONG et leur accès aux sources d’information. Mais d’autre part, ils ressentent de la frustration de ne pas mener tout le processus de A à Z comme ils le feraient habituellement chez eux, et l’on ressent parfois un certain manque de confiance. Heureusement, dans la plupart des cas le rapport avec les autorités nationales est constructif et les choses se passent bien.

Dans ce sens, la multiplication des affaires de compétence universelle est une vraie opportunité. Face à la complexité des affaires, tous les acteurs doivent tirer à la même corde. Et plus nous coopérons, plus nous apprenons à nous connaître et plus la confiance s’établit. »

 

Au Libéria, un changement de paradigme

« À chaque fois que je retourne au Libéria, je mesure le chemin parcouru. Plusieurs hauts responsables d’atrocités ont été arrêtés ou condamnés hors du pays, ce qui a suscité un véritable changement de paradigme. Ils ne sont plus perçus comme tout-puissants et inattaquables ; la justice au Libéria est devenue une possibilité concrète.

Désormais, la lutte contre l’impunité est un sujet régulier dans les médias nationaux. Les manifestations en faveur d’un mécanisme national de poursuite se multiplient. Les libériens se sont appropriés la quête de justice et ne comptent pas en rester là ! La peur a changé de camps, ce sont désormais les anciens bourreaux qui ne sont pas tranquilles. »

 

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