Disparition forcée de deux membres de l’opposition: la Libye doit enquêter
A la veille de l’examen périodique universel de la Libye par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, TRIAL (Track Impunity Always) a soumis ce jour deux nouveaux cas de disparitions forcées au Comité des droits de l’homme des Nations unies. L’organisation appelle le Conseil des droits de l’homme à mettre la question de l’impunité des auteurs de violations des droits de l’homme en Libye à l’ordre du jour.
Les cas d’Izzat Yousef Al-Maqrif et Jaballa Hamed Matar
M. Izzat Yousef Al-Maqrif et M. Jaballa Hamed Matar étaient tous deux des figures importantes de l’opposition au régime du Colonel Kadhafi. Exilés en Egypte jusqu’en 1990, ils y ont été arrêtés par les autorités égyptiennes avant d’être transférés à la Libye. Depuis lors, ils sont portés disparus.
Izzat Al-Maqrif a fait partie de l’armée Libyenne jusqu’en 1973, date à laquelle il a été accusé d’avoir pris part à une tentative de renversement du gouvernement Kadhafi. Après avoir été emprisonné durant presque un an, il a été relâché et congédié de l’armée. Izzat Al-Maqrif et sa famille ont fuit le pays en 1981, s’établissant au Caire dès 1984. A cette époque, Izzat Al-Maqrif était l’un des membres du Comité exécutif du Front National pour le Salut de la Libye (FNSL).
Jaballa Matar a été arrêté et détenu pendant six mois en 1970. Il a travaillé quelques années pour le gouvernement, avant de démissionner en raison d’un désaccord politique. Homme d’affaires entre 1973 et 1978, il a décidé de fuir le pays l’année suivante, ne s’y sentant plus en sécurité, et de rejoindre sa famille en au Caire, où ils ont passé les onze années suivantes. Comme Izzat Al-Maqrif, Jaballa Matar était lui aussi membre du Comité exécutif du Front National pour le Salut de la Libye. Durant ces années, il a été l’auteur de nombreux articles appelant à l’instauration de démocratie, de l’état de droit et de la justice en Libye.
Arrestation en Egypte et disparition forcée en Libye
Izzat Yousef Al-Maqrif et Jaballa Hamed Matar ont été interrogés au Caire les 4 et 5 mars 1990 par des agents du Bureau de sécurité et d’investigation égyptien, et leurs passeports ont été confisqués.
Le 12 mars 1990, les autorités égyptiennes les ont à nouveau interpelés. Ils ont alors été remis à des agents libyens puis transférés immédiatement en avion vers la Libye. Leurs proches ne les ont jamais revus.
Malgré le fait que la Libye a constamment nié avoir arrêté et détenu ces deux figures de l’opposition, Izzat Yousef Al-Maqrif et Jaballa Hamed Matar sont parvenus à acheminer clandestinement des lettres manuscrites depuis la prison d’Abu Salim en Libye. Leurs proches n’ont plus obtenu de nouvelles directes d’eux depuis environ 1995. Toutefois, une information leur est parvenue laissant entendre que l’un des deux hommes était encore en vie en 2002.
Pour Philip Grant, directeur de TRIAL, «les preuves disponibles démontrent clairement que les deux victimes ont été ramenées en Libye et secrètement détenues pendant des années. De tels actes s’inscrivent dans une pratique connue d’enlèvements et d’assassinats des leaders de l’opposition par l’Etat libyen». Les disparitions forcées constituent d’ailleurs des crimes réprimés par le droit international. «Les familles des victimes ont aujourd’hui le droit de connaître la vérité sur ce qui leur est advenu», a ajouté Philip Grant.
Examen périodique universel
Le 9 novembre 2010, la Libye sera soumise à l’examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. A cette occasion, TRIAL appelle les membres du Conseil à insister sur l’obligation de la Libye d’enquêter sur les cas de disparitions forcées, d’exécutions extrajudiciaires et de torture, et de juger les responsables de tels actes.
Contexte
Depuis le coup d’Etat qui a mené le Colonel Kadhafi au pouvoir en 1969, plusieurs groupes d’opposition à son régime ont été créés à l’étranger. L’un des groupes d’opposition les plus importants était le FNSL, qui s’est opposé au pouvoir de la dictature militaire en Libye, exigeant un retour à un gouvernement démocratique, à des garanties constitutionnelles, à des élections et une presse libres et à la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Les disparitions forcées d’Izzat Al-Maqrif et de Jaballa Matar, deux membres haut placés d’un groupe d’opposition opérant depuis l’étranger, s’inscrivent dans un contexte de répression implacable mise en place par le gouvernement libyen contre de tels groupes.
A propos de TRIAL
TRIAL est une ONG basée à Genève, active dans le domaine de la justice internationale et qui jouit du statut consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations unies. TRIAL a soumis près de 60 cas de disparitions forcées, d’exécutions extrajudiciaires et de torture auprès de différents instances des droits de l’homme, notamment la Cour européenne des droits de l’homme et le Comité des droits de l’homme de l’ONU. TRIAL n’est en aucune manière affiliée à une organisation, à un groupe ou un parti s’occupant de politique en Libye, et n’a en particulier aucun lien avec le FNSL. La seule motivation de l’ONG consiste dans le respect des droits de l’Homme et la lutte contre l’impunité.
Pour plus d’information
- Les affaires de TRIAL en Libye
- Comité des droits de l’homme des Nations unies
Questions & Réponses
Les deux victimes sont-elles toujours en vie?
- Personne ne sait si elles sont encore vivantes. En 1996, près de 1’200 prisonniers ont été massacrés au sein de la prison d’Abou Salim, là où les deux hommes étaient alors détenus. Il est impossible de savoir s’ils figurent parmi les personnes ayant trouvé la mort. Cependant, un ancien détenu a fait savoir que l’un des deux hommes a été vu en vie en 2002.
Pourquoi les deux cas n’ont ils pas été portés aussi contre l’Egypte?
- L’Egypte a ratifié la Pacte international sur les droits civils et politique en 1982 mais n’a pas ratifié le Protocole facultatif à ce Pacte, qui offre aux individus la possibilité de soumettre leur cas au Comité des droits de l’homme. Nonobstant, l’Egypte est tenue de respecter les droits garantis par le Pacte, ce qui n’a clairement pas été le cas dans cette affaire. Les victimes ne disposant pas de la possibilité de soumettre leur plainte devant le Comité des droits de l’homme contre l’Egypte, seule la Libye est partie à la procédure.
Que peut on attendre de la part du Comité des droits de l’homme?
- TRIAL attend du Comité qu’il déclare la Libye responsable de la disparition d’Izzat Al-Maqrif et de Jaballa Matar et par conséquent de la violation de nombreuses dispositions du Pacte. Si telle est sa conclusion, le Comité pourra également requérir de la Libye qu’elle prenne les mesures nécessaires afin qu’une enquête soit menée concernant ces deux cas et que les auteurs de ces crimes soient jugés, fasse la lumière sur le sort des victimes et l’endroit où elles se trouvent et enfin offre des mesures de réparation à leurs familles.
D’autres cas mettant en cause la Libye ont-ils déjà été soumis au Comité des droits de l’homme?
- Quatre cas ont précédemment été soumis contre la Libye par TRIAL en collaboration avec Al Karama for Human Rights devant le Comité des droits de l’homme. Ils concernent des actes de détentions arbitraires, de mort sous la torture, de disparitions forcées et d’autres violations graves de droits de l’Homme. Ces dossiers sont actuellement en cours de traitement par le Comité.
- Par ailleurs, dans huit affaires déjà tranchées par le Comité, la Libye a été reconnu coupable de violations des droits garantis par le Pacte (aucune de ces affaires n’avaient été soumises par TRIAL).
Quelle est la différence entre le Conseil des droits de l’homme et le Comité des droits de l’homme?
- Le Conseil des droits de l’homme est l’organe politique intergouvernemental en charge des questions relatives aux droits de l’homme au sein du système onusien. Son rôle principal est de s’occuper des situations de violations de droits de l’homme et d’émettre notamment des recommandations.
- Le Comité des droits de l’homme est un organe composé d’experts indépendants qui supervisent l’application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques par les Etats parties. Il exerce de multiples fonctions et a notamment la compétence d’examiner les plaintes individuelles concernant des allégations de violations des droits garantis par le Pacte par les Etats parties à celui-ci (lorsque ces Etats ont ratifié le Protocole additionnel).