Disparitions forcées de Adel et Tarek Kerouane en 1994 et de Mohamed Kerouane en 1996

12.02.2016 ( Modifié le : 15.09.2016 )

En janvier 2012, TRIAL a saisi le Comité des droits de l’homme des Nations unies d’une communication individuelle pour le compte de Mmes Kamela Allioua et Fatima Zohra Kerouane. Celles-ci agissent au nom de leurs petits-fils et frères, MM. Adel, Tarek et Mohamed Kerouane, arrêtés respectivement le 12 avril 1994, le 20 mai 1994 et le 22 février 1996 à Constantine par des agents de l’Etat et portés disparus depuis. Ces disparitions se sont produites dans le contexte des disparitions massives survenues en Algérie entre 1992 et 1998.

M. Adel Kerouane a été arrêté le 12 avril 1994, par des agents des services de sécurité de Constantine. Il a disparu après avoir passé une quinzaine de jours à l’hôpital alors qu’il avait été blessé par balle à la jambe lors de l’arrestation. Sa famille demeure sans nouvelle sur son sort depuis son transfert de l’hôpital pour un lieu inconnu. M. Tarek Kerouane a quant à lui été interpellé le 20 mai 1994, alors qu’il était agé de 16 ans, par des agents des services de la police judiciaire de Constantine. Aperçu une dernière fois par son oncle lors de la perquisition de son domicile, M. Tarek Kerouane est porté disparu depuis. Enfin, M. Mohamed Kerouane, âgé de 15 ans au moment des faits, a été arrêté le 22 février 1996, par des agents de la Brigade de gendarmerie de Hamma où il fût détenu, selon un témoin, durant un mois, avant d’être transféré dans un lieu qui demeure inconnu. Sa famille n’a plus pu communiquer avec lui et est sans nouvelle du disparu depuis son arrestation.

Plongés dans une incertitude douloureuse, la famille Kerouane, et en particulier Mmes Kamela Allioua et Fatima Zohra Kerouane, n’ont jamais cessé d’effectuer des démarches en vue de retrouver leurs proches, depuis le jour de leur arrestation. Malgré les nombreuses sollicitations auprès des différentes casernes, commissariats et postes de gendarmerie de la région, ainsi qu’auprès du Bureau du Procureur de Constantine, aucune enquête satisfaisante n’a été menée sur leur disparition. Les autorités administratives et gouvernementales ont également été saisies, en vain.

Malgré ces nombreuses démarches et l’espoir continu des membres de la famille Kerouane de retrouver leurs proches, il n’a jusque là jamais été permis de faire la lumière sur les disparitions de MM. Adel, Tarek et Mohamed Kerouane.

Par leur communication auprès du Comité des droits de l’homme, Mmes Kamela Allioua et Fatima Zohra Kerouane demandent qu’il soit reconnu que l’Algérie a violé les articles 2, 6, 7, 9, 10, 16 et 23 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques à l’encontre de MM. Adel, Tarek et Mohamed Kerouane ainsi que l’article 24§1 à l’encontre de MM. Tarek et Mohamed Kerouane. Elles arguent par ailleurs que les autorités algériennes ont violé les articles 2, 7 et 23 du même Pacte à leur encontre, la disparition de leurs petits-fils et frères étant la cause d’angoisse et de souffrance.

La procédure est actuellement en cours devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies.

Le contexte général

Les disparitions forcées ou involontaires, dont ont été victimes MM. Adel, Tarek et Mohamed Kerouane parmi d’innombrables autres victimes, ont eu lieu durant la guerre civile algérienne. Sortie d’une guerre de libération nationale meurtrière, l’Algérie, fière de son indépendance, bascule pourtant peu après dans une guerre fratricide qui a conduit à de trop nombreux excès et violations massives des droits de l’homme. Entre 7’000 à 20’000 personnes, selon les différentes sources, ont été arrêtées ou enlevées par les services de sécurité algériens et milices armées entre 1992 et 1998, et sont encore portées disparues.

A ce jour, les familles des victimes de disparitions forcées ou involontaires restent sans nouvelles du sort de leurs proches disparus. Les autorités algériennes n’ont jamais daigné ouvrir des enquêtes suite aux plaintes et démarches effectuées, et, bien que les auteurs et les commanditaires de ces crimes soient connus, aucun d’eux n’a jamais été poursuivi ou inquiété. Par ailleurs, depuis la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale en 2006, ces derniers bénéficient d’une amnistie à peine déguisée puisqu’il est désormais interdit de porter plainte pour des exactions comme celles endurées par MM. Adel, Tarek et Mohamed Kerouane, l’Algérie percevant ces tentatives comme visant à « instrumentaliser les blessures de la tragédie nationale » et à mettre à mal le processus de réconciliation nationale en marche.

 

La décision

Au mois d’octobre 2014, le Comité des droits des l’homme a communiqué sa décision (appelée « constatations » dans le jargon onusien).

Le Comité a retenu que l’Algérie avait violé les articles 6 § 1, 7, 9, 10 § 1 et 16 du Pacte relatif aux droits civils et politiques, en lien avec l’article 2 § 3 du Pacte à l’égard des victimes, Adel, Tarek et Mohamed Kerouane.

Le Comité a également constaté une violation de l’article 7 du Pacte, conjointement avec l’article 2 § 3, à l’égard de la sœur et de la grand-mère des victimes.

Le Comité a par ailleurs constaté que l’Aglérie avait violé l’article 24 § 1 du Pacte à l’égard des victimes qui, en tant que mineurs au moment des faits, auraient dû bénéficier d’une protection spéciale.

Le Comité a notamment enjoint l’Algérie de « mener une enquête approfondie et rigoureuse sur la disparition d’Adel, Tarek et Mohamed Kerouane ». L’Algérie doit également « fournir à leur famille des informations détaillées quant aux résultats de son enquête », « libérer immédiatement les intéressés s’ils sont toujours détenus au secret » ou « restituer leur dépouille à leur famille » en cas de décès. Le Comité insiste par ailleurs sur l ‘obligation qu’a l’Algérie de « poursuivre, juger et punir les responsables des violations commises ». L ‘Algérie doit également indemniser de manière appropriée la famille des victimes pour les violations subies.

Le Comité a par ailleurs demandé à l’Algérie de garantir l’efficacité de son système judiciaire domestique, en particulier en ce qui concerne les victimes de torture, d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées, et de prendre toutes les mesures pour empêcher que de telles violations se reproduisent.

 

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