Un enfant népalais victime de travail forcé, de détention arbitraire et de torture

11.05.2016 ( Modifié le : 05.11.2020 )

Affaire Bholi Pharaka c. Népal

A l’âge de neuf ans, M. Bholi Pharaka (nom d’emprunt) est parti travailler à Katmandou pour subvenir aux besoins de sa famille. Chez son employeur, il a été victime de travail forcé et à de mauvais traitements quotidiens. Quand il a enfin pu s’échapper de cette situation cauchemardesque à 14 ans, il a été arrêté, détenu arbitrairement et torturé par des policiers népalais. Depuis lors, M. Pharaka et sa famille ont demandé justice sans relâche, mais à ce jour personne n’a été poursuivi pour ces crimes et la victime n’a obtenu aucune réparation. En mai 2016, TRIAL a porté plainte au nom de M. Pharaka devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies, afin d’obtenir enfin justice et réparation.

 

L’affaire

Issu d’une famille très pauvre, M. Bholi Pharaka n’a pas eu d’autre choix que de commencer à travailler à l’âge de neuf ans. Il a été envoyé à Katmandou pour y être l’aide domestique d’un officier de l’armée. Cette situation déjà illégale est devenue inhumaine quand M. Pharaka a été soumis à des abus physiques et psychologiques et s’est vu interdire de quitter la maison. Quand il a finalement réussi à s’échapper en 2012, son employeur l’a accusé d’avoir volé de l’or et des objets de valeur. Suite à ce faux témoignage, la victime a été arbitrairement arrêtée et détenue au poste de police (Metropolitan Police Range) de Hanumandhoka, à Katmandou.

Pendant sa détention, M. Pharaka a été maintenu dans une chambre sale et surpeuplée, qu’il partageait avec des adultes. Des policiers l’ont torturé quotidiennement pour lui faire « avouer » le vol.  Frappé sur tout le corps, battu avec des tuyaux en plastique, électrocuté et soumis au falanga (coups de bâton sur la plante des pieds), M. Pharaka a finalement été contraint de signer des documents sans même avoir pu les lire avant. Il a appris plus tard qu’il avait signé une « confession » avouant son implication dans le vol allégué.

Même après avoir « avoué » et malgré deux décisions judicaires ordonnant sa libération, M. Pharaka a encore été maintenu en prison plusieurs mois car sa famille ne pouvait pas payer sa caution. Ce n’est que le 25 juin 2013 qu’il a enfin été libéré, lorsque la Cour Suprême a reconnu le caractère arbitraire de sa détention et ordonné sa libération.

Sur la base de la «confession» extorqué de M. Pharaka, le tribunal de Katmandou l’a reconnu coupable de vol et l’a condamné à un mois de prison – peine qu’il avait déjà largement purgée pendant les neuf mois et dix-neuf jours de sa détention arbitraire.

Aujourd’hui encore, M. Pharaka souffre des séquelles de cet épisode. Ses symptômes incluent des troubles dépressifs et du sommeil. Il a dû quitter l’école et recommencer à travailler pour subvenir aux besoins de sa famille.

La quête de justice

Pharaka et ses proches ont dénoncé à de nombreuses reprises les conditions de détention et les tortures subies aux autorités népalaises, en vain. Les autorités ont au mieux ignoré leurs plaintes, et dans certains cas ont même refusé de les enregistrer. Cette attitude laxiste a été facilitée par les importantes lacunes législatives sur la torture et le travail forcé. De ce fait, aucun bourreau n’a été poursuivi et sanctionné et M. Pharaka n’a reçu aucune indemnisation pour le préjudice subi.

Ayant épuisé tous les recours nationaux et avec l’aide de TRIAL International, M. Bholi Pharaka a déposé une plainte devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies (CDH) en mai 2016. Le 22 août 2019, Le CDH a donné raison à TRIAL International et à la victime.

Violations alléguées

Dans sa décision, le CDH a  reconnu :

  • que M. Bholi Pharaka avait été victime d’une violation des arts. 7 (interdiction de la torture) et 10 (droit à un traitement humaine), lus conjointement avec l’art. 24, par. 1 (obligation d’adopter des mesures spéciales de protection pour les mineurs), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. En effet, la victime a été torturée et maintenue dans des conditions inhumaines dans le but d’obtenir un aveu. Ces violations sont aggravées par le fait que M. Pharaka était mineur au moment des faits, ce qui aurait dû lui garantir des mesures spéciales de protection – mesures que le Népal n’a pas appliquées.
  •  la violation des arts. 7 et 10, lus conjointement avec les arts. 2, par. 3 (droit à un recours effectif), et 24, par. 1, du même Pacte, car les autorités népalaises n’ont ni enquêté efficacement sur les allégations de M. Pharaka, ni poursuivi et sanctionné les coupables, ni indemnisé adéquatement la victime. Ces violations sont aggravées par le fait que le Népal n’ait pas garanti à M. Bholi Pharaka la protection spéciale à laquelle sont statut de mineur lui donnait droit.
  •  la violation de l’art. 7 lu conjointement avec l’art. 2, par. 2 (obligation d’adopter des mesures législatives), du Pacte. En effet, le Népal n’a pas adopté de lois prévenant et sanctionnant la torture et offrant à la victime des mesures de réparation, dont des garanties de non-répétition.
  • la violation de l’art. 9, par. 1, 2, 3 et 5 (droit à la liberté personnelle), lu conjointement avec les arts. 2, par. 3, et 24, para. 1, car les arrestation et détention de M. Pharaka étaient arbitraires et aucune enquête n’a été menée suite aux plaintes de ce dernier – une double atteinte aux obligations internationales du Népal puisque la victime était mineure au moment des faits et aurait donc dû se voir offrir une protection supplémentaire.
  • la violation de l’art. 14, par. 2, 3(a), 3(b) et 3(g) (droit à un procès équitable), lu conjointement avec l’art. 24, par. 1, du Pacte. Le procès de M. Pharaka a en effet été inéquitable pour plusieurs raisons : il n’a pas été présumé innocent, n’a pas été informé des accusations portées contre lui, n’a pas eu le temps ni les moyens de préparer sa défense et a été contraint de témoigner contre lui-même. Ces violations sont aggravées par le fait que le Népal n’ait pas fourni à M. Bholi Pharaka la protection spéciale à laquelle il avait droit en tant que mineur.
  • la violation de l’art. 8, par. 3(a) (interdiction du travail forcé), lu conjointement avec les arts. 2, par. 3, et 24, par. 1, du Pacte, puisque les autorités népalaises n’ont pas adopté les mesures nécessaires pour protéger la victime du travail forcé et infantile. Lorsque cela a été le cas, les autorités népalaises n’ont pas mené d’enquête menant à la poursuite et la sanction des responsables. Enfin, elles n’ont fourni à M. Pharaka aucune compensation. Ces violations sont aggravées par le fait que la victime, en tant que mineur, aurait dû être protégée d’une manière toute particulière

Le CDH a également demandé au Népal d’enquêter, de poursuivre et de punir les auteurs de torture proportionnellement à la gravité de leur crime ; et de garantir à la victime des réparations comprenant la restitution, la réhabilitation, la satisfaction et des garanties de non-répétition.

Le contexte général

L’emploi de la torture et de la détention arbitraire, en particulier envers les mineurs, est généralisé et systématique au Népal, et les responsables jouissent le plus souvent d’une impunité totale. Il semblerait que la plupart des actes de torture soient commis dans des affaires de vol, probablement car dans ces affaires, les policiers sont soumis à une pression significative d’arrêter le coupable et de retrouver les objets volés. Les policiers et autres agents de l’État accusés de torture ne sont pas poursuivis et sanctionnés – un climat d’impunité favorisée par les lacunes de la législation existante.

L’impunité s’applique aussi pour le travail forcé et infantile. Malgré leur interdiction formelle, ces pratiques restent dramatiquement courantes dans tout le pays, touchant principalement les enfants issus de groupes marginalisés ou vulnérables. Les autorités népalaises ne préviennent ni ne sanctionnent ce phénomène odieux.

Enfin, les centres de détention au Népal sont caractérisés par des conditions d’incarcération bien en-deçà des standards internationaux pour les adultes – sans même parler des mineurs.

 

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