Une entreprise suisse blanchie après avoir trempé dans de l’or sale : pour en finir avec le jeu de dupes

16.10.2020

En novembre 2013, pour la première fois dans son histoire, TRIAL International saisissait la justice suisse au sujet des agissements d’une entreprise. Selon la dénonciation pénale déposée auprès du Ministère public de la Confédération (MPC), l’entreprise tessinoise Argor-Heraeus SA aurait raffiné près de trois tonnes d’or en provenance de République démocratique du Congo (RDC) entre 2004 et 2005. De l’or apparemment pillé par un groupe rebelle.

En 2015, le procureur fédéral a reconnu que l’or avait bel et bien été pillé au Congo par une milice. © Guy Oliver

Au cours de l’année et demie qui a suivi, le MPC a mené une instruction pour crimes de guerre et blanchiment aggravé, donnant lieu au passage à une perquisition des locaux du raffineur à Mendrisio (Tessin). L’affaire avait par ailleurs suscité une campagne de la société civile contre le pillage de métaux précieux en temps de conflit armé.

La plainte contre Argor a cependant été classée par le MPC le 10 mars 2015, au motif d’une insuffisance de preuves que l’entreprise avait connaissance de l’origine illégale de l’or. Fait marquant, le procureur fédéral a reconnu que l’or avait bel et bien été pillé au Congo par une milice, le FNI – le Front nationaliste intégrationniste.

Comment expliquer que l’entreprise soit passée entre les mailles du filet ? Bien souvent les personnes ou les entreprises mises en cause pour leurs agissements illicites les justifient en déclarant ignorer le contexte dans lequel elle conduisent leurs activités, ou les personnes avec lesquelles elles font affaire. A l’heure actuelle, il n’existe aucune obligation de diligence raisonnable dans la loi suisse. Les entreprises ne sont donc pas légalement tenues de vérifier avec qui elles font affaire ni d’où proviennent les marchandises qu’elles achètent.

« Sans cette obligation de diligence raisonnable, il est impossible de démontrer l’élément intentionnel, sans lequel le pillage n’existe pas », explique Philip Grant, Directeur exécutif de TRIAL International. « Il est indispensable que la Suisse se dote d’une réglementation qui oblige les entreprises à se renseigner sur la provenance de leurs biens, comme c’est le cas de nombreuses banques qui pratiquent le ‘know your customer’. Imposer un devoir de diligence raisonnable, c’est éviter que de tels manquements ne se reproduisent, et interdire par la même occasion aux entreprises fautives de se dédouaner de leurs actions. »

Récemment, d’autres entreprises suisses actives dans le commerce de l’or ont défrayé la chronique, notamment une autre raffinerie tessinoise en affaire avec un grossiste émirati aux liens obscurs avec des milices au Darfour. Sans une règlementation uniformisée, il y a fort à parier que de telles affaires se répètent encore régulièrement à l’avenir.

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