Cinq observateurs des droits humains demandent à l’ONU et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) de rendre public leur rapport sur le massacre de plus de 50 migrants ghanéens et d’autres pays d’Afrique de l’Ouest en Gambie en 2005, ont déclaré Human Rights Watch et TRIAL International le 25 janvier. Les meurtres auraient été commis par une unité paramilitaire qui répondait directement aux ordres de l’ancien président Yahya Jammeh.

 

« Pourquoi ce rapport est-il toujours caché ? Qui les Nations-Unies et la CEDEAO protègent-elles ? s’interroge le ghanéen Martin Kyere, le seul survivant connu du massacre. Je veux connaître les responsables de toute cette souffrance. »

Martin Kyere avait réussi à échapper aux balles d’hommes armés après avoir sauté du camion qui transportait les migrants détenus, avant que les forces de sécurité de l’État ne les tuent. Originaires d’Afrique de l’Ouest, les migrants se dirigeaient vers l’Europe. Partis du Sénégal, ils ont été appréhendés et exécutés sans autre forme de procès après avoir accosté en Gambie.

 

Une enquête au point mort et des preuves détruites

Après le refus opposé par le gouvernement de Yahya Jammeh à la demande d’enquête formulée par le Ghana, l’ONU et la CEDEAO ont formé une équipe conjointe pour faire la lumière sur le massacre. L’enquête a débouché sur un rapport en avril 2009, mais celui-ci n’a jamais été rendu public.

En 2009, les Nations-Unies ont conclu que des « éléments incontrôlés » des services de sécurité gambiens, « agissant par leurs propres moyens », étaient responsables du massacre. Cependant, dans un rapport publié en mai 2018, Human Rights Watch et TRIAL International ont établi que les migrants avaient été détenus par les plus proches collaborateurs de Jammeh dans l’armée, la marine et la police, puis exécutés sommairement par les « Junglers », une unité paramilitaire opérant sur ordre de l’ex-président. Le gouvernement gambien a par ailleurs détruit des preuves essentielles avant l’arrivée de l’équipe de la CEDEAO.

 

« Un pas vers la reconnaissance de la responsabilité »

Les cinq observateurs – le Groupe de travail des Nations-Unies sur la détention arbitraire, le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, le Rapporteur spécial sur les droits fondamentaux des migrants et le Rapporteur spécial sur la violence contre les femmes – demandent aujourd’hui que le rapport soit rendu public et qu’il soit distribué aux victimes et à leurs proches.

« La publication de ce rapport serait un pas significatif vers la reconnaissance de la responsabilité pour ce crime horrible », déclare Fatoumatta Sandeng, porte-parole de la campagne #Jammeh2Justice. « Il permettrait de fournir des pistes clés, et de donner un nouvel élan pour aller enfin au fond des choses et comprendre ce qu’il s’est passé. »

Arrêté arbitrairement, détenu incommunicado et torturé, Benjamin a vécu l’enfer en 2015. Hélas, des années plus tard, il vit toujours avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. La raison ? Ses bourreaux n’ont jamais eu à rendre compte de leurs actes… et pourraient donc recommencer.

Depuis avril 2015, le Burundi connait un rétrécissement considérable de l’espace démocratique, assorti de restrictions des libertés civiles, d’une hausse de l’insécurité et de très nombreuses violations graves des droits humains. Ces crimes restent presque totalement impunis, tandis que le gouvernement de Bujumbura s’isole toujours davantage de la communauté internationale.

C’est dans ce contexte que Benjamin (nom d’emprunt) a été arrêté en juin 2015 par un groupe de policier. Embarqué à bord d’un véhicule, il a été détenu incommunicado pendant plusieurs jours.

En détention, Benjamin a subi les pires abus : tortures, traitements humiliants et menaces. En effet, au moins trois fois par jour, ses tortionnaires le torturaient dans le but de lui faire « avouer » son engagement dans la lutte armée menée par l’opposition.

 

Libre, mais toujours en danger

La détention de Benjamin a eu de nombreuses conséquences néfastes sur sa personne. Plusieurs années après les faits, Benjamin présente toujours de lourdes séquelles des tortures subies. Certaines le font encore souffrir, et ce en dépit de plusieurs opérations chirurgicales.

En outre, du fait qu’il ait continué d’être recherché par des agents étatiques à l’issue de sa détention, Benjamin est contraint de vivre caché. Il mène une existence souterraine, sans réelle vie familiale, et dans la crainte d’être retrouvé par ses bourreaux. Car ces derniers n’ont jamais été inquiétés, malgré une mobilisation citoyenne.

 

Des faits reconnus, mais aucune sanction

L’année de sa détention, une organisation burundaise de défense des droits humains a fait état du traitement réservé à Benjamin. Une plainte formelle a même été déposée et s’est soldée par l’ouverture d’un dossier d’instruction.

Un espoir de courte durée : si le magistrat a reconnu que la victime avait été torturée, cette déclaration n’a été suivie d’aucun acte d’instruction, et ce plus de trois ans après les faits. En d’autres termes, Benjamin n’a aucune chance de voir ses droits reconnus devant la justice burundaise.

 

L’affaire prend une tournure internationale

Face à l’inertie des autorités burundaises, TRIAL International a porté l’affaire devant une instance internationale.

Dans sa plainte, TRIAL International demande que la lumière soit faite sur l’affaire et que Benjamin soit rétabli dans son droit. Plus urgent encore, elle demande des mesures pour qu’il puisse dès à présent vivre librement, au grand jour et sans craindre pour sa sécurité. Hélas, tant que les responsables jouissent d’impunité, Benjamin continuera de vivre dans une angoisse permanente.

 

Le 7 janvier 2019, la Commission vérité, réconciliation et réparations (TRRC) siégeait pour la première fois à Banjul, la capitale gambienne. Composée de 11 membres, elle va devoir enquêter sur les crimes commis au cours des 22 ans qu’auront duré la présidence de Yahya Jammeh, entre 1994 et 2016. Pour Emeline Escafit, conseillère juridique chez TRIAL International, il s’agit d’une occasion unique pour la Gambie de faire la lumière sur son passé tourmenté.

Clore plus de 20 ans de régime autoritaire est un processus délicat, car si les crimes commis pendant sous la présidence de Yahya Jammeh sont aussi nombreux que graves, victimes et bourreaux sont parfois les mêmes personnes. La TRRC gambienne pourra pour ce faire s’inspirer des travaux de commission similaires dans d’autres pays – en Afrique du Sud, au Pérou, en Tunisie ou en Côte d’Ivoire, tout en évitant l’écueil des amnisties accordées aux responsables de crimes internationaux (disparitions forcées et torture notamment).

 

UN PREMIER PAS VERS LA JUSTICE

Donner la voix aux victimes qui ont été contraintes de se taire pendant plus de 20 ans est une étape primordiale. En racontant leur histoire, leurs souffrances peuvent enfin être reconnues par un organe officiel, et contribueront peut-être à apaiser les tensions qui subsistent dans le pays. La Gambie mérite de se reconstruire, et la TRRC doit servir de ciment sur lequel reposera la nouvelle société gambienne.

Le processus de transition n’est pas pour autant gagné d’avance. Il est indispensable que les enquêtes que mènera la commission soient indépendantes et impartiales. TRIAL International a d’ailleurs matérialisé son soutien à la TRRC en transmettant aux enquêteurs et aux chercheurs de la commission un inventaire des crimes internationaux commis pendant le régime de Jammeh.

 

Sur le chemin de la démocratie

La TRRC doit dès aujourd’hui prendre la mesure de son rôle dans la reconstruction de la Gambie. Ce travail de mémoire ne sera pas complet tant que des procédures judiciaires ne seront pas également menées devant des tribunaux. TRIAL International espère ainsi que la TRRC signalera aux autorités de poursuite les affaires qui doivent être poursuivies et qu’elle n’accordera pas d’amnisties qui seraient contraires au droit international. Ce n’est qu’à ces conditions que la Gambie pourra réaliser sa transition vers la démocratie.

 

Aujourd’hui, les organisations de défense des droits humains TRIAL International et Women’s Link Worldwide portent devant les Nations Unies la première affaire relative au régime de Franco. 44 ans après la chute de la dictature, proches et survivants attendent toujours justice : il est grand temps que l’Espagne fasse la lumière sur les crimes de son passé. 

En collaboration avec l’association locale Memoria de Mallorca, TRIAL International et Women’s Link Worldwide ont déposé une plainte au nom de Francisca Alomar Jaume et Bartolomea María Riera Alomar, respectivement fille et petite-fille de deux victimes du régime franquiste.

En août 1936, les époux Antonio Alomar Mas et Margalida Jaume Vandrel ont été disparus à Manacor (Majorque). Bien que leur sort n’ait jamais été confirmé par des sources officielles, des témoignages indiquent qu’ils auraient été illégalement détenus et assassinés par la police militaire de Franco (Guardia Civil). Margalida, alors enceinte de sept mois, aurait aussi subi des violences sexuelles en détention.

 

Des décennies d’incertitude pour des milliers de victimes

La fille cadette du couple, Francisca, avait huit ans lorsque ses parents lui ont été enlevés. Maintenant âgée de 90 ans, elle ne sait toujours pas ce qui leur est arrivé. Avec sa nièce et le soutien de deux ONG, elle a décidé de porter son combat au niveau supranational, et de saisir le Comité des droits de l’homme des Nations Unies (CDH).

« En Espagne, la loi d’amnistie de 1977 empêche d’enquêter sur les crimes commis pendant la guerre civile. Le budget consacré à la recherche des disparus est également largement insuffisant », explique Teresa Fernández Paredes, avocate principale chez Women’s Link Worldwide. « Par conséquent, les victimes comme Francisca ne peuvent avoir recours qu’à des mécanismes supranationaux pour obtenir la vérité et la justice ».

En portant l’affaire devant le CDH, les ONG souhaitent inciter les autorités espagnoles à faire enfin toute la lumière sur les crimes passés. Conformément au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel l’Espagne est partie, cela comprend notamment la recherche exhaustive de citoyens disparus, la sanction des auteurs de violations massives des droits humains, et l’octroi de réparations effectives aux victimes.

 

Les disparitions forcées, un crime fondé sur le genre

Les disparitions forcées de républicains (ou d’individus perçus comme tels) ont constitué une pratique systématique pendant la guerre civile espagnole et sous la dictature de Franco. Les femmes étaient particulièrement exposées à cette forme de violence, soit pour réprimer leur propre activisme, soit en rétorsion aux opinions politiques de leurs proches. Les femmes considérées comme déviant du modèle féminin traditionnel prôné par le nationalisme catholique s’exposaient également à des représailles, souvent sous la forme de violences sexuelles.

 

Suivi de l’affaire

Le 10 février 2021, le Comité des droits de l’homme a déclaré l’affaire inadmissible.

Au printemps dernier, Selma Korjenić, responsable du programme Bosnie-Herzégovine, s’est rendue à Athènes avec une victime de viol soutenue par TRIAL International, pour y rencontrer des migrantes. Voici ce qui l’a marquée.

« Se battre pour ses droits n’est pas une perte de temps. Pour les victimes de violences sexuelles, témoigner permet non seulement de partager son expérience, mais parfois aussi de délier les langues. C’est ce qui s’est passé lors de notre visite en Grèce. Nous nous sommes rendues à Athènes, Semka Agic et moi-même, pour rencontrer des ONG locales qui viennent en aide aux migrants.

Violée pendant la guerre de Bosnie-Herzégovine, Semka fait partie des femmes qui ont obtenu justice avec l’aide de TRIAL International. En Grèce, elle a raconté son histoire devant des migrantes syriennes, afghanes, irakiennes et en provenance de plusieurs pays d’Afrique subsaharienne. Jetées sur les routes de la migration, ces femmes sont particulièrement vulnérables aux différentes formes de violences sexuelles. Je me souviens de l’une d’entre elle, visiblement bouleversée par le témoignage de Semka. D’un coup, elle a réalisé qu’elle n’était pas seule à avoir enduré des atrocités. Elle a pris la parole dans la foulée pour se délester de son fardeau. »

 

Raconter pour faire raconter

« Les volontaires de Glocal Roots, une ONG basée à Zurich en Suisse, sont à l’origine de cette rencontre. Leur objectif, ‘apprendre des expériences des autres.’ L’atelier auquel nous avons participé en Grèce s’inscrit dans la volonté de cette ONG de briser l’omerta autour des violences sexuelles : ‘Grâce à nos ateliers, nous entamons de nouveaux dialogues avec les survivantes de violences sexuelles liées à des conflits, et nous aidons d’autres femmes à élaborer leurs propres stratégies pour faire face à ce qu’elles ont vécu.’

Cet échange d’expériences a un double avantage. Non seulement les femmes qui n’ont pas encore osé briser le silence peuvent-elles y trouver le courage de le faire, mais c’était aussi une occasion pour Semka de transmettre son énergie, son envie de lutter en faveur de ses droits, des droits de toutes ces femmes. Si j’avais un vœu à formuler, je souhaiterais que son combat juridique serve d’inspiration pour que d’autres victimes se mobilisent à leur tour pour accéder à la justice. »

 

Sensibiliser les organisations d’aide

« Les migrantes ne sont pas pour autant les seules à retirer un bénéfice de ces rencontres : les nombreuses organisations qui viennent en aide aux migrants doivent également être à même de soutenir les victimes de violences sexuelles.

Par exemple, le Réseau Melissa, à Athènes, propose des cours de grec, une garde d’enfants et divers ateliers pour les femmes qui arrivent en Europe par la Méditerranée. Si elle est bien rôdée dans son domaine de prédilection, l’organisation n’est en revanche pas vraiment armée pour faire face aux situations de détresse que rencontrent les femmes qui ont subi des violences sexuelles. Ces dernières n’osent souvent pas parler de ce qu’elles ont vécu, de peur d’être stigmatisées ou parce qu’elles craignent de réveiller un traumatisme trop lourd à porter.

La première étape consiste donc à instaurer un climat de confiance dans lequel les femmes oseront parler de leur expérience. Mais il faut aussi apprendre comment communiquer avec les victimes de telles violences. De leur propre aveu, les bénévoles de l’organisation sont démunis pour faire face à ce genre de situation. Et à plus forte raison de chercher à leur venir en aide pour poursuivre les auteurs.

Loin d’éloigner ces organisations de leur tâche principale –l’aide d’urgence– le témoignage de Semka a permis de montrer aux intéressées comme aux professionnels qu’il existe des voies juridiques pour guérir les blessures liées aux violences sexuelles. Et que la première étape est nécessairement de briser le silence. »

 

Il y a quelques semaines, TRIAL International a organisé une formation à l’intention des juges et procureurs. Objectif : leur donner les outils nécessaires aux demandes de réparation des victimes de violences sexuelles en temps de guerre.

Comment réparer les torts subis par les victimes de violences sexuelles ? La condamnation de l’auteur suffit-elle pour que ces dernières puissent reprendre leurs destins en main ? Une quinzaine de juges et de procureurs de différents tribunaux cantonaux de Bosnie-Herzégovine se sont réunis pour une formation le 16 novembre 2018, à l’appel de TRIAL International et d’une ONG partenaire, le Center for Education of Judges and Prosecutors of FBiH. A l’ordre du jour, les demandes de réparation pour les victimes de violences sexuelles en temps de guerre.

Dans le contexte bosnien, où les faits remontent à plus de vingt ans, le besoin de justice est toujours présent. Et le fardeau – psychologique et financier – porté par les victimes souvent bien réel. TRIAL International lutte depuis des années pour que celles-ci obtiennent une compensation financière, en plus de la condamnation des auteurs de ces crimes.

 

Vers une indemnisation plus systématique

Ces dernières années, pas moins de dix peines pécuniaires ont été prononcées dans plusieurs régions de Bosnie-Herzégovine. En formant les magistrats, TRIAL International espère que cette pratique se généralise. Cependant, les demandes de réparation ne sont pas chose aisée à faire reconnaître devant une cour. En particulier lorsque le dommage causé aux victimes n’est pas matériel.

L’atelier visait donc à former les juges et procureurs aux aspects pratiques de ces procédures. TRIAL a par ailleurs publié un manuel qui décrit les étapes qui permettent d’inclure ces demandes aux procédures pénales, ainsi que des recommandations pour que celles-ci soient suivies d’effet.

 

Une pratique réparatrice

« L’octroi de réparations est une partie importante du processus de réconciliation. Elles apportent une reconnaissance supplémentaire du dommage subi par les victimes et contribuent à ce que celle-ci puisse enfin tourner la page », déclare Adrijana Hanušić, conseillère juridique principale pour la Bosnie-Herzégovine chez TRIAL International.

Pour l’heure, aucune de ces condamnations n’a été suivie d’effet, les auteurs des crimes n’ayant pas les ressources pour s’acquitter de leur sanction. TRIAL International entend bien continuer sa lutte pour faire appliquer ces peines.

 

Un ancien policier bosno-serbe, Darko Mrđa, a été condamné vendredi dernier à 15 ans de prison pour crimes contre l’humanité. Il comparaissait pour le meurtre de Said Sadić, enlevé chez lui en août 1992 et disparu depuis.

« Tu n’auras plus besoin de tes chaussures », aurait lancé Darko Mrđa à Said Sadić lorsqu’il est venu le chercher chez lui, dans le village de Tukovi, avant de le tuer à deux kilomètres de chez lui. La disparition de Said Sadić fait partie de 50 affaires de disparitions forcées portées par TRIAL International devant la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine. Dans deux décisions rendues en 2012 et 2013, la Cour avait ordonné aux autorités locales de mener des enquêtes approfondies et complètes sur ces cas de disparitions forcées.

En 2016, à la suite de cette décision, un acte d’accusation a été porté contre Darko Mrđa pour l’un des cas de disparition forcée signalés, et il a été arrêté. Darko Mrđa avait déjà été condamné par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie à 17 ans d’emprisonnement pour avoir participé au meurtre de 200 civils et à des actes inhumains (sous la forme de tentatives de meurtre) contre 12 autres civils à Koricanske Stijene en août 1992.

La condamnation de Darko Mrđa à une peine de prison pour le meurtre Said Sadić est une grande nouvelle pour les rapatriés et les familles des personnes disparues qui se sentaient intimidées par son retour dans sa ville natale. TRIAL International salue sa condamnation comme une victoire importante dans la lutte contre l’impunité des crimes commis pendant la guerre.

 

Attendu depuis longtemps, le procès de deux chefs rebelles congolais s’est ouvert à Goma (province du Nord Kivu) le 27 novembre 2018. Des accusations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité pèsent contre Ntabo Ntaberi et son coaccusé « Lionceau », ex-leader au sein du FDLR. TRIAL International a œuvré en étroite collaboration avec des acteurs locaux et internationaux en soutien au judiciaire congolais, afin que les centaines de victimes des deux hommes accèdent à la justice.

Les juges devront décider du rôle des deux chefs de guerre dans les attaques de nombreux villages dans les territoires de Walikale et Masisi entre 2010 et 2014. Cette zone de la province du Nord Kivu a été, durant cette période, le champ de bataille de plusieurs milices, avec pour conséquences pillages, violences sexuelles, meurtres de masse et recrutement d’enfants soldats… entre autres crimes.

Ntabo Ntaberi, aussi connu sous le nom de guerre « Sheka », était le commandant de l’une de ces milices, la Nduma Defence of Congo (NDC). Lui-même et un autre chef de guerre, Séraphin Nzitonda surnommé « Lionceau », font désormais face à la justice devant la Cour militaire opérationnelle du Nord Kivu.

 

Quatre ans de terreur

De 2010 à 2014, la NDC dirigée par Sheka a attaqué et pillé des villages entiers dans les territoires de Walikale et de Masisi, tuant et violant systématiquement leurs habitants. Certaines de ces opérations ont été menées en coalition avec une unité du groupe armé des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) dirigée par Lionceau. Au total, le groupe a conduit au moins une douzaine d’attaques à l’encontre de la population civile, causant au moins 400 décès et 200 cas de violences sexuelles rapportés.

A partir de 2011, des affrontements entre la NDC et d’autres milices d’une part, et entre la NDC et l’armée congolaise de l’autre, ont provoqué des déplacements massifs de population et exacerbé des tensions ethniques préexistantes. Car pour avoir la mainmise sur les territoires de Walikale et Masisi, la NDC a commencé à cibler les populations Hunde et Hutu, accusées d’être de mèche avec les milices rivales. Des preuves de crimes d’une extrême violence et de pratiques cruelles (recrutement de plus de 150 enfants soldats, esclavage sexuel, etc.) ont été consignées pour la période entre 2012 et 2014.

Le 26 juillet 2017, Sheka s’est rendu aux Casques bleus du Nord Kivu, qui l’ont ensuite transféré aux autorités congolaises.

 

Un réseau au service de la justice

Suite à la reddition de Sheka, la justice congolaise a finalisé l’enquête ouverte sur les crimes commis à Walikale et à Masisi.

Des acteurs locaux et internationaux avaient déjà largement documenté les crimes perpétrés par la NDC et la FDLR sur ces territoires depuis 2010. Réunis au sein d’un réseau informel actif à Goma, et avec le soutien du judiciaire congolais, ils ont mené plusieurs missions d’investigation et entretiens avec des survivants et des témoins. TRIAL International s’est jointe au réseau début 2018.

Depuis qu’elle fait partie du réseau, TRIAL International a œuvré en étroite collaboration avec les avocats des victimes. Ensemble, ils ont collecté puis analysé plus de 3’000 pages de preuves et consolidé leur stratégie juridique, afin de démontrer le caractère généralisé et systématique des crimes. Ils ont également soutenu les ONG travaillant directement avec les victimes, pour préparer ces dernières aux audiences.

 

Des victimes et des témoins encore très vulnérables

Bien que ce procès soit un signe positif, les audiences constituent, à bien des égards, un défi de taille. En effet, Sheka compte encore beaucoup de partisans dans la province, ce qui suscite de sérieuses inquiétudes quant à la sécurité des victimes, des témoins et des acteurs locaux qui ont travaillé sur cette affaire.

 

Procédure

A la demande de la Défense, les audiences ont été renvoyées dès le premier jour du procès. Elles ont repris le 6 décembre 2018 avec des questions procédurales.

De mars à juin 2020, les audiences ont été suspendues en raison de la pandémie de coronavirus. Les derniers témoins ont été entendus en juillet 2020.

Le travail de TRIAL International dans cette affaire a été mené au sein du Cadre de concertation, un réseau informel d’acteurs internationaux qui coopèrent afin de soutenir le travail des juridictions militaires congolais dans l’investigation et la mise en accusation des auteurs de crimes de masse au Nord Kivu.

 

En juin 2013, trois villages du territoire de Kalehe (Sud Kivu) ont été attaqués par des soldats de l’armée congolaise (FARDC). Le commandant de cette unité, accusé de crimes contre l’humanité, a été condamné à perpétuité par la Cour militaire du Sud Kivu.

Le 7 juin 2013, sur la place du marché de Katasomwa (territoire de Kalehe), un échange de tir a éclaté entre des soldats FARDC et des membres du groupe armé « Raia Mutomobki ». A l’origine de ces violences, l’arrestation d’un jeune homme rattaché à cette milice, dont le nom signifie « citoyens en colère ». Un soldat FARDC a trouvé la mort dans cet affrontement.

 

Des attaques de civils en représailles

En représailles, deux commandants des FARDC ont attaqué dans les jours suivants les villages de Mirenzo, Murangu et Chirimiro sous prétexte qu’ils cherchaient les éléments Raia Mutomboki. Les hommes du Major Mabiala Ngoma auraient commis de nombreux crimes graves contre les villageois, dont des meurtres, des viols et des pillages constitutifs de crimes contre l’humanité.

 

Procédure

Le 21 novembre 2018, le procès du Major Mabiala s’est ouvert devant la Cour Militaire du Sud Kivu. Cette dernière, siégeant habituellement à Bukavu, s’est déplacée pour tenir les audiences au plus près des lieux du crime. Cette pratique, appelée « audiences foraines », facilite l’accès aux preuves et la participation des victimes.

Un collectif de cinq avocats représentait les 146 victimes identifiées. En collaboration avec la clinique juridique de Panzi et l’ONG Avocats sans frontières, TRIAL a coordonné la formation de ce collectif. Elle a notamment suivi de près la préparation du dossier, la collecte et l’analyse des preuves ainsi que l’élaboration de la stratégie juridique.

 

Décision

Le 29 novembre 2018, les juges ont reconnu le Major Mabiala coupable de meurtres, viols, torture, pillages et incendies constitutifs de crimes contre l’humanité. Il a été condamné à une peine de prison à perpétuité. Toutes les victimes participantes au procès ont été reconnues, ce qui leur ouvre le droit aux réparations suivantes : 10’000 USD pour les victimes de meurtre, viol et torture, et 5’000 USD pour celles de pillage et incendie.

De plus, l’État congolais a été condamné en solidarité avec le Major Mabiala, ce qui signifie qu’il devra lui-même verser les compensations aux victimes, si l’accusé n’est pas en mesure de le faire.

En octobre 2019, la Haute Cour Militaire de la RDC a confirmé le verdict.

Malgré sa condamnation, le Major Mabiala est resté en liberté après le procès. Il est décédé en juillet 2020.

Le travail de TRIAL International sur ce dossier a été mené dans le cadre de la Task Force Justice Pénale Internationale, un réseau informel d’acteurs internationaux qui collaborent afin de soutenir le travail des juridictions militaires congolaises dans l’enquête et la poursuite des crimes de masse en RDC.

 

Dans quelques jours, le peuple suisse aura tranché. Mais à quel sujet au juste ? «Le droit suisse au lieu de juges étrangers», «initiative pour l’autodétermination», «initiative anti-droits humains», sous ces différents noms se cachent un seul et même objet de votation. Le point avec Daniel Bolomey, président du Comité de TRIAL International.

L’Union démocratique du centre (UDC), à l’origine de cette initiative, n’a eu de cesse de déplacer le débat. Dernière estocade en date, un rejet de l’initiative ferait peser une menace sur la démocratie directe et sur le « modèle suisse », et ne garantirait plus le droit de vote des citoyens à long terme.

Or il n’en est rien. L’initiative de l’UDC veut faire croire à un problème là où il n’y en a pas. Elle n’est rien de moins qu’une attaque directe contre la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). La Suisse a ratifié la CEDH il y a plus de quarante ans et notre démocratie directe n’a pourtant pas pris une ride. Au contraire, la CEDH renforce les droits fondamentaux inscrits dans la Constitution helvétique. Car ces droits peuvent être affaiblis, notamment par des initiatives populaires aux conséquences incertaines que l’UDC brandit régulièrement, ou même par des lois fédérales, puisqu’il n’existe en Suisse aucun contrôle de la conformité des lois avec la Constitution fédérale.

Les décisions rendues par la Cour européenne des droits de l’homme n’ont pourtant pas toujours desservi les intérêts de l’UDC. Pour rappel, la Cour de Strasbourg avait cassé une décision du Tribunal fédéral dans l’affaire Perinçek en 2015. Elle avait jugé que la condamnation par la Suisse d’un nationaliste turc pour ses propos qualifiant le génocide arménien de « mensonge international » violait la liberté d’expression. Or, l’UDC s’est toujours opposée à la loi anti-raciste sur laquelle la condamnation de Perinçek se fondait.

 

Libertés menacées

Cette initiative pourrait surtout faire sauter les garde-fous qui protègent le droit à la vie, à la liberté, le droit à un procès équitable, à la protection contre les traitements inhumains, le droit à la sphère privée, à la liberté de conscience et de religion, à la liberté d’expression et d’association, le droit au mariage et à la vie de famille. Elle inscrirait la Suisse dans la tendance portée par les politiques de Trump, Poutine, Erdoğan ou Orbán.

En votant « NON » le 25 novembre, le peuple suisse manifestera son attachement aux droits fondamentaux qu’il a acquis grâce à la CEDH. En votant « NON », il évitera à la Suisse de se retrouver en porte-à-faux avec les traités qu’elle a signé. En votant « NON », il affirmera que ses droits fondamentaux ne seront pas sacrifiés sur l’autel de la démagogie et des échéanciers politiques.

 

Uta Simon a récemment travaillé pour la Commission d’enquête des Nations Unies sur le Burundi en tant que conseillère sur le genre et enquêtrice sur les violences sexuelles et fondées sur le genre. Entre autres activités, ses collègues et elle-même se sont rendus dans des camps de réfugiés à la rencontre de réfugiés burundais. Dans une interview avec TRIAL International, elle revient sur son travail et les défis liés à la documentation des violences sexuelles et fondées sur le genre.

« Cela fait près de 17 ans que j’enquête sur les violations des droits humains. De décembre 2017 à septembre 2018, j’ai intégré une Commission d’enquête des Nations Unies chargée de documenter les violations des droits humains au Burundi. Comme le gouvernement ne nous a pas autorisés à entrer dans le pays, nous avons mené des enquêtes à distance et des missions dans les pays voisins auprès de réfugiés burundais.

Notre recherche s’est également nourrie d’autres éléments, tels que des entretiens avec des experts, des recherches documentaires et l’analyse d’informations publiques. Toutes ces formes de recherche peuvent aider à corroborer des informations sur des violations des droits humains recueillies dans des témoignages.

Nous avons mené des entretiens dans des camps de réfugiés en Tanzanie, au Rwanda et en République démocratique du Congo, souvent dans des environnements où les personnes craignaient pour leur sécurité. C’est pourquoi nous avons fait un effort particulier pour établir une relation de confiance avec les personnes interrogées.

En tant qu’enquêtrice, je trouve important d’expliquer notre mandat et nos méthodes de travail. Cela permet d’assurer le consentement éclairé des personnes interviewées, et d’expliquer que nous ne sommes pas en mesure de leur prêter une assistance directe. »

 

Les violences sexuelles, une forme de violence parmi d’autres

« De nombreuses personnes rencontrées ont subi des violations multiples de leurs droits humains, dont les violences sexuelles ne sont qu’un aspect. Nous ne savons pas toujours avant les entretiens ce que la personne rapportera, ni quelles violations nous allons établir. C’est pourquoi il est souvent plus sensé d’adopter une approche intégrée pour enquêter sur les violences sexuelles, plutôt que de les traiter séparément.

Au sein de la Commission d’enquête sur le Burundi, tous les enquêteurs connaissaient les normes éthiques s’appliquant aux entretiens avec des personnes ayant subi des violences sexuelles. Par exemple, ils savaient comment éviter de contribuer à une re-traumatisation et rester attentifs à des indices qu’une personne pourrait avoir subi ce type de violence (tels que des hésitations, des ellipses dans leur récit ou des signes de gêne physique ou émotionnelle). Les survivants n’abordent souvent pas directement les violences sexuelles parce que leur souvenir est douloureux, et à cause de la stigmatisation qui y est rattachée. »

 

La victime au centre de notre approche

« En général, je commence par demander aux personnes de me raconter leur histoire. Cela leur permet de parler de ce qui compte pour elles, et réduit le risque de manquer des parties importantes de leur récit. Écouter et reconnaitre leur expérience est également important pour établir la confiance. Dans un second temps, je reviens sur certains points de l’histoire pour obtenir les détails nécessaires à l’enquête.

Une personne est toujours libre de choisir la manière dont nous utilisons ses informations. Certaines préfèrent ne pas divulguer du tout les violences sexuelles qu’elles ont subi. Cela explique que les violences sexuelles restent sous-rapportées, même dans le cadre d’enquêtes internationales. »

 

Comprendre le contexte

« Au Burundi, les femmes et les filles sont les principales victimes de violences sexuelles, même si nous avons également documenté des cas touchant des hommes. Mais la violence à l’égard des femmes ne se cantonne pas aux violences sexuelles. Afin d’appréhender la façon dont elles sont touchées par une crise, une analyse des rôles de genre spécifique au contexte est nécessaire.

Au Burundi par exemple, les violations des droits civils et politiques résultant de la crise politique (telles que les détentions arbitraires, les exécutions extrajudiciaires ou les disparitions forcées) ont ciblé principalement des hommes. Alors que les femmes ont rarement été directement visées, elles ont été touchées par ces violations en raison de leur rôle de genre.

Par exemple, les hommes sont souvent les principaux soutiens financiers de la famille, alors que le rôle traditionnel des femmes comprend les tâches domestiques et le soin aux enfants. En conséquence, dans un pays où de nombreuses personnes sont pauvres, la survie des femmes et des enfants est souvent menacée lorsque l’homme chef de famille est tué, emprisonné ou disparu. Dans son second rapport présenté en septembre 2018, la Commission d’enquête a mis un accent particulier sur la manière dont les femmes sont touchées par la crise en raison de discriminations fondées sur le genre. »

 

Chaque année, des milliers de migrants d’Amérique centrale disparaissent au Mexique, venant s’ajouter au nombre déjà considérable de ressortissants mexicains disparus. Avec un gouvernement nouvellement élu et une préoccupation internationale croissante pour les migrations en Amérique latine, le Mexique peut-il lutter efficacement contre ce crime ?

 

TRIAL International et la Fundación para la Justicia and Estado Democrático de Derecho soumettent un rapport à l’ONU sur les disparitions forcées au Mexique. Dans quel contexte ce rapport intervient-il ?

Gabriella Citroni, conseillère juridique principale chez TRIAL International : Le Comité des Nations Unies sur les disparitions forcées (CED) examine la situation du Mexique pour la deuxième fois depuis sa création. L’État présente son rapport au CED et les organisations de la société civile sont invitées à déposer des rapports complémentaires, afin de fournir un autre point de vue sur la situation. La particularité de notre rapport conjoint est qu’il se concentre sur les disparitions forcées de migrants au Mexique.

 

Comment la situation a-t-elle évolué depuis le dernier examen du Mexique en 2015 ?

Ana Lorena Delgadillo, directrice exécutive de la Fundación para la Justicia: Ces dernières années, nous avons assisté à une augmentation du nombre de disparitions forcées, ce qui nous mène à affirmer que le Mexique manque à ses obligations internationales. Ce constat est paradoxal, puisqu’en 2017, le pays a adopté des mesures législatives extrêmement progressistes (connues sous le nom de « Loi générale ») pour lutter contre les disparitions forcées. Mais ces améliorations sont restées lettre morte jusqu’à présent : les familles des victimes ne disposent toujours pas de mécanismes efficaces pour rechercher leurs proches, ni d’accès concret à la vérité et à la justice.

 

Pouvez-vous donner des exemples ?

Gabriella Citroni: La Loi générale pourrait être l’un des instruments juridiques les plus complets au monde sur les disparitions forcées. Deux autres mesures, créées avec la collaboration des familles et de la Fundación para la Justicia, sont particulièrement progressistes. La première est la création d’une commission médico-légale interdisciplinaire spécialement chargée d’identifier la dépouille des victimes de trois massacres commis entre 2010 et 2012, dont celles de nombreux migrants. La seconde était le Mécanisme transnational pour l’accès à la justice, une disposition permettant aux familles d’États d’Amérique centrale de saisir les autorités mexicaines par l’intermédiaire de ses ambassades et consulats – un point crucial étant donné la difficulté pour les familles de migrants de saisir la justice mexicaine.

Ana Lorena Delgadillo: Le problème est que certaines de ces mesures restent théoriques. La nouvelle Commission nationale de recherche des disparus – créée en vertu de la Loi générale – manque de ressources financières et humaines suffisantes. Les familles des victimes continuent d’effectuer elles-mêmes le travail de recherche.

L’accès à la justice pour les familles hors du pays est également bloqué. Le Mécanisme transnational pour la justice a été créé, mais le Mexique ne compte aucun personnel permanent affecté aux disparitions forcées dans les États d’Amérique centrale d’où proviennent les migrants (principalement le Honduras, le Nicaragua, El Salvador et le Guatemala). Les demandes des familles doivent donc passer par les fonctionnaires en visite, mais cela n’arrive que quelques fois par an. Entre-temps, les familles souffrent quotidiennement des incertitudes liées au sort de leurs proches.

 

Qu’espérez-vous de ce rapport ?

Gabriella Citroni: Je pense qu’il y a une prise de conscience croissante des disparitions forcées au Mexique, en particulier concernant les migrants, et que cette prise de conscience constitue un élément particulièrement positif. Un autre facteur encourageant est que le Mexique dispose de l’arsenal juridique nécessaire pour prévenir et éliminer efficacement les disparitions forcées, et notre rapport présente une feuille de route très concrète pour sa mise en œuvre. Donc, si la volonté politique est là, les autorités sont bien équipées pour initier un changement.

Ana Lorena Delgadillo: Il y a aussi un élan politique : le Mexique vient d’élire un nouveau gouvernement. Nous avons rencontré ses représentants et espérons qu’ils prendront au sérieux le crime de disparitions forcées. Les familles et les proches des victimes sont très bien organisés et incroyablement courageux. Ils ont toujours été à l’avant-garde de la lutte contre l’impunité et ont souvent mené leurs propres enquêtes lorsque les autorités leur ont fait défaut. Le nouveau gouvernement doit prendre en compte l’expertise qu’ils ont ainsi développé, respecter et améliorer les bonnes pratiques telles que la commission de police scientifique et le mécanisme transnational d’accès à la justice, et s’appuyer sur l’aide de la communauté internationale. Compte tenu de l’ampleur de l’impunité au Mexique, seul un effort commun peut apporter de réelles améliorations.

 

Lire le rapport complet au Comité des disparitions forcées (en espagnol)
Lire le résumé du rapport (en anglais)
En savoir plus sur les disparitions forcées

L’ancien chef de la police civile nationale guatémaltèque, qui vient de faire appel au Tribunal fédéral de sa condamnation à 15 ans de prison par un tribunal genevois, pourrait faire face à de nouvelles accusations pour des exécutions extrajudiciaires et des actes de torture commis sur des fugitifs du pénitencier de «El Infiernito» en 2005.

Quatre responsables du gouvernement et des forces de sécurité guatémaltèques ont été arrêtés au Guatemala le 29 octobre 2018. Carlos Vielmann, ministre de l’Intérieur de 2004 à 2007, Stu Velasco, ancien sous-directeur de la police civile nationale (PNC), ainsi que deux autres personnes sont aujourd’hui sous les verrous. Mais parmi les personnes citées à comparaître par le Ministère public, il y a aussi l’ancien chef de la PNC, Erwin Sperisen, qui a fait appel de sa condamnation à Genève pour une affaire similaire survenue dans une autre prison.

La justice guatémaltèque entend faire la pleine lumière sur l’implication de ces hommes dans le «plan Gavilán». Le 22 octobre 2005, 19 prisonniers s’échappaient de la prison de haute sécurité «El Infiernito». Un plan aurait alors été échafaudé pour retrouver les fugitifs et les exécuter. Sept d’entre ont été abattus, et au moins quatre autres auraient été torturés. Selon le Ministère public guatémaltèque, les forces de sécurité étaient organisées en deux groupes: l’un, officiel, censé retrouver les fugitifs; le second, «extra-officiel», chargé de les exécuter. Ce deuxième groupe devait mettre en scène une confrontation armée entre les prisonniers et les forces de l’ordre, de façon à justifier la mort de ces derniers comme étant le résultat d’un échange de tirs.

 

Mêmes événements, nouvelles charges

Erwin Sperisen, double national suisse et guatémaltèque, a été acquitté par un tribunal genevois pour deux des assassinats des fugitifs de «El Infiernito». Mais l’enquête du Ministère public et de la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG) – basée sur 56 témoignages, des autopsies et des rapports balistiques ou de police –, le met en cause dans la mort de trois autres personnes, dont deux fugitifs du pénitencier. Lors d’une conférence de presse tenue le 29 octobre, Juan Francisco Sandoval, le chef du Bureau du procureur spécial contre l’impunité, a affirmé que le groupe officieux qui a exécuté les prisonniers recapturés était dirigé par Carlos Vielmann et Erwin Sperisen. Ceux-ci auraient en effet été tenus informés des opérations des deux groupes par Victor Rivera, alors conseiller du ministre de l’Intérieur, aujourd’hui décédé. Par ailleurs, quatre prisonniers recapturés ont témoigné des tortures qu’ils ont subies. Toujours selon M. Sandoval, trois d’entre eux ont affirmé avoir été torturés par Erwin Sperisen en personne.

«L’enquête va se poursuivre. Mais si ces faits sont confirmés, ils représentent un développement important qui devrait intéresser la justice suisse, et pourraient se transformer en autant de charges nouvelles contre M. Sperisen», indique Philip Grant, directeur de TRIAL International, qui rappelle que ce dernier n’est pas extradable. M. Sperisen et M. Vielmann avaient déjà été jugés pour d’autres crimes, l’un en Suisse, l’autre en Espagne. Condamné par la justice genevoise à 15 ans de réclusion pour complicité dans l’assassinat de sept détenus de la prison de Pavón, Erwin Sperisen devra-t-il répondre du meurtre de deux des prisonniers de «El Infiernito» et d’actes de torture? Dans une vidéo postée sur internet, il a réagi en se déclarant confiant et dénonçant un coup d’éclat politique. Même son de cloche du côté de Carlos Vielmann, acquitté en mars 2017 par un tribunal espagnol pour son rôle dans les assassinats de Pavón. Reste à voir, en présence de telles charges, si la thèse d’une conspiration parviendra encore à convaincre.

 

La première audience dans le cadre du processus de justice transitionnelle pour l’affaire Jaïdane a eu lieu  jeudi 4 octobre 2018 à Tunis. En raison du mouvement des magistrats qui a touché la quasi-totalité des chambres spécialisées, la chambre de Tunis, composée en partie de magistrats remplaçants, a dû prononcer le report de l’audience après 45 minutes d’échanges introductifs alors même que 5 accusés étaient présents.

Après que la Cour d’appel de Tunis a donné, en décembre 2017, un arrêt retenant la prescription de la torture subie par Rached Jaïdane en faveur de ses tortionnaires, le transfert du dossier en juin 2018 par l’Instance Vérité et Dignité (IVD) offre un nouvel espoir pour rendre justice et voir les auteurs présumés condamnés. L’IVD a inculpé, lors du transfert du dossier de l’affaire, 9 auteurs présumés pour 6 chefs d’inculpation sur la base de plusieurs articles du Code pénal tunisien.

Rappel des faits 

Malgré le fait que le crime de torture soit imprescriptible selon les dispositions de la Constitution tunisienne, le Tribunal de première instance de Tunis a pourtant jugé le 8 avril 2015 que les faits étaient trop anciens. Les auteurs présumés sont ainsi repartis libres. Cette décision a été par la suite confirmée par la Cour d’appel de Tunis le 21 décembre 2017.

Le 11 août 2017, la décision du Comité contre la torture, rendue à la suite d’une plainte déposée par l’ACAT et TRIAL international, s’inscrit à l’encontre des jugements rendus. Elle est lourde de sens et d’exigences vis-à-vis de la justice tunisienne. Tout en rappelant à la Tunisie l’« obligation (…) d’imposer aux auteurs d’actes de torture des peine appropriées eu égard à la gravité des actes », le Comité :

  • Affirme que la justice tunisienne ne peut nullement retenir la prescription comme elle l’a fait dans l’affaire Jaïdane ;
  • Exige, dans les cas où les juges ne pourraient qualifier juridiquement de ‘torture’ des actes commis avant 1999 (date d’incrimination de la torture dans le Code pénal), qu’ils retiennent une qualification reflétant la gravité des faits et permettant des poursuites.

Cette décision constitue un appel clair à rompre avec les pratiques d’impunité qui, au-delà de la douleur qu’elles infligent aux victimes, constituent un blanc-seing donné aux forces de sécurité tunisiennes qui continuent encore aujourd’hui de recourir à la torture et aux mauvais traitements.

L’histoire de Rached Jaïdane est emblématique du système tortionnaire tunisien, celui-là sur lequel les gouvernements post-révolution ont promis de tourner la page en rendant justice aux victimes. Et pourtant…

Aujourd’hui, et malgré ses obligations internationales ainsi que les réformes juridiques et institutionnelles introduites depuis 2011, l’Etat tunisien ne démontre toujours pas de volonté ferme de mettre fin à cette impunité. Dans ce contexte, la mise en place des chambres spécialisées représente un espoir considérable d’obtenir justice et de créer une jurisprudence solide sur laquelle des centaines d’autres affaires pourront se baser.

Dans ce contexte, les organisations signataires appellent :

  • Le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) ainsi que les acteurs concernés à procéder rapidement aux remplacements des membres manquants des chambres spécialisées et à leur formation ;
  • La chambre spécialisée de Tunis à agir avec toute la diligence nécessaire pour poursuivre, dans le cadre d’un procès équitable, les présumés tortionnaires.

Organisations signataires :

  • ACAT, Action des chrétiens pour l’abolition de la torture ;
  • ASF, Avocats Sans Frontières ;
  • TRIAL International ;
  • OMCT, Organisation Mondiale Contre la Torture.

Les «Junglers», les escadrons de la mort de l’ancien dictateur gambien, ont à de nombreuses reprises fait disparaître des corps en Casamance. C’est ce qu’a notamment permis de révéler l’enquête conjointe réalisée par TRIAL International et Human Rights Watch (HRW) sur la disparition de 56 migrants ouest-africains en 2005. Les Junglers ont alors traversé la frontière pour abattre au moins 45 d’entre eux au Sénégal, où ils les ont enterrés dans des puits abandonnés. TRIAL International et HRW ont présenté devant la presse sénégalaise le résultat de leur enquête.

 

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Forte de son expertise au Burundi et en RDC, TRIAL International inaugure sa première formation jointe pour 80 avocats rwandais, congolais et burundais. Un tournant qui amorce la stratégie régionale « Grands Lacs » de l’organisation.

L’Association des Barreaux des Pays des Grands Lacs (ABGL) regroupe depuis février 2018 les Barreaux de Goma (RDC), de Bukavu (RDC), de Bujumbura (Burundi) et du Rwanda. Fondée pour favoriser les échanges entre les avocats de la région, l’initiative a trouvé un écho naturel chez TRIAL International. L’organisation travaille en effet depuis plusieurs années sur le Burundi et la RDC, et pourra grâce à l’ABGL systématiser son appui aux avocats de la région.

« Nous avons constaté que les avocats congolais et burundais faisaient face à des difficultés similaires dans leur travail de lutte contre l’impunité », explique Pamela Capizzi, responsable du programme Burundi à TRIAL International. « Nous avons donc bâti notre formation autour de thématiques qui seront utiles à chaque Barreau, notamment la documentation des crimes internationaux comme la détention arbitraire et les violences sexuelles. »

 

Vers une stratégie régionale dans les Grands Lacs

Cette formation marque une première étape dans la nouvelle approche transfrontalière de TRIAL International dans la région. A l’avenir, l’organisation devrait mener de plus en plus de projets communs à ses programmes Burundi et RDC, voire étendre son action à d’autres pays de la zone.

L’atelier est aussi une occasion de renforcer les dynamiques régionales d’échange entre les avocats eux-mêmes. « Notre approche est fondée sur le renforcement de compétences, autrement dit donner aux partenaires locaux des outils pour être eux-mêmes acteurs du changement », précise Daniele Perissi, responsable du programme RDC de TRIAL International. « Dans ce sens, bâtir un réseau transfrontalier d’avocats qui se connaissent et partagent leurs bonnes pratiques contribue à la pérennité de notre action sur place.»

Concrètement, la formation a réuni 80 participants, équitablement répartis entre les Barreaux de Goma, de Bukavu, de Bujumbura et du Rwanda à raison de 20 participants par Barreau, avec une importante représentation féminine. « Par cette formation, TRIAL International a offert une grande opportunité à l’ABGL en matérialisant l’un de ses objectifs, à savoir la création d’un cadre d’échange et partage scientifique pour la promotion du droit dans la région », affirme Me Abel Ntumba, Bâtonnier du Barreau de Goma et Président de l’Association des Barreaux des Pays des Grands Lacs.