Affaire Kavumu : interview de « l’homme qui répare les femmes »

08.02.2018 ( Modifié le : 20.12.2018 )

Le Docteur Mukwege a fondé l’hôpital de Panzi à Bukavu en 1999. Depuis sa création, plus de 50 000 femmes, y compris les jeunes victimes de Kavumu, ont pu y être soignées. Il revient sur cette affaire qui a tant marqué les esprits.

 

Qu’avez-vous ressenti quand des mineurs de Kavumu, toutes victimes du même mode opératoire, ont commencé à affluer pour se faire soigner dans votre hôpital

L’afflux de ces enfants violées a constitué un véritable choc pour toute l’équipe de prise en charge médicale et moi-même. Des limites infranchissables étaient atteintes : l’impunité avait accouché l’innommable.

Le traumatisme était profond pour nous tous au bloc opératoire. C’est la première fois que j’ai vu toute l’équipe fondre en larmes. Même ceux qui habituellement expriment plus difficilement leurs émotions n’ont pas résisté. C’était très douloureux de voir ces petites innocentes souffrir suite à la bêtise humaine, dans un contexte sans protection, sans justice, en bref : sans recours.

 

Pouvez-vous nous parler un peu plus du travail des experts locaux en RDC et le rôle qu’ils ont joué ? 

Les acteurs locaux ont joué un rôle très important en commençant par nos para-juristes qui n’ont pas cédé aux menaces des bourreaux et leurs complices. Pour chaque cas, ils prévenaient notre clinique juridique et notre équipe mobile faisait ensuite des déplacements périlleux pour aller chercher les victimes et les amener à l’hôpital de Panzi. Ce sont eux qui, en documentant et en collectant les éléments de preuve, recueillaient les premières informations relatives aux incidents.

 

Au niveau de l’hôpital, comment avez-vous procédé ?

La prise en charge holistique était conduite minutieusement. De manière pratique, l’hôpital réalisait : un examen physique général, un examen des lésions physiques avec photographies scientifiques, une évaluation psychologique et la rédaction d’un certificat médical. Souvent, comme les enfants arrivaient dans les 72 heures, un kit de prévention du VIH et des infections sexuellement transmissibles leur était administré immédiatement. Le traitement chirurgical suivait, en fonction de la localisation des lésions et de leur gravité.

Ces cas ont fait l’objet de deux publications scientifiques de notre part au niveau internationale puisque nous avions à faire à des situations jamais publiées*.

Nous continuons le suivi médical et psychologique étant donné qu’à ce jour la littérature scientifique ne nous dit pas quel sera l’avenir de ces futures femmes sur le plan sexuel, sur le plan de la fertilité et sur le plan psychologique. Ce travail de suivi est crucial pour l’avenir de ces enfants, même après le verdict.

 

Quelles ont été les difficultés majeures au long de cette enquête qui a finalement abouti à un procès historique ? 

Les bourreaux avaient presque un statut d’immunité dans la société. Ils étaient intouchables. Et toute personne qui résistait à cet état de choses risquait de le payer de sa vie sans aucune conséquence pour les bourreaux. Il ne faut pas perdre de vue qu’il y eu des assassinats et mort d’hommes dans cette affaire.

De ce fait, les membres de V-Men**, mon équipe et moi-même, nous sommes rendus à Kavumu pour sensibiliser les hommes concernant ce fléau. Et pour qu’ils s’engagent contre l’omerta, les commérages, la corruption.

Il était de notre devoir de pallier à ce sentiment de peur général ressenti par la population lorsqu’elle devait s’exprimer sur le sujet.

 

Une autre affaire vous a-t-elle marqué de la sorte au cours de votre carrière ?

L’Assassinat de mes malades et de mon staff à l’Hôpital de Lemera en 1996.

Ils étaient inoffensifs, comme les enfants…

 

* La classification des lésions génito-urinaires et digestives basses chez les filles de moins de 5ans. Publiée dans le « Journal of Gynecology and Obstetric »

Le traitement des lésions génito-urinaires et digestives basses chez les fillettes de moins de 5 ans. Publié dans le « Journal of Gynecology and Obstetric »

**Mouvement en faveur de l’égalité du genre, lancé à New York il y à 10 ans. Le Docteur Denis Mukwege parraine le mouvement V-Men RD Congo

 

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