Affaire Naït-Liman : la Grande Chambre rejette la requête d’une victime de torture

15.03.2018

La Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rejeté ce matin la requête d’une victime de torture souhaitant que les tribunaux de son pays d’accueil puissent entendre une demande de réparation contre son tortionnaire. Elle laisse cependant la porte ouverte à de futurs développements. TRIAL International, qui a accompagné Monsieur Naït-Liman dans sa quête de justice depuis près de 15 ans, regrette une occasion manquée de renforcer les droits des victimes dans la lutte contre la torture.

La Grande Chambre de la CEDH a rendu un arrêt final dans l’affaire Naït-Liman. M. Naït-Liman se plaignait d’une violation par la Suisse de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, lequel garantit le droit d’accéder à un tribunal pour y faire valoir ses droits. Les faits remontent à avril 1992 : Monsieur Naït-Liman, ressortissant tunisien ayant depuis obtenu la nationalité suisse, avait été arbitrairement détenu et torturé durant quarante jours par les autorités tunisiennes. Réfugié en Suisse et ne pouvant obtenir justice dans son pays d’origine, Monsieur Naït-Liman avait introduit en 2003, avec l’aide de TRIAL International, une action civile devant les tribunaux suisses visant à ce que son tortionnaire, l’ancien ministre de l’intérieur tunisien Abdallah Kallel, soit condamné à réparer le dommage matériel et moral subi. Le cas avait été porté jusqu’au Tribunal fédéral avant d’être soumis à la CEDH.

La requête avait une première fois été rejetée par la Cour avant d’être renvoyée en dernière instance à la Grande Chambre. Ce matin, celle-ci a laissé à la Suisse une très large marge de manœuvre pour réglementer l’accès à ses tribunaux. Elle a toutefois salué « les efforts des Etats tendant à rendre le plus effectif possible l’accès à un tribunal en vue d’obtenir réparation pour des actes de torture. » Elle garde par ailleurs la porte ouverte à des développements nouveaux dans ce domaine juridique en plein essor, invitant les 44 Etats du Conseil de l’Europe « à tenir compte dans leur ordre juridique de toute évolution favorisant la mise en œuvre effective du droit à réparation » des victimes de torture.

Il s’agissait de la première fois que la Cour se penchait sur une telle question. Avocat de M. Naït-Liman, Me François Membrez insiste sur le contexte de la décision : « Le fait que la requête de Monsieur Naït-Liman ait été examinée par la Grande Chambre de la Cour constitue une avancée incontestable. Il faudra à présent compter sur le courage d’autres victimes pour faire remonter leur cas à Strasbourg et participer à l’évolution de la jurisprudence. »

TRIAL International constate que malgré l’engagement des nombreux Etats européens à lutter contre la torture, les barrières aux droits des victimes persistent. « Devant l’impossibilité de requérir justice dans le pays où les tortures ont été commises, les autorités judiciaires du pays de domicile doivent s’avérer compétentes pour se prononcer sur des demandes de réparation. Les Etats européens doivent impérativement faire en sorte que la protection qu’ils offrent aux réfugiés victimes de torture s’étende à l’accès aux remèdes juridiques » ajoute Philip Grant, directeur de TRIAL International et avocat du requérant devant la Cour. Monsieur Naït-Liman commente lui aussi le verdict : « Mon combat appartient à toutes les victimes de torture qui ne savent plus où se tourner pour obtenir vérité et réparation. L’Europe a un rôle à jouer pour briser le cycle de l’impunité et de la victimisation. »

 

Chronologie de l’affaire 

Avril 1992 : M. Naït-Liman est arrêté en Italie et remis aux autorités tunisiennes qui le soumettent à diverses tortures durant quarante jours.
1995 : Naït-Liman obtient l’asile en Suisse.
Juillet 2004 : Soutenu par TRIAL International, M. Naït-Liman introduit à Genève une action en justice visant à obtenir de la Tunisie la réparation du dommage subi en raison des tortures infligées.
Septembre 2005 : Le Tribunal de première instance du canton de Genève déclare la demande irrecevable.
Septembre 2006 : La Cour de justice du canton de Genève rejette l’appel de M. Nait-Liman.
Octobre 2006 : M. Naït-Liman saisit le Tribunal fédéral d’un recours visant à faire reconnaître qu’il existe un «for de nécessité» à Genève, tel que prévu par la loi fédérale sur le droit international privé.
Mai 2007 : Le Tribunal fédéral rejette le recours.
Novembre 2007 : Naït-Liman saisit la CEDH d’une requête visant à reconnaître qu’il avait subi une violation de la Convention européenne des droits de l’homme.
Juin 2016 : Par 4 voix contre 3, la CEDH rejette la requête. La Cour reconnaît que la Suisse avait le droit de limiter son droit de saisir les tribunaux pour faire valoir ses prétentions civiles.
Novembre 2016 : Un panel de 5 juges accepte la demande formulée par M. Naït-Liman et TRIAL International que l’affaire soit renvoyée devant la Grande Chambre de la Cour.
Juin 2017 : La Grande Chambre de la Cour tient une audience publique.
Mars 2018 :  La Grande Chambre de la Cour rend son arrêt rejetant définitivement la requête de M. Naït-Liman.
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