Bosnie-Herzégovine: près de 30 ans après le début du conflit, les victimes de violences sexuelles se sentent négligées

02.03.2022

“Il m’a fallu beaucoup de temps pour retrouver ma voix, maintenant que je peux à nouveau parler, je ne resterai plus silencieux/se”

Survivant/e de violences sexuelles liées au conflit en Bosnie-Herzégovine

Cover Study on reparations

Bosnie-Herzégovine, 02.03.2022 – Aujourd’hui, le Global Survivors Fund, TRIAL International et Vive žene, publient conjointement, l’Étude sur les possibilités de réparation pour les survivant/e/s de violences sexuelles en temps de conflits, « We raise our voices », menée en Bosnie-Herzégovine de février 2021 à février 2022. L’étude montre que les survivant/e/s de violences sexuelles liées au conflit en Bosnie-Herzégovine se sentent toujours laissé/e/s pour compte. Elle présente également des recommandations à l’intention des acteurs/trices pour répondre aux besoins des survivant/e/s et faciliter leur réinsertion dans la société.

Selon des estimations, environ 20’000 femmes et hommes ont été violé/e/s ou abusé/e/s sexuellement pendant la guerre qui a duré de 1992 à 1995 en Bosnie-Herzégovine. Parmi eux/elles, seulement 1’000 personnes ont obtenu des réparations ou sont en voie d’en obtenir. Cette différence importante peut être attribuée aux nombreux obstacles qui découragent ou empêchent les survivant/e/s d’accéder à leurs droits à des réparations.

Une solution étatique qui permettrait à toutes les victimes d’accéder à un soutien adéquat et à des droits égaux n’a jamais été adoptée dans le pays. Par conséquent, ces dernières sont confrontées à des systèmes de protection sociale complexes en raison des différences de législation entre les trois unités administratives de Bosnie-Herzégovine. En pratique, cela signifie que les survivant/e/s sont trait/e/s différemment en fonction de leur lieu de résidence, ce qui peut entraîner des inégalités et des discriminations.

« Les survivant/e/s n’ont jamais été indemnisé/e/s pour tous les immenses préjudices qu’ils/elles ont subis à la suite de violences sexuelles. Les autres mesures de soutien et les conditions pour y accéder diffèrent dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine, la république serbe de Bosnie ainsi que le district de Brčko, et amènent malheureusement à un traitement inégal des survivant/e/s, selon leur lieu de résidence », explique Adrijana Hanušić Bećriović, Senior Legal Advisor de TRIAL International et l’une des auteures de l’Étude.

Certain/e/s survivant/e/s recourent à des procédures individuelles devant les tribunaux pénaux et civils pour obtenir une indemnisation mais beaucoup d’entre eux/elles ne font pas confiance aux institutions judiciaires du pays. Non seulement les victimes trouvent que la poursuite des crimes de guerre est lente et inefficace, mais ils craignent également de ne pas pouvoir obtenir de compensation de la part des auteur/e/s des crimes. En effet, certain/e/s procureur/e/s ne remplissent par leur devoir et les condamnations des auteur/e/s à verser des indemnités aux victimes ne sont pas toujours exécutées parce qu’ils/elles se rendent insolvables ou qu’ils/elles dissimulent leurs biens. Certains/aines survivant/e/s se sentent même « encore plus victimes » des institutions judiciaires. En effet, un nombre croissant d’entre eux/elles sont contraint/e/s de payer les frais de justice des individus qu’ils/elles ont poursuivis après que leurs demandes aient été rejetées en raison de l’application du délai de prescription, pourtant contraire aux normes internationales.

En outre, les enfants nés d’un viol continuent de se battre pour faire reconnaître leur statut et sont toujours confrontés à une forte stigmatisation ainsi qu’à de nombreux autres obstacles administratifs. De nombreux/ses survivant/e/s trouvent que les réparations offertes ne sont pas adaptées à leurs besoins réels et qu’elles ne compensent pas de manière adéquate ou ne réparent pas réellement le préjudice subi. Pour y remédier, l’Étude demande la reconnaissance des enfants nés de viols et leur inclusion dans les droits aux réparations en tant que catégorie distincte de victimes ayant des besoins spécifiques.

« Le manque de soutien ne fait qu’aggraver la situation psychosociale des victimes de violences sexuelles, ce qui complique encore le processus de réhabilitation et d’intégration des survivant/e/s dans la société. Le temps n’a pas guéri leurs blessures. La Bosnie-Herzégovine doit agir maintenant », déclare Elmir Ibralić, psychologue à l’organisation Vive žene.

Avec un cadre juridique incohérent et inadéquat, il est clair que la Bosnie-Herzégovine a encore un long chemin à parcourir lorsqu’il s’agit de fournir un soutien adéquat aux survivant/e/s de violences sexuelles liées aux conflits. Près de trente ans après le début de la guerre, combien de temps reste-t-il à la Bosnie-Herzégovine pour arranger les choses pour les victimes ?

 « Les résultats de l’étude menée en Bosnie-Herzégovine montrent l’immense fossé entre les besoins des survivant/e/s de violences sexuelles liées au conflit et la réponse médiocre, voire inexistante, qu’ils/elles ont reçue de l’État », explique Esther Dingemans, directrice exécutive du Global Surivors Fund.  « Le chemin vers les réparations est souvent le combat d’une vie avec de nombreux obstacles juridiques et socio-économiques, mais cette étude est aussi la preuve qu’il y a de l’espoir lorsque toute la communauté est prête à faire tous les efforts possibles pour répondre au lourd fardeau que les survivant/e/s ont enduré, en commençant par leur fournir un soutien pour accéder aux réparations.»

À ce jour, la question de l’octroi de réparations significatives et efficaces aux survivant/e/ de violences sexuelles liées aux conflits – qui continuent de souffrir de conséquences psychologiques, physiques, économiques et sociales durables – est souvent mise sous le tapis. Comme le montre l’Étude, les survivant/e/s se sentent, à juste titre, négligé/e/s et oublié/e/s.

Malgré les difficultés à fournir un système complet et efficace de mesures de réparation, l’Étude se conclut sur une série de recommandations qui répondraient à certains des besoins les plus urgents des survivant/e/s, afin que la Bosnie-Herzégovine puisse respecter ses obligations internationales et améliorer la qualité de vie des victimes. Les auteur/e/s appellent notamment à la mise en œuvre de la décision du Comité des Nations Unies contre la torture de 2019 dans l’affaire A. v. BiH.

En Bosnie-Herzégovine, l’Étude a été menée par TRIAL International en collaboration avec une organisation partenaire locale, Vive žene. Elle fait partie d’un effort de recherche global, coordonné et mis en œuvre dans plus de 20 pays à travers le monde par le Global Survivors Fund. Le sujet de cette étude mondiale est de fournir une vue d’ensemble sur le statut et les opportunités de réparations pour les survivants de violences sexuelles liées aux conflits afin d’exercer leur droit à des réparations. L’objectif de l’étude est de fournir des recommandations spécifiques afin que les réparations soient conçues de manière centrée sur les survivants et accessibles à ces derniers. 

Pour télécharger l’étude (uniquement disponible en anglais) : Study on opportunities of reparations for survivors on conflict-related sexual violence

 

A propos des partenaires du projet :

TRIAL International est une organisation non-gouvernementale qui lutte contre l’impunité des crimes internationaux et soutient les victimes dans leur quête de justice. TRIAL International adopte une approche innovante du droit, ouvrant un chemin vers la justice pour les survivant/e/s de souffrances indicibles. L’organisation offre une assistance juridique, saisit la justice, développe les capacités des acteurs/trices locaux/cales et plaide en faveur des droits humains. TRIAL International est active en Bosnie-Herzégovine depuis 2007 et a ouvert son bureau local à Sarajevo en 2013.

Pour plus d’informations : https://trialinternational.org

TRIAL International – Bureau en Bosnie-Herzégovine a pour objectif de lutter contre l’impunité et de promouvoir la justice transitionnelle en Bosnie-Herzégovine en améliorant l’accès à la justice des victimes de crimes graves et en veillant à ce qu’elles obtiennent les réparations auxquelles elles ont droit. En soutenant les victimes de crimes de guerre en Bosnie-Herzégovine, l’organisation se concentre sur les groupes vulnérables, notamment les survivant/e/s de violences sexuelles, les familles de personnes disparues et les ancien/ne/s détenu/e/s des camps.

Pour plus d’informations : http://trial.ba

L’association Vive žene – Centre de thérapie et de réhabilitation – est une organisation non gouvernementale de premier plan qui fournit une assistance et un soutien psychosociaux aux personnes ayant vécu des expériences de guerre traumatisantes, de torture et de violence. L’association a été fondée début 1994 pour assurer l’accueil, la prise en charge et la réhabilitation des femmes et des enfants victimes de persécutions de guerre. Depuis vingt-sept ans, l’association travaille sans relâche à l’élimination des conséquences des traumatismes de guerre, à la prévention de toutes les formes de violence, à la construction d’une coopération multiethnique et au respect des droits de l’homme en Bosnie-Herzégovine.

Pour plus d’informations :  https://vivezene.ba/o-nama/

Le Global Survivors Fund («GSF») a été lancé en octobre 2019 par le Dr Denis Mukwege et Nadia Murad, lauréats du prix Nobel de la paix 2018. Sa mission est d’améliorer l’accès aux réparations pour les survivant/e/s de violences sexuelles liées aux conflits dans le monde entier, répondant ainsi à une lacune identifiée depuis longtemps par les survivants. GSF agit pour fournir des mesures de réparation intérimaires dans les situations où les États ou d’autres parties ne peuvent ou ne veulent pas assumer leurs responsabilités. GSF plaide pour que les détenteurs d’obligations ainsi que la communauté internationale développent des programmes de réparation, et guide les États et la société civile en fournissant une expertise et un soutien technique pour la conception de programmes de réparation. L’approche centrée sur les survivant/e/s de GSF est la pierre angulaire de son travail.

Pour plus d’informations :  www.globalsurvivorsfund.org

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