Kavumu : Une psychologue aux côtés des enfants traumatisés

04.12.2017 ( Modifié le : 10.01.2018 )

Jacqueline Fall, une consultante médicale experte pour Physicians for Human Rights (PHR), a toujours travaillé auprès des enfants et de leurs familles. Touchée par les agressions commises à Kavumu, elle a rejoint les acteurs congolais travaillant sur l’affaire pour contribuer aux soins psychologiques apportés aux jeunes victimes.

 
Mes 17 années d’expérience auprès des enfants ont été mises au service des victimes de Kavumu. Je travaille à l’hôpital de Gonesse, en région parisienne, où j’ai rencontré un médecin légiste de PHR. Après avoir assisté à mes consultations, elle m’a demandé si je serais intéressée de mettre mon expérience au profit des jeunes victimes de Kavumu. C’est ainsi que je me suis retrouvée à travailler aux côtés des acteurs locaux. 

Je n’ai pas été surprise par les spécificités de l’affaire Kavumu puisque les agressions sexuelles sur enfants font partie de mon quotidien. La particularité de cette affaire par rapport à celles que je rencontre, réside dans les enlèvements et les tortures exécutés massivement et systématiquement. Ici, les crimes semblent avoir été commis en exécution d’un plan défini. C’est cette sérialité, qu’on retrouve dans les attaques, qui contribue à donner un caractère extrêmement complexe à cette affaire.

D’origine sénégalaise et vivant en France depuis maintenant 27 ans, j’y ai suivi des études de psychologie. Mon parcours est fait d’expériences professionnelles variées. J’ai travaillé dans une association socio-éducative et thérapeutique pour enfants et adultes victimes de violence et occupé des postes en maternité, en pédopsychiatrie et dans un service d’aide aux victimes (UNAVI).

 

Tisser une relation de confiance et de sécurité

La psychologue que je suis n’a pas manqué d’être sensible à l’absence de soins pour ces petites victimes qui n’ont malheureusement pas les capacités de faire face, seules, aux déséquilibres provoqués par ces traumatismes. L’absence de soins psychiques et de justice ne fait qu’accentuer leur sentiment d’abandon. Ce qui remet aussi en cause les valeurs fondamentales d’équité et de solidarité auxquelles elles se sentaient jusque-là reliées.

Nous avons eu à lutter contre de nombreuses difficultés. Comme par exemple, le lourd dispositif de sécurité qui rappelait aux enfants qu’ils pouvaient être à nouveau menacés. La barrière de la langue était une seconde difficulté : nous avions besoin de traducteurs tout au long des auditions. Cela introduit un tiers dans la relation et il est donc plus difficile d’instaurer une relation privilégiée avec le patient. Heureusement, notre traductrice était elle-même psychologue, ce qui permettait de minimiser certains biais.

Plus le temps s’écoulait entre les faits et les témoignages, plus le réveil des faits au travers d’une mémoire traumatique n’ayant bénéficié d’aucun soin était risqué. Nous avons alors mis à contribution tout ce dont nous disposions : le regard, la voix, la position corporelle, l’expression du visage… Toutes ces capacités innées ont été utiles pour créer une bulle d’interaction que ni la barrière de la langue, ni l’environnement extérieur ne pouvait rompre.

Un article ne suffirait pas pour exprimer tout ce qui m’a touchée voire bouleversée durant mon travail aux côtés des enfants. Ne serait-ce que dans ces moments d’émotion intense où leur regard se perdait dans le lointain comme bloqué par ces souvenirs traumatiques…

 

Restaurer l’appareil psychique

Outre la reconnaissance sociale et judiciaire de leur traumatisme, il faudrait organiser au plus vite un accompagnement psychothérapeutique pour soigner leur appareil psychique des blessures subies. Dans le cas contraire, de graves souffrances psychologiques sont à craindre pour les victimes et pour leur entourage. Parmi celles-ci on pourrait citer : un impossible dialogue avec son corps, entravant la sexualité d’adulte, l’incapacité à être à l’écoute de ses émotions et de ses besoins. Mais aussi la dépression, les sentiments de solitude, d’insécurité angoissante, l’hypersensibilité à toute forme d’injustice ou d’abus…

Le traumatisme ici est infligé par un autre être humain. Cet acte détruit la confiance de la victime envers les hommes mais aussi envers les Adultes qui n’ont pas su la protéger. Je me souviens d’une victime qui avait cinq ans au moment des faits et qui ne cessait de répéter « on est venu me chercher parce que maman n’avait pas bien fermé la porte… ». En tant qu’adultes nous savons que ces actes ne relevaient pas d’une porte mal fermée, mais cette enfant ne dispose pas de la maturité et de la capacité d’analyse nécessaire pour le percevoir.

Tout ce que j’espère à présent c’est que ces enfants soient reconnus comme victimes et que leurs traumatismes soient réparés. Il en va du devoir de l’humanité de s’engager à défendre et à protéger tous ses membres. Mon premier contact avec ces jeunes victimes remonte déjà à un an et leur agression à quatre ans. Mais nous en sommes toujours à parler d’une hypothétique reconstruction psychique !

Combien de temps cela va-t-il encore durer ?

 

Jacqueline Fall

 

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