Six mois après son ouverture, le point sur le procès Sheka en RDC

11.06.2019

Les audiences se sont ouvertes en novembre 2018, et pourtant elles sont loin de se terminer. Et pour cause : le procès du seigneur de guerre Ntabo Ntaberi, dit Sheka, est l’un des plus complexes jamais tenus au Nord Kivu.

Comment juger les crimes d’une des pires milices de l’est de la République démocratique du Congo (RDC), qui a sévi pendant plus de cinq ans sur des centaines de kilomètres carrés ?

Pire encore : comment garantir la sécurité des victimes quand le principal accusé, le chef de guerre Sheka, se targue encore aujourd’hui de soutiens dans la région ? TRIAL International, au sein du Cadre de concertation du Nord Kivu*, aide les acteurs judiciaires à relever les défis de ce dossier.

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Des premières audiences porteuses d’espoir

Le procès avait commencé sous de bons hospices. «Les premières victimes à être entendues, en février 2019, étaient six anciens enfants soldats recrutés par la milice de Sheka. Ils avaient passé des mois, parfois des années au sein du groupe» explique Elsa Taquet, conseillère juridique déployée à Goma pour suivre l’affaire. «Ils ont fourni des explications très détaillées sur le fonctionnement de la milice, la chaine de commandement qui remontait jusqu’à l’accusé et les techniques barbares employées pour terrifier la population.»

 

Garantir la sécurité des victimes

Mais la comparution des enfants soldats ne s’est pas faite sans difficulté. Un plan de protection extrêmement poussé a dû être élaboré… et sa solidité n’a pas tardé à être testée. En effet, à l’approche de leur comparution, les jeunes ont été menacés au téléphone s’ils témoignaient contre Sheka.

«Au sein du Cadre de Concertation du Nord Kivu, le groupe en charge de la protection immédiatement organisé leur relocalisation et renforcé leur protection. Le plan de sécurité, que TRIAL International a contribué à élaborer, envisageait cette éventualité. Nous avons donc pu réagir rapidement» commente Elsa Taquet. Une prise en charge qui a permis aux six enfants soldats de témoigner devant la cour.

En revanche, la majorité des témoins d’un épisode crucial pour l’Accusation (l’attaque du village de Luvungi en juillet 2010) a renoncé à comparaitre, malgré un plan de protection stricte mis en place, par crainte de représailles. Seules deux femmes, faisant preuve d’un courage exceptionnel, ont finalement accepté de faire face à leur bourreau. Leur récit a particulièrement marqué la Cour et a permis d’exposer une autre pratique effroyable du groupe : le viol de masse comme tactique de guerre.

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Un retour en arrière ?

Malheureusement, après des débuts prometteurs, les audiences semblent s’enliser. Sheka et ses co-prévenus multiplient les stratégies dilatoires pour que la procédure s’éternise. De plus, le rythme des audiences a diminué, début mai, la Cour ne siégeait que trois à quatre heures par jour, deux jours par semaine.

Bien sûr, la Cour doit traiter d’autres affaires en sus de ce procès. Mais la frustration d’Elsa Taquet demeure : «Quand les crimes sont si graves, il est décevant que le dossier n’évolue pas plus vite. Et pour les victimes, chaque report de leur comparution multiplie les risques sur leur sécurité, entame leur confiance en la justice et leur détermination à témoigner… Les avocats font un vrai travail pédagogique pour leur expliquer les longueurs de la procédure afin qu’elles restent actives et investies.»

 

Adapter la stratégie juridique

Face à ces revers, TRIAL International a adapté sa stratégie juridique : les avocats des victimes présentent un nombre restreint de victimes et de témoins pour étayer les prochains chefs d’accusation.

Elsa Taquet justifie ce choix : «Notre but, c’est de démontrer l’ampleur des crimes de la milice de Sheka. Même si chaque témoignage de victime est unique et important, certains sont plus riches d’éléments incriminants. Nous misons donc sur ceux-là pour convaincre les juges de la culpabilité des accusés.»

Malgré ces ajustements, le procès promet de durer encore plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Un exercice de persévérance pour TRIAL International, ses partenaires et surtout les victimes de Sheka qui attendent toujours justice.

 

* Le travail de TRIAL International au Nord Kivu est mené au sein du Cadre de concertation, un réseau informel d’acteurs internationaux qui coopèrent afin de soutenir le travail des juridictions militaires congolaises dans l’investigation et la mise en accusation des auteurs de crimes de masse au Nord Kivu.

 

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