Confirmation de condamnation pour Erwin Sperisen: la lutte contre l’impunité en sort renforcée
La justice genevoise a condamné Erwin Sperisen pour 10 assassinats. L’ancien chef de la police du Guatemala a été reconnu coupable d’exécutions extrajudiciaires et condamné à la prison à vie. Pour les ONG qui ont dénoncé les agissements d’Erwin Sperisen, justice a été rendue et ce jugement doit servir d’exemple pour poursuivre la lutte contre l’impunité à l’égard des crimes d’Etat.
Le 12 mai 2015 à 17 heures (UTC +2), la Cour pénale de la Cour de justice a rendu son verdict et reconnu Erwin Sperisen coupable de 10 assassinats. La sentence a été prononcée au Palais de justice de Genève. L’ancien chef de la Police Nationale Civile du Guatemala a été déclaré coupable et condamné à la prison à vie pour 10 assassinats lors de la reprise du pénitencier de Pavon en 2006 au Guatemala. Contrairement au procès de première instance, les juges d’appel ont également condamné M. Sperisen pour sa participation aux exécutions des fugitifs de la prison « El Infiernito ». La condamnation d’Erwin Sperisen intervient après celles de plusieurs autres individus, tous condamnés à de lourdes peines au Guatemala pour les mêmes crimes.
Pour les ONG, la confirmation de la condamnation de M. Sperisen par la justice genevoise est un signal fort contre l’impunité des crimes d’Etat. D’une voix commune, elles saluent le jugement rendu:
Bettina Ryser, Secrétaire générale de l’ACAT-Suisse : « Nous saluons le courage des témoins, des victimes et des ONG au Guatemala de dénoncer les atrocités commises. Ce jugement montre qu’en dépit des obstacles, leur combat porte peu à peu ses fruits et qu’il faut continuer de défendre l’Etat de droit. »
Philip Grant, Directeur de TRIAL (Track Impunity Always) : « Le verdict rendu est la preuve qu’il est possible à la justice de démontrer l’implication de l’Etat et de ses représentants dans de graves violations des droits humains, et de les tenir responsables devant la loi. Nous souhaitons que la condamnation d’Erwin Sperisen serve d’exemple, notamment aux autorités espagnoles, qui doivent maintenant juger son supérieur direct, l’ancien Ministre Carlos Vielman, pour les même faits. »
Gerald Staberock, Directeur de l’OMCT : « Ce jugement est un signal clair pour les autorités guatemaltèques qui doivent tout mettre en œuvre pour garantir aux victimes l’accès à une justice impartiale et mettre fin à l’impunité endémique des tortionnaires et auteurs de violations graves de droits de l’hommes. »
Chantal Woodtli et Claude Reymond de la CGAS : « L’ère de l’impunité dont a trop longtemps bénéficié la classe dirigeante au Guatemala est révolue. Ce jugement en témoigne, tout comme les importantes manifestations qui se sont déroulées, réclamant la mise à pied de la vice-Présidente Baldetti, enlisée dans des affaires de corruption. »
L’affaire Sperisen en bref
Procès
Un procès s’est tenu en première instance du 15 mai au 6 juin 2014 devant le Tribunal criminel de Genève, composé de sept juges. Une quinzaine de témoins avait été appelée à témoigner durant deux semaines d’audiences. Ses avocats ayant fait appel, Erwin Sperisen a été rejugé par la Cour pénale de la Cour de justice de Genève du 4 au 6 mai 2015, sans audition de témoins. Le verdict de ce second procès a été prononcé le 12 mai 2015. M. Sperisen peut encore faire recours devant le Tribunal fédéral, mais seules les questions d’éventuelles violations du droit ou d’une appréciation arbitraire des faits seront alors traitées.
Procédure et arrestation
- Erwin Sperisen a été dénoncé à la justice il y a près de huit ans par une coalition d’ONG pour des atrocités commises entre 2004 et 2007. La coalition d’ONG dénonciatrices a depuis lors milité sans relâche pour qu’une enquête soit diligentée par les autorités de poursuite genevoises à l’encontre de ce double national helvético-guatémaltèque qui vivait à Genève. Un mandat d’arrêt international a également été émis à son encontre par le Guatemala. Le 31 août 2012, il a finalement été arrêté sur ordre du Ministère public genevois.
- De nationalité suisse, Erwin Sperisen ne pouvait être extradé vers le Guatemala, puisque la Constitution fédérale interdit à la Suisse d’extrader ses propres ressortissants. La Suisse a par contre l’obligation de les juger, même si leurs crimes ont été commis à l’étranger. Dès lors, le canton de Genève était seul compétent pour instruire ce dossier.
- Erwin Sperisen a été entendu par le Ministère public genevois à 11 reprises lors d’auditions préliminaires. 14 témoins se sont déplacés de France, du Guatemala et d’Espagne et quatre commissions rogatoires internationales ont été adressées en Autriche, en Espagne et au Guatemala. L’enquête a convaincu le Procureur de la responsabilité pénale d’Erwin Sperisen, puisqu’il a décidé en janvier 2014 de renvoyer le prévenu devant le Tribunal criminel genevois pour dix assassinats.
Contexte
Le Guatemala est marqué par une grande violence, commise tant par les gangs que les autorités qui ont bien trop longtemps cohabité avec le crime organisé et fait fi de l’Etat de droit. Pourtant, le pays dispose d’une Constitution, de lois et il a ratifié les conventions internationales de protection des droits de l’homme. Le meurtre ou la peine de mort n’y sont pas plus autorisés qu’en Suisse. Et l’assassinat de détenus n’y est pas non plus permis. Les membres des forces de police sont là pour faire respecter la loi et ils ne disposent pas d’un droit de vie ou de mort sur leurs concitoyens. Plusieurs autres individus impliqués dans les mêmes faits ont d’ailleurs eu à répondre de leurs actions devant la justice :
- Victor Soto Diéguez, ancien chef des Enquêtes de la PNC, condamné à 33 ans de prison en janvier 2015.
- Axel Arnoldo Martínez Arriaza et Víctor Manuel Ramos Molina, anciens membres de l’équipe d’investigation de la PNC, condamnés à 25 ans de prison ferme.
- Javier Figueroa, ancien bras droit d’Erwin Sperisen, a été acquitté par un Jury populaire en Autriche en 2014. Son frère Aldo Stéfano Figueroa Díaz a été condamné à 15 ans de prison au Guatemala.
- Carlos Vielman, ancien Ministre de l’intérieur, attend toujours son procès en Espagne. D’après nos sources, ce procès pourrait se tenir à Madrid, dans les mois qui viennent devant la Chambre Pénale (Sala de lo Penal de la Audiencia Nacional).