Arrêté avec sa femme, torturé et disparu

12.02.2016 ( Modifié le : 10.11.2016 )

L’affaire

TRIAL a saisi au mois de novembre 2007 le Comité des droits de l’homme des Nations Unies du cas de Kamel Rakik. TRIAL agit en représentation de Mme Guezout, et de M. Abdelrahim et de Bachir Rakik, respectivement mère et frères de la victime. Kamel Rakik a été arrêté le 6 mai 1996 à Ouled Moussa, et il est porté disparu depuis. Cette disparition s’est produite dans le contexte des disparitions massives survenues en Algérie entre 1992 et 1998.

Kamel Rakik a été arrêté à son domicile, à une trentaine de kilomètre d’Alger, par des officiers de la police judiciaire de la wilaya d’Alger. Les policiers ont fait irruption chez lui, utilisant la violence et menaçant de tuer son épouse, qu’ils ont ensuite employée comme bouclier humain. Alors que personne dans la maison n’était armé, ils ont fait feu et ont blessé Kamel Rakik. Ce dernier a été emmené tout comme, séparément, son épouse et sa belle-soeur.

Tous ont été emmenés à l’école des officiers de police de Chateauneuf, centre de torture et de détention secrète réputé, pour être interrogés. Après cinq jours de détention, les deux femmes – et quatre autres membres de sa famille arrêtés ailleurs le même jour – ont été transférés dans une autre cellule, où ils ont, à leur grand surprise, retrouvé Kamel Rakik. Celui-ci leur a raconté avoir été torturé, puis traité dans un hôpital militaire sous un faux nom, pour être à nouveau torturé.

Après 35 jours de détention, l’épouse et la belle-sœur de Rakik ont été libérées.

A la suite de l’arrestation de Kamel Rakik, son père, Tahar Rakik, persuadé que son fils était mort, a entrepris de le chercher dans les hôpitaux et les morgues. Il s’est également adressé à différents services de police qui lui ont tous affirmé ne pas être informé de l’arrestation de son fils.

Au retour de l’épouse de son fils, Tahar Rakik s’est adressé au Procureur de la République près le tribunal de Boudouaou pour l’informer de la disparition de son fils et demander à ce que celui-ci soit placé sous la protection de la loi. Cette première demande s’est vue opposée une fin de non-recevoir, comme l’ont été les nombreuses plaintes, lettres et demandes que Tahar Rakik lui a adressé par la suite. Même après que le Procureur a fini par l’informer, en juin 1998, que son fils avait été arrêté par des membres des services de sécurité et emmené au commissariat d’Alger, il a continué de refuser de donner suite à ses plaintes. Il lui a de plus clairement fait comprendre qu’il n’entreprendrait pas de poursuites à l’encontre des services de police.

Le père de Kamel Rakik a écrit à plusieurs autorités compétentes, dont le ministre de la justice et celui de l’intérieur, le Président de la République et le Médiateur de la République, mais là encore, aucune suite n’a été donnée à ses demandes.

Tahar Rakik est décédé le 5 février 2003, sans jamais avoir eu de réponse sur le sort de son fils disparu sept ans plus tôt.

En 2006, la mère de Kamel Rakik s’est vue intimée par les services de sécurité d’Alger d’effectuer les démarches administratives pour obtenir une indemnisation, conformément à l’ordonnance de la même année portant «réconciliation nationale». Cependant, une telle procédure impliquant une déclaration officielle de décès de son fils, Mme Guezout refusa et continua à demander à ce que la vérité soit faite.

Les auteurs de la communication demandent au Comité de reconnaître que Kamel Rakik a été victime de disparition forcée, un crime qui porte atteinte aux droits les plus fondamentaux garantis dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ainsi que de plusieurs autres violations, du fait notamment des violences à son encontre lors de son arrestation et de la torture subie lors de sa détention. Les plaignants sollicitent que soient reconnues des violations des articles 2 § 3, 6 § 1, 7, 9 § 1, 2, 3 et 4, 10 § 1 et 16 du PIDCP sur la personne de Kamel Rakik, et également à ce que soit reconnue une violation envers eux des articles 2 § 3 et 7 du PIDCP, pour les souffrances psychologiques endurées depuis tant d’années d’incertitude sur le sort de leur fils et frère.

 

Le contexte général

7’000 à 20’000 personnes, selon les différentes sources ont été arrêtées ou enlevées par les services de sécurité algériens, tous corps confondus ainsi que par les milices armées par le gouvernement entre 1992 et 1998 et sont portées disparues.

A ce jour, aucune des familles des victimes de disparitions forcées n’a reçu d’information sur le sort de leurs proches, aucune enquête n’a jamais été ouverte à la suite des plaintes et démarches effectuées, et, bien que les auteurs et les commanditaires de ces crimes soient connus, aucun d’eux n’a jamais été poursuivi ou inquiété.

 

La décision

Au mois de septembre 2012, le Comité des droits de l’homme a communiqué sa décision (appelée « constatations » dans le jargon onusien).

Le Comité a retenu que l’Algérie avait violé les articles 6 § 1, 7, 9, 10 § 1 et 16 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, individuellement ou en lien avec l’article 2 § 3 du Pacte à l’égard de la victime.

Le Comité a également constaté une violation de l’article 7 du Pacte, individuellement et conjointement avec l’article 2 § 3, à l’égard de la mère et des deux frères de la victime.

Le Comité a notamment enjoint l’Algérie de « mener une enquête approfondie et rigoureuse sur la disparition de Kamel Rakik », de fournir à sa famille « des informations détaillées quant aux résultats de son enquête », de le libérer immédiatement s’il est toujours détenu au secret ou de restituer sa dépouille à sa famille en cas de décès. Le Comité insiste par ailleurs sur l’obligation qu’a l’Algérie de « poursuivre, juger et punit les responsables des violations commises ».

L’Algérie doit également indemniser de manière appropriée la mère et les frères de la victime pour les violations subies.

 

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