Disparition forcée d’Edin Mahmuljin en juin 1992

12.02.2016 ( Modifié le : 12.10.2016 )

Dans le courant du mois de novembre 2009, TRIAL a déposé devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme une requête individuelle contre la Bosnie-Herzégovine (BIH), à propos de la disparition forcée d’ Edin Mahmuljin intervenue en juin 1992. Le CAJ représente dans cette procédure Ismeta Mahmuljin et Muharem Mahmuljin, respectivement mère et père d’ Edin Mahmuljin.

Presque un mois après l’attaque de la ville de Prijedor (29-30 avril 1992), l’armée serbe a attaqué la ville voisine de Kozarac. Le 24 mai 1992, Ismeta Mahmuljin, son fils Edin Mahmuljin, sa belle-fille Saida Mahmuljin et son petit-fils Alen Mahmuljin (alors âgé de 3 ans), se sont enfuis dans la forêt de Kozara pour chercher refuge. Deux jours plus tard, ils ont décidé de se séparer : tandis que Edin Mahmuljin est resté dans les bois avec d’autres hommes, le reste de la famille est retourné à Kozarac, où ils ont été pris par l’armée serbe et transférés au camp de concentration de Trnopolje, d’où ils ont été libérés environ un mois plus tard. Selon le témoignage d’autres hommes qui étaient restés dans la forêt de Kozara avec Edin Mahmuljin, le 24 juin 1992 ils ont été capturés par les membres de l’armée serbe dans la région entre Bosanska Dubica et Bosanska Gradiska, connue sous le nom de Sjeverovci. Quelques hommes ont été amenés au camp de concentration d’Omarska; alors que d’autres, y compris  Edin Mahmuljin ont été amenés dans un endroit inconnu. C’est la dernière fois que l’on a vu Edin Mahmuljin vivant et nous ne savons pas ce qu’il est advenu de lui depuis.

Plus de 17 ans après les événements, aucune enquête officielle, prompte, impartiale, minutieuse et indépendante n’a été effectuée par des autorités de BIH pour retrouver Edin Mahmuljin ou le corps de celui-ci et aucun responsable n’a encore été poursuivi, jugé ou sanctionné. Ismeta Mahmuljin et Muharem Mahmuljin ont effectué de multiples démarches pour obtenir des informations sur leur fils, auprès des autorités et des institutions nationales (notamment la police de Sanski Most, la Commission pour les Personnes Disparues de la Fédération de BIH et la Croix-Rouge de la Republika Srpska) et auprès d’organisations internationales (le Comité International de la Croix-Rouge). Ces initiatives sont cependant restées vaines jusqu’à aujourd’hui.

Le 16 juillet 2007 la Cour Constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine, saisie par plusieurs parents des victimes de disparition forcées de Prjiedor et de ses environs, a retenu que la BIH avait commis une violation du droit à ne pas être soumis à des tortures et des traitements inhumains et dégradants, ainsi que du droit au respect de la vie privée et familiale des parents des personnes disparues. Par conséquent, la Cour a ordonné aux autorités de l’Etat de divulguer toutes les informations disponibles sur ce qu’il est advenu des personnes disparues, y compris de Salih Čekić.

Jusqu’alors, le Conseil des ministres de BIH, le gouvernement de la Republika Srpska, le gouvernement de la Fédération de BIH et le gouvernement du district de Brcko de BIH ont manqué à l’exécution de la décision précédente de la Cour Constitutionnelle et Ismeta Mahmuljin et Muharem Mahmuljin n’ont reçu aucune information sur leur fils des autorités mentionnées.

Par conséquent, Ismeta Mahmuljin et Muharem Mahmuljin demandent à la Cour Européenne des Droits de l’Homme :

de constater que Edin Mahmuljin a subi une violation des articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants) et 5 (droit à la liberté et à la sûreté) en conjonction avec les articles 1 (obligation de respecter les droits de l’homme) et 13 (le droit d’un recours effectif) de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, en raison de l’échec des autorités de BIH pour mener une enquête rapide, impartiale, indépendante et complète concernant la détention arbitraire et la disparition forcée de M. Edin Mahmuljin qui a suivi et pour juger et punir les personnes qui en sont responsables ;

de constater que Ismeta Mahmuljin et Muharem Mahmuljin ont eux-mêmes subi une violation de la part de la BIH de l’article 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants) en conjonction avec les articles 1 (obligation de respecter les droits de l’homme), 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et 13 (droit à un recours effectif) de la Convention Européenne des Droits de l’Homme à cause de la détresse morale sévère et de l’angoisse causée par la disparition forcée d’Edin Mahmuljin et du manque constant d’informations sur la cause et les circonstances de sa disparition, et sur les progrès et les résultats des enquêtes effectuées par des autorités de BIH ;

d’exiger que les autorités de BIH entreprennent enfin – et rapidement – une enquête indépendante pour retrouver le corps d’Edin Mahmuljin, le cas échéant d’exhumer ses restes, de les identifier et de les restituer à sa famille ;

d’exiger de la BIH, conformément aux articles 41 et 46.2 de la Convention, d’identifier, mettre en accusation, juger devant les autorités civiles compétentes et sanctionner les responsables ainsi que les complices de la détention arbitraire et la disparition forcée qui a suivi d’Edin Mahmuljin ; et de d’assurer à  Ismeta Mahmuljin et Muharem Mahmuljin un plein accès et capacité pour agir à chacune des étapes des enquêtes et procédures mentionnées, conformément à la  législation intérieure et aux dispositions de la Convention européenne ;

d’exiger des autorités de BIH qu’elles publient les résultats des enquêtes et de la procédure, pour que la société BIH soit en mesure de connaître l’établissement juridique des faits et des responsables dans cette affaire ;

d’exiger de la BIH, conformément à l’article 41 et l’article 46.2 de la Convention, qu’elle accorde à Ismeta Mahmuljin et à Muharem Mahmuljin une compensation pécuniaire adéquate, couvrant les dommages matériels et non-pécuniaires ;

d’exiger de la BiH, conformément à l’Article 41 et l’Article 46.2 de la Convention, qu’elle garantisse que les mesures adoptées en faveur d’Ismeta Mahmuljin et de Muharem Mahmuljin leur fournissent une réparation intégrale, comprenant la restitution, la réadaptation, la satisfaction (incluant la restauration de dignité et de la réputation) et des garanties de non-répétition ;

d’exiger de la BiH qu’elle publie, en anglais et en bosniaque, les extraits appropriés du jugement de la Cour (incluant l’établissement des faits, les conclusions de la Cour et, s’il y en a, les conclusions incidentes, dans la Gazette Officielle et dans un autre journal à portée nationale ;

La procédure

Après une analyse préliminaire de la recevabilité de la requête, le 28 septembre 2012 a requête a été communiquée au gouvernement de la Bosnie-Herzegovine.

En janvier 2013, REDRESS et l’OMCT ont soumis à la CEDH un « amicus brief » à propos de ce cas afin d’éclaircir la nature du lien entre la disparition forcée et l’interdiction de la torture et autres mauvais traitements; ainsi que d’analyser la corrélation entre le caractère continu de la disparition forcée et le contenu du recours effectif et des réparations en faveur de la famille des disparus.

En janvier 2013, le Gouvernement de Bosnie-Herzégovine a présenté sa réponse, contestant la recevabilité et le fond de l’affaire. Le 25 mars 2013, TRIAL a plaidé, au nom des requérants, devant la Cour européenne des droits de l’homme, et contré les arguments avancés par l’Etat défendeur en mettant en évidence un certain nombre d’erreurs et de contradictions contenues dans le mémoire présenté par l’État à la Cour européenne. Celle-ci a transmis la réponse de TRIAL au gouvernement et lui a donné jusqu’au 13 mai 2013 pour soumettre des commentaires additionnels. Le 3 juin 2014, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a rendu sa décision. Elle a estimé que dans ce cas, les autorités bosniennes avaient fait tout ce qui pouvait être raisonnablement attendu, compte tenu des circonstances particulières qui prévalaient dans le pays jusqu’en 2005 et du grand nombre de crimes de guerre en instance devant les tribunaux locaux. La Cour a noté qu’ « il est évident que tous les auteurs directes des nombreux crimes de guerres commis dans le contexte de la purification ethnique dans la région de Prijedor n’ont pas été punis ». Néanmoins, elle a apprécié le fait que le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et la Cour d’Etat ont respectivement condamné 16 et 7 personnes dans le cadre des crimes commis dans cette région.

 

The General Context

Selon les sources, entre 100’000 et 200’000 personnes ont trouvé la mort pendant le conflit en BIH (1992-1995) et entre 25’000 et 30’000 personnes ont été victimes de disparition forcée. Entre 10’000 et 13’000 personnes n’ont à ce jour pas encore été retrouvées.

Le cas d’Edin Mahmuljin s’est déroulé durant l’opération de purification ethnique menée par les forces serbes durant l’attaque armée de Prijedor et ses environs.

Jusqu’alors, personne n’a été poursuivi, condamné ou sanctionné pour cette privation arbitraire de liberté d’Edin Mahmuljin et sa disparition forcée qui a suivi, renforçant un climat d’impunité déjà tenace. A ce jour, la famille d’Edin Mahmuljin n’a toujours aucune information quant au sort qui lui a été réservé

 

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