Disparition forcée d’Ibrahim Duric en mai 1992

12.02.2016 ( Modifié le : 18.10.2016 )

En janvier 2010, TRIAL a déposé devant le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies une communication individuelle contre la Bosnie-Herzégovine (BiH), à propos de la disparition forcée de Ibrahim Durić intervenue en mai 1992. TRIAL représente dans cette procédure Nevzeta Durić et Nedžad Durić, respectivement mère et frère de Ibrahim Durić.

Le 14 mai 1992, Ibrahim Durić a été arrêté et interrogé à un check point dans la rue Kasindolska tenu par l’armée de Republika Srpska (VRS) dans la banlieue de Sarajevo connue sous le nom de Dobrinja. Il était en voiture avec un ami (Zelimir Vidović), et revenaient de l’hôpital de Sarajevo où ils avaient emmenés un voisin qui avait été sérieusement blessé lors d’un bombardement. C’est la dernière fois que Ibrahim Durić a été vu vivant. Nous ne savons pas ce qu’il est advenu de lui depuis. A la fin du conflit, le corps de Zelimir Vidović’s a été exhumé et identifié à Ilidža, un autre quatrier de banlieue de Sarajevo sous contrôle de l’armée serbe (VRS) pendant le conflit.

Plus de 18 ans après les événements, aucune enquête officielle, prompte, impartiale, minutieuse et indépendante n’a été effectuée par des autorités de BiH pour retrouver Ibrahim Durić ou le corps de celui-ci et aucun responsable n’a encore été poursuivi, jugé ou sanctionné. Nevzeta Durić et Nedžad Durić ont effectué de multiples démarches pour obtenir des informations sur leur fils et frère, auprès des autorités locales (en particulier la police, la Croix Rouge de Sarajevo and la Commission Nationale de recherche des personnes disparues) et des organisations internationales (Comité International de la Croix Rouge). Ces initiatives sont cependant restées vaines jusqu’à aujourd’hui.

Le 23 février 2006, la Cour Constitutionnelle de BiH, saisie par plusieurs familles de victimes de disparition forcée, dont Ibrahim Durić, a retenu que la BIH avait violé le droit à ne pas être soumis à des tortures ou à des traitements inhumains et dégradants, ainsi que du droit au respect de la vie privée et familiale des parents des personnes disparues. Par conséquent, la Cour a ordonné aux autorités de divulguer toutes les informations disponibles sur ce qu’il est advenu des personnes disparues, y compris de Ibrahim Durić. Le 16 novembre 2006, la Cour Constitutionnelle a rendu une autre décision, par laquelle elle a déclaré que le Conseil des ministres de BIH, le gouvernement du Republika Srpska, le gouvernement de la Fédération de BiH et le gouvernement du district de Brcko ont manqué à l’exécution de sa décision précédente. Néanmoins, Nevzeta Durić et Nedžad Durić n’ont toujours pas reçu d’informations sur leur proche par les institutions mentionnées.

Par conséquent, Nevzeta Durić et Nedžad Durić demandent au Comité des Droits de l’Homme :

de constater que Ibrahim Durić a subi une violation par la BIH de l’article 2 par. 3 duPacte international relatif aux droits civils et politiques (garantissant le droit à un recours utile) en conjonction avec les articles 6 (droit à la vie), 7 (interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants), 9 (droit à la liberté et à la sécurité), 10 (droit d’être traité avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne humaine) et 16 (droit à la reconnaissance de la personnalité juridique), en raison de sa disparition forcée, mais également de l’échec des autorités de BiH de mener une enquête officielle, prompte, impartiale, minutieuse et indépendante concernant ces faits et d’identifier, juger et punir les personnes qui en sont responsables ;

de constater que Nevzeta Durić et Nedžad Durić ont subi une violation par la BiH de l’article 2 par. 3 du Pacte (droit à un recours utile) en conjonction avec l’article 7 (interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants), en raison de l’angoisse et des troubles psychiques causés par la disparition forcée de Ibrahim Durić, de l’absence d’information donnée quant à son sort et de l’inexistence d’enquête menée par les autorités de BiH ;

d’exiger que les autorités de BIH entreprennent enfin – et rapidement – une enquête indépendante pour retrouver le corps de Ibrahim Durić, cas échéant d’exhumer ses restes, de les identifier et de les restituer à sa famille ;

d’exiger de la BiH qu’elle poursuive pénalement les auteurs de la disparition forcée de Ibrahim Durić, qu’elle les juge et les sanctionne dans les plus brefs délais et

d’exiger de la BiH qu’elle assure à Nevzeta Durić et Nedžad Durić une réparation pour le tort qu’ils ont subi, notamment une compensation rapide, adéquate et équitable. 

Contexte général

De 1992 à 1995, la guerre a ravagé ce petit Etat issu de l’ex-Yougoslavie. Selon les sources, entre 100’000 et 200’000 personnes y ont trouvé la mort et entre 25’000 et 30’000 personnes ont été victimes de disparition forcée. Environ 13’000 n’ont à ce jour pas encore été retrouvées.

La disparition forcée de Ibrahim Durić est intervenue durant les opérations de « purification ethnique » menées par l’armée serbe durant l’attaque armée de Prijedor et ses environs.

Jusqu’alors, personne n’a été poursuivi, condamné ou sanctionné, pour la disparition forcée de Ibrahim Durić, renforçant ainsi un climat d’impunité déjà tenace. A ce jour, la famille de Ibrahim Durić n’a reçu ni informations quand au sort qui lui a été réservé, ni compensation intégrale et adéquate pour le préjudice subi.

 

La décision

Le 16 juillet 2014, le Comité des droits de l’homme a adopté sa décision (en anglais) sur l’affaire Durić. Le Comité a déclaré la Bosnie-Herzégovine responsable pour la violation des plusieurs dispositions du Pacte international relatif aux droits civiles et politiques. Notamment, le Comité a affirmé que l’État est responsable de n’avoir pas menée une enquête effective sur la privation de liberté, torture, et disparition forcée de Ibrahim Durić, et d’avoir soumis la mère et le frère de ce dernier à un traitement inhumaine et dégradant car il n’a pas établi la vérité sur la sort réservé à Ibrahim Durić et le lieu où il se trouve. En plus, le fait que les auteurs de la communication soient forcés de déclarer la mort de son proche disparu afin de recevoir des indemnisations constitue un traitement inhumain et dégradant.

Le Comité demande à la Bosnie-Herzégovine de:

– Etablir la sort de Ibrahim Durić;

– Traduire en justice sans délai les responsables de sa disparition forcée;

– Garantir une indemnisation adéquate aux auteurs de la communication ;

– Modifier la législation afin qu’il ne soit plus nécessaire de déclarer le décès de la victime afin d’obtenir réparation.

La Bosnie-Herzégovine dispose maintenant de 180 jours pour informer le Comité des mesures prises pour donner effet à la décision.

 

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