Enrôlée dans son enfance, violée à l’adolescence : une victime népalaise demande justice devant l’ONU

15.06.2021 ( Modifié le : 16.06.2021 )

Uttara (pseudonyme) a directement souffert des effets de la guerre civile au Népal. Enlevée par la guérilla maoïste, elle a ensuite été violée, torturée et privée de liberté par la police népalaise. Des années après ces crimes, elle a enfin brisé le silence pour chercher justice et réparations. 

Pendant la journée, elles étaient forcées de marcher d’une station de police à l’autre. Pendant la nuit, elles étaient violées par plusieurs officiers de police. ©Niranjan Shrestha/TRIAL International

Uttara n’avait que 11 ans quand, en 1998, des insurgé/e/s maoïstes l’ont enlevée à sa famille. Malgré leur promesse de la ramener chez elle aussitôt que leur « programme » serait terminé, ils/elles n’ont pas tenu parole. Ils/elles ont dit à Uttara et aux autres enfants enrôlé/e/s que maintenant qu’ils/elles avaient participé au programme de la guérilla, ils/elles étaient maintenant des maoïstes… et qu’en tant que tels, ils/elles pourraient être arrêté/e/s de retour dans leurs familles. Uttara était terrifiée et est donc restée dans la guérilla contre son gré, comme de nombreux autres enfants.

Avec son groupe, Uttara voyageait de village en village. Elle participait à des spectacles de chant et de danse glorifiant la cause maoïste. Mais quelques mois après son enrôlement, sa plus grande peur s’est matérialisée : son groupe a été trouvé par la police népalaise.

 

« Tu vas mourir dans la forêt ce soir »

En novembre 1998, alors qu’Uttara et son groupe se trouvaient dans un village (le nom du lieu est tenu confidentiel pour protéger l’anonymat de la victime), une douzaine de policiers ont fait irruption dans la maison où ils/elles se trouvaient. Ils ont emmené Uttara et une autre adolescente, Vadati (pseudonyme). Poings liés, les jeunes filles les ont suivis dans la forêt environnante, où elles ont été passées à tabac. Les policiers leur ont répété qu’elles allaient « mourir dans la forêt ce soir (là) », et les ont violées.

Le lendemain, les adolescentes et les policiers ont fait route jusqu’à un poste de police local. Faible et meurtrie, Uttara ne pouvait pas marcher mais ses bourreaux l’ont poussée et frappée pour qu’elle avance. Au poste, elle a de nouveau été violée par plusieurs policiers.

La torture des deux adolescentes a duré des jours : pendant la journée, elles étaient forcées de marcher d’une station de police à l’autre, sans recevoir d’eau et de nourriture suffisante. Pendant la nuit, elles étaient violées par plusieurs officiers de police.

 

Captives pendant trois mois

Uttara et Vadati ont finalement atteint la station de police du district. Là, elles ont été maintenues captives pendant six semaines, dans une salle sans fenêtres plongée dans le noir, et violées quotidiennement. À aucun moment, elles n’ont pu voir leur famille ou des représentant/e/s legaux/ales. Au bout de plusieurs semaines Uttara avait le sentiment qu’elle et Vadati n’étaient soupçonnées d’aucun crime, mais étaient simplement gardées en captivité pour le plaisir sexuel des policiers.

Au bout de six semaines, Uttara et Vadati ont été transférées à la prison du district – toujours sans avoir été formellement inculpées. Là, les rapports sexuels forcés ont cessé, mais les maltraitances et le harcèlement étaient continus. La menace d’être de nouveau violées générait une peur et un stress extrême chez les jeunes filles, au point de les empêcher de dormir la nuit.

Au bout de trois mois, Uttara a été liberée parce que sa famille avait payé 80’000 roupies népalaises (environ 800 USD) à la police. L’adolescente a appris plus tard que sa famille avait dû vendre ses terres pour rassembler l’argent. Elle a été séparée de Vadati mais a plus tard entendu dire que la famille de cette dernière l’avait, elle aussi, faite libérer.

 

Chercher justice malgré la stigmatisation

Au moment des crimes, Uttara ne savait pas ce qu’étaient les violations des droits humains, ni que les policiers pouvaient être punis. Mais le frein le plus important était qu’Uttara n’a pas parlé à sa famille de son viol. Cette crainte d’être mise au ban s’est intensifiée au fil des années. L’absence d’accès à une assistante juridique gratuite, et le fait que le conflit continuait de faire rage au Népal, ont davantage entravé sa quête de justice et de réparations.

En juin 2016, grâce à l’aide d’une avocate, Uttara s’est décidée à porter son cas à l’attention du Comité vérité et réconciliation du Népal. Malheureusement, cinq ans après le dépôt de sa plainte, elle n’a reçu aucune information sur son avancée.

C’est ainsi qu’en juin 2021, le Human Rights and Justice Centre et TRIAL International ont aidé Uttara à saisir la Rapporteur spécial des Nations Unies sur les violences contre les femmes. La victime et les deux organisations espèrent que cette affaire attirera l’attention sur les difficultés structurelles qui empêchent les victimes de violences sexuelles à obtenir justice au Népal.

En effet, au Népal, peu de femmes et de filles ont connaissance de leurs droits et des mécanismes d’accès à la justice. Les méthodes d’enquête des institutions gouvernementales sur les violences faites aux femmes ne tiennent pas compte de ces spécificités liées aux genres. Le Népal n’a toujours pas adopté de mesures permettant de garantir la compensation, la réhabilitation et la protection des victimes de violences sexuelles en temps de conflit.

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