Impasse politique au Népal : que se passe-t-il exactement ?

27.01.2020 ( Modifié le : 28.01.2020 )

Depuis début 2020, la scène politique népalaise est plus paralysée que jamais sur la question de la justice transitionnelle (JT). Pour comprendre la situation, il faut remonter à la fondation des mécanistes de JT et au mécontentement croissant des victimes du conflit.

Face à l’impasse, qui sait quelle direction la justice transitionnelle népalaise prendra dans les prochains mois ? ©TRIAL International

Acte 1 : en 2015, création des mécanismes de JT malgré un avis de la Cour Suprême

Neuf ans après la fin de la guerre civile au Népal, deux mécanismes de JT ont été fondés pour enquêter sur les abus commis tant par l’armée régulière que par l’insurrection maoïste. Ils devaient établir la vérité sur ces crimes et en punir les responsables. Mais la Commission vérité et réconciliation (Truth and Reconciliation Commission, ou TRC) et la Commission pour l’investigation des personnes disparues (Commission of Investigation on Enforced Disappeared Persons, ou CIEDP) se sont rapidement révélées décevantes pour la société civile, au Népal et à l’étranger – dont TRIAL International.

Le fonctionnement des mécanismes de JT était obscur, et tous deux manquaient d’indépendance financière et politique. Parmi les autres écueils, un manque total de consultation avec les victimes du conflit elles-mêmes ; l’absence de dispositions allouant des réparations ; et des mesures de protection insuffisantes. Pire encore : les deux mécanismes de JT, censés faire reculer l’impunité, ont à plusieurs reprises tenté d’instaurer une amnistie pour certains auteurs présumés de crimes de masse.

La Cour Suprême du Népal a elle-même déclaré inconstitutionnels certains aspects de la loi établissant les mécanismes de JT. Les amendements demandés par la plus haute instance juridique du pays sont, à ce jour, restés lettre morte.

 

Acte 2 : en février 2019, un mandat non-renouvelé et des postes restés vacants

Quatre ans plus tard, les TRC et CIEDP n’ont pas commencé une seule enquête. Le recensement d’affaires a commencé en 2017 seulement, après que leur mandat ait été renouvelé une première fois. Plus de 60’000 victimes ont témoigné, mais aucun suivi réel ne leur a été offert. Parallèlement, les décisions du Comité des droits de l’homme de l’ONU se multiplient. Toutes appellent le Népal à apporter enfin justice et réparations aux victimes du conflit. Et toutes sont ignorées.

En février 2019, à l’occasion du troisième renouvèlement de mandat des mécanismes, les organisations de la société civile ont uni leurs voix pour demander des changements profonds. Le moment était idéal pour bâtir sur des bases solides, combler les lacunes et enfin respecter les demandes des victimes et de la communauté internationale. Il n’en a rien été. Depuis avril 2019, les mécanismes sont à l’abandon et les postes de Commissionnaires n’ont pas été repourvus. La justice est au point mort et les réparations se font toujours attendre.

 

Acte 3 : en janvier 2020, une « consultation » de façade et une ingérence politique bien réelle

Cette série d’événements nous amènent à la situation actuelle. Fin 2019, un Comité devait émettre des recommandations sur la nomination des nouveaux Commissionnaires – provoquant un maigre espoir de changement.

La consultation tant attendue s’est enfin tenue le 13 janvier 2020. Annoncée au dernier moment et sans agenda précis, elle a duré exactement 24h. Sans surprise, elle était loin de satisfaire les victimes.

Le 17 janvier 2020, les recommandations du Comité quant aux nouveaux Commissionnaires ont enfoncé le clou : des nominations manifestement politiques, résultat d’arrangements entre les deux principaux partis politiques et sans considération aucune pour les demandes de la société civile et des victimes. Ce processus faussé et sans transparence a conduit ces dernières à carrément rejeter les mécanismes de JT. Un point de non-retour ?

 

Et pour comble…

A ceci s’ajoute un dernier élément : le gouvernement a récemment nommé Agni Prasad Sapkota comme Président de la Chambre des Représentants. Sapkota est accusé d’avoir commis un meurtre en 2015 et fait l’objet d’une plainte devant la Cour Suprême du Népal. Dans un contexte déjà tendu, cette décision a été interprétée comme une preuve de plus de l’impunité qui règne dans le pays.

Déjà en 2011, quand Sapkota était devenu ministre de l’Information et de la Communication, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies avait exprimé son inquiétude. Et rappelé l’obligation des États de s’assurer de l’innocence des individus nommés à des postes publics.

Face à cette impasse, qui sait ce qui se passera dans les prochaines semaines ou mois ? Dans le passé, les autorités ont montré leur mépris de l’opprobre nationale et internationale. Son Examen périodique universel devant l’ONU, prévu pour novembre 2020, changera-t-il la donne ? Rien n’est moins sûr.

 

A lire, la déclaration conjointe de Human Rights Watch (HRW), Amnesty International, la Commission internationale de juristes (CIJ) et TRIAL International (en anglais).

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