Le Mexique « bien équipé » pour lutter contre les disparitions forcées… s’il en a la volonté

05.11.2018 ( Modifié le : 22.02.2019 )

Chaque année, des milliers de migrants d’Amérique centrale disparaissent au Mexique, venant s’ajouter au nombre déjà considérable de ressortissants mexicains disparus. Avec un gouvernement nouvellement élu et une préoccupation internationale croissante pour les migrations en Amérique latine, le Mexique peut-il lutter efficacement contre ce crime ?

 

TRIAL International et la Fundación para la Justicia and Estado Democrático de Derecho soumettent un rapport à l’ONU sur les disparitions forcées au Mexique. Dans quel contexte ce rapport intervient-il ?

Gabriella Citroni, conseillère juridique principale chez TRIAL International : Le Comité des Nations Unies sur les disparitions forcées (CED) examine la situation du Mexique pour la deuxième fois depuis sa création. L’État présente son rapport au CED et les organisations de la société civile sont invitées à déposer des rapports complémentaires, afin de fournir un autre point de vue sur la situation. La particularité de notre rapport conjoint est qu’il se concentre sur les disparitions forcées de migrants au Mexique.

 

Comment la situation a-t-elle évolué depuis le dernier examen du Mexique en 2015 ?

Ana Lorena Delgadillo, directrice exécutive de la Fundación para la Justicia: Ces dernières années, nous avons assisté à une augmentation du nombre de disparitions forcées, ce qui nous mène à affirmer que le Mexique manque à ses obligations internationales. Ce constat est paradoxal, puisqu’en 2017, le pays a adopté des mesures législatives extrêmement progressistes (connues sous le nom de « Loi générale ») pour lutter contre les disparitions forcées. Mais ces améliorations sont restées lettre morte jusqu’à présent : les familles des victimes ne disposent toujours pas de mécanismes efficaces pour rechercher leurs proches, ni d’accès concret à la vérité et à la justice.

 

Pouvez-vous donner des exemples ?

Gabriella Citroni: La Loi générale pourrait être l’un des instruments juridiques les plus complets au monde sur les disparitions forcées. Deux autres mesures, créées avec la collaboration des familles et de la Fundación para la Justicia, sont particulièrement progressistes. La première est la création d’une commission médico-légale interdisciplinaire spécialement chargée d’identifier la dépouille des victimes de trois massacres commis entre 2010 et 2012, dont celles de nombreux migrants. La seconde était le Mécanisme transnational pour l’accès à la justice, une disposition permettant aux familles d’États d’Amérique centrale de saisir les autorités mexicaines par l’intermédiaire de ses ambassades et consulats – un point crucial étant donné la difficulté pour les familles de migrants de saisir la justice mexicaine.

Ana Lorena Delgadillo: Le problème est que certaines de ces mesures restent théoriques. La nouvelle Commission nationale de recherche des disparus – créée en vertu de la Loi générale – manque de ressources financières et humaines suffisantes. Les familles des victimes continuent d’effectuer elles-mêmes le travail de recherche.

L’accès à la justice pour les familles hors du pays est également bloqué. Le Mécanisme transnational pour la justice a été créé, mais le Mexique ne compte aucun personnel permanent affecté aux disparitions forcées dans les États d’Amérique centrale d’où proviennent les migrants (principalement le Honduras, le Nicaragua, El Salvador et le Guatemala). Les demandes des familles doivent donc passer par les fonctionnaires en visite, mais cela n’arrive que quelques fois par an. Entre-temps, les familles souffrent quotidiennement des incertitudes liées au sort de leurs proches.

 

Qu’espérez-vous de ce rapport ?

Gabriella Citroni: Je pense qu’il y a une prise de conscience croissante des disparitions forcées au Mexique, en particulier concernant les migrants, et que cette prise de conscience constitue un élément particulièrement positif. Un autre facteur encourageant est que le Mexique dispose de l’arsenal juridique nécessaire pour prévenir et éliminer efficacement les disparitions forcées, et notre rapport présente une feuille de route très concrète pour sa mise en œuvre. Donc, si la volonté politique est là, les autorités sont bien équipées pour initier un changement.

Ana Lorena Delgadillo: Il y a aussi un élan politique : le Mexique vient d’élire un nouveau gouvernement. Nous avons rencontré ses représentants et espérons qu’ils prendront au sérieux le crime de disparitions forcées. Les familles et les proches des victimes sont très bien organisés et incroyablement courageux. Ils ont toujours été à l’avant-garde de la lutte contre l’impunité et ont souvent mené leurs propres enquêtes lorsque les autorités leur ont fait défaut. Le nouveau gouvernement doit prendre en compte l’expertise qu’ils ont ainsi développé, respecter et améliorer les bonnes pratiques telles que la commission de police scientifique et le mécanisme transnational d’accès à la justice, et s’appuyer sur l’aide de la communauté internationale. Compte tenu de l’ampleur de l’impunité au Mexique, seul un effort commun peut apporter de réelles améliorations.

 

Lire le rapport complet au Comité des disparitions forcées (en espagnol)
Lire le résumé du rapport (en anglais)
En savoir plus sur les disparitions forcées

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