Népal: les différents visages de l’impunité

06.09.2016 ( Modifié le : 09.02.2017 )

Un op-ed de Helena Rodríguez-Bronchú Carceller

« Il est défendu de tuer ; tout meurtrier sera puni, à moins qu’il n’ait tué en grand nombre et au son des trompettes. » – Voltaire

Au cours du conflit armé au Népal, comme dans toute autre guerre civile, des gens ont tué, torturé, violé et fait disparaitre nombre de leurs concitoyens. L’affrontement entre les forces de l’ordre et les rebelles maoïstes a duré dix ans (de 1996 à 2006).

Les dix années qui ont suivi le conflit ont été synonymes d’une paix fragile, et de discussions sans fin quant au développement d’un système de justice transitionnelle. Aujourd’hui encore, les désaccords perdurent et prévalent sur les sujets réglés.  Les opinions divergent entre victimes, partis politiques, communauté internationale et société civile, mais aussi au sein de ces groupes eux-mêmes.

L’un des sujets de désaccord est la lutte contre l’impunité croissante. Tandis que la plupart des victimes et des acteurs internationaux exigent davantage de fermeté, les partis politiques, parfois impliqués dans le conflit, cherchent à y déroger.

La Cour suprême a annulé les mesures d’amnistie de la loi « Commission de vérité et réconciliation » de 2014. L’ONU a conditionné son soutien au processus de justice transitionnelle à l’interdiction de toute amnistie. Rien n’y a fait : la question de l’amnistie suscite encore un débat animé au Népal, alimentée par les déclarations d’acteurs politiques.

Assimiler l’impunité à l’amnistie est une simplification excessive et dangereuse. La première désigne une situation où un criminel n’est pas tenu responsable ou puni pour ses actes, tandis que la seconde est un outil juridique pour exempter une personne de toute responsabilité pénale. Bien sûr, l’impunité se nourrit de l’amnistie, mais elle peut également émaner d’autres mesures. Les partis politiques népalais en sont bien conscients : ils se targuent de ne pas demander l’amnistie et passent sous silence leurs autres stratagèmes pour échapper à la justice.

Le refus de modifier la législation est le premier subterfuge. Les actes de torture, les disparitions forcées, et l’utilisation d’enfants soldats resteront impunis tant qu’ils ne seront pas reconnus comme des actes criminels par la législation nationale, et tant que la loi ne pourra pas être appliquée rétroactivement. Des dispositions juridiques sont également nécessaires pour modifier la loi de prescription : la prescription tristement célèbre sur les viols, qui oblige que les plaintes soient déposées sous les 35 jours suivants les faits, et la prescription de 20 ans pour les affaires de meurtres, qui empêche la poursuite de crimes commis au début du conflit. Par ailleurs, seul l’inclusion des qualifications juridiques de « crimes de guerre » et de « crimes contre l’humanité » dans la législation népalaise pourra refléter l’ampleur de ces crimes.

Des procédures déficientes de justice transitionnelle encouragent également l’impunité. Les inquiétudes causées par la création de deux Commissions de justice transitionnelle en 2015 sont trop nombreuses pour être listées ici. De multiples incidents ont été rapportés lors du recueil des plaintes : menaces à la sécurité ; intrusions de partis politiques ou des forces de l’ordre ; problèmes d’accessibilité pour les habitants de régions isolées, les personnes handicapées, les personnes âgées et les personnes ne parlant pas le népalais ; manque d’information et de sensibilisation aux procédures et au mandat de la Commission ; absence de confidentialité lors du recueil de plaintes ; etc.

Les victimes ont donc commencé à être méfiantes, mais de plus, certaines d’entre elles n’ont tout simplement pas pu déposer leurs plaintes. D’autres n’étaient pas en mesure de fournir des faits détaillés, engendrant la rétractation de la Commission pour « preuves insuffisantes » et l’impossibilité d’examiner ces plaintes à nouveau dans le futur. Par ailleurs, le mandat de la Commission expirera dans seulement six mois. Il est difficile d’imaginer comment celle-ci pourrait à donner une réponse satisfaisante aux 60 000 victimes qui ont déposé plainte, étant donnés son rythme de travail et ses faibles ressources. Vouloir régler toutes les affaires liées au conflit par le seul biais de deux Commissions dysfonctionnelles peut également être perçu comme une stratégie en faveur de l’impunité.

Une Cour extraordinaire doit encore être créée. Mais quels serait son rôle et ses mécanismes de régulation ? Les règles de responsabilité pénale des supérieurs seraient-elles appliquées ? Les juridictions militaires joueraient-elles un rôle ? Ces questions cruciales à la lutte contre l’impunité restent sans réponse, mais elles sont surtout trop peu souvent abordées par les principaux acteurs de ce débat. Le chemin de la justice transitionnelle au Népal reste semé d’embûches.

Helena Rodriguez-Bronchú Carceller, directrice du programme Népal
@Helena_RBC

 

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