Pillage de bois de rose entre le Sénégal et la Gambie : la dénonciation pénale de TRIAL International mène à l’ ouverture d’une enquête pénale en Suisse

En juin 2019, TRIAL International avait saisi le Ministère Public de la Confédération (MPC) d’une dénonciation pénale à l’encontre de Nicolae Bogdan Buzaianu, un homme d’affaires suisse, alors proche de l’ancien président gambien Yahya Jammeh. L’organisation le soupçonnait de pillage, un crime de guerre selon le droit suisse.

Bois de rose

Selon l’épais dossier adressé au MPC, l’entreprise Westwood, vraisemblablement détenue par cet homme d’affaires suisse et l’ancien président Yahya Jammeh était impliquée dans l’exploitation illégale et l’exportation du précieux bois de rose en Casamance de 2014 à 2017, étant précisé qu’il s’agit d’une espèce protégée. Durant plusieurs décennies, de larges portions de cette région étaient en proie à un conflit et sous le contrôle de groupes armés séparatistes, notamment le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC). Or, l’exploitation illégale de ressources naturelles dans des zones en conflit peut être considérée comme un acte de pillage, ce qui constitue un crime de guerre selon le droit international et le droit suisse.

Selon les informations en possession de TRIAL International, le MPC a formellement ouvert une enquête pénale concernant l’exploitation et l’exportation illégale de bois de rose alléguées entre le Sénégal et la Casamance. L’ouverture de cette procédure fait suite à la dénonciation pénale susmentionnée, déposée auprès du MPC par TRIAL international en juin 2019. Il convient cependant de préciser que TRIAL International ne détient à ce jour aucune information officielle concernant la/les infractions, ainsi que la/les personne(s) – physiques ou morales – visées par cette enquête.

Cette instruction pénale est la troisième ouverte par le MPC à la suite à des investigations menées et des dossiers déposés par TRIAL International contre des acteurs économiques suspectés de pillage. Les deux autres affaires pénales concernent le commerce illégal de minéraux dans l’est de la République démocratique du Congo d’une part, et le pillage de gasoil libyen de l’autre. Pour TRIAL International, ces affaires ont n’ont pas seulement le potentiel de mener à des décisions de justice qui clarifieraient les obligations au regard du droit international humanitaire des acteurs économiques œuvrant dans des zones de conflit ou des territoires occupés. Elles permettraient également de mettre fin à l’impunité quasi généralisée des acteurs économiques qui saccagent l’environnement et participent illicitement à l’exploitation de ressources naturelles, en alimentant ainsi les causes des conflits.

Pour voir ou revoir le reportage « Trafic de bois, les criminels de l’environnement » diffusé dans Temps présent, le 16 juin sur la RTS :

Le respect du droit international humanitaire doit passer avant la recherche du profit !

Selon des informations en possession de TRIAL International, le Ministère public de la Confédération (MPC) a formellement ouvert une procédure pénale dans une affaire de détournement de gasoil libyen. L’ouverture de cette procédure fait suite à une dénonciation pénale déposée auprès du MPC par TRIAL International en mai 2020. En l’état, TRIAL International ignore quelles sont les personnes – physiques ou morales –, ainsi que les infractions, visées par l’enquête.

Après un an d’enquête, TRIAL International et Public Eye avaient publié un rapport conjoint en mars 2020 concernant une affaire de soupçons de pillage de gasoil appartenant à la National Oil Corporation, une société d’État libyenne. L’enquête alléguait que la société́ de négoce zougoise Kolmar Group (ou une société suisse) avait acheté ce gasoil de contrebande en provenance de Libye dans le contexte du conflit armé qui y régnait en 2014 et 2015. TRIAL International avait analysé les preuves récoltées durant l’enquête et en avait conclu que le négociant suisse pourrait s’être rendu complice du crime de guerre de pillage avant de déposer une dénonciation pénale en mai 2020.

Le MPC devra donc déterminer si les faits portés à sa connaissance violent – ou non – les règles de droit. L’ouverture d’une procédure concernant de tels faits est une importante avancée dans la responsabilisation des acteurs économiques actifs dans des situations de guerre. Elle démontre la nécessité pour les entreprises qui opèrent dans de tels contextes de travailler de façon extrêmement précautionneuse, pour s’assurer que leurs agissements n’enfreignent pas le droit international.

Pour Philip Grant, directeur exécutif de TRIAL International, « le MPC envoie un signal fort à toutes les entreprises qui opèrent en zones de conflit : leurs activités doivent impérativement respecter le droit international humanitaire ». TRIAL International souligne que la justice traite rarement ce genre d’affaires. Jamais condamnation n’a en effet été rendue par un État contre un acteur économique s’étant livré à des actes de pillage depuis la Seconde Guerre mondiale. L’ONG a également déposé deux autres dénonciations pénales contre des hommes d’affaires suisses pour des actes de pillage possiblement commis dans d’autres contextes, en République démocratique du Congo et en Gambie/Sénégal, qui sont actuellement traitées par le MPC. Pour l’organisation, ces affaires ont le potentiel d’aboutir à des jurisprudences qui clarifieront pour l’ensemble des acteurs, opérant en zones de conflit ou en territoires occupés, leurs obligations au regard du droit international humanitaire et de contribuer ainsi à mettre un terme à des pratiques qui, trop souvent, alimentent directement les conflits.

Entre 2014 et 2017, la Gambie a exporté pour près de 163 millions de dollars de bois de rose, une essence rare et précieuse, à destination de la Chine. Pendant cette période, Westwood, une société gambienne vraisemblablement détenue par le ressortissant suisse Nicolae Bogdan Buzaianu et l’ancien Président gambien Jammeh, avait la licence exclusive pour exporter du bois de rose. Le bois qu’elle exportait était abattu illégalement en Casamance voisine où un groupe armé séparatiste combat l’armée sénégalaise depuis des décennies. TRIAL International a déposé une dénonciation pénale auprès du Ministère public de la Confédération contre M. Buzaianu, l’accusant d’avoir pillé du bois de conflit.

Le bois précieux abattu en Casamance était transporté à travers la frontière, puis entreposé dans des dépôts à ciel ouvert avant d’être vendu à des négociants en Gambie. ©TRIAL International

Selon la dénonciation pénale déposée par TRIAL International, l’entreprise de l’homme d’affaire suisse Nicolae Bogdan Buzaianu aurait été impliquée dans le commerce illégal de bois précieux entre 2014 et 2017. Durant cette période, la société Westwood Company Ltd – que M. Buzaianu aurait cofondée avec l’ancien Président gambien Yahya Jammeh – possédait le monopole des exportations de bois de rose, un bois tropical précieux. Or les réserves gambiennes de cette essence étant presque épuisées, l’essentiel de ce bois était en réalité importé depuis la Casamance, une région du Sénégal à la frontière sud de la Gambie. Depuis plusieurs décennies, de grandes portions de cette région sont aux mains d’un groupe armé, le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC).

«Exploiter des ressources naturelles issues d’une zone de conflit porte un nom : il s’agit de pillage. Et aux yeux du droit international humanitaire, le pillage constitue un crime de guerre», a déclaré Montse Ferrer, Conseillère juridique senior et Coordinatrice responsabilité des entreprises de TRIAL International. «Malgré les nombreux cas de pillage, avérés et documentés, pas une seule condamnation n’a été prononcée depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale.»

TRIAL International a déposé une dénonciation pénale pour pillage contre M. Buzaianu en juin 2019. « Nous avons attendu jusqu’à ce jour pour la rendre publique, car nous voulions donner à l’autorité de poursuite pénale le temps nécessaire pour examiner les preuves soumises et prendre, le cas échéant, des mesures décisives à l’encontre de M. Buzaianu. Nous espérons que de telles mesures ont été prises et que le Ministère public de la Confédération enquête sur cette affaire », a ajouté Montse Ferrer.

LA DÉFORESTATION AU PROFIT D’UN GROUPE ARMÉ

L’importance du trafic de bois est telle que certaines estimations indiqueraient une perte pour le Sénégal équivalente à 40 000 hectares de forêt par an, dont plusieurs dizaines d’hectares perdus en raison de l’exploitation illégale de bois de rose qui sévit en Casamance. Cette déforestation sélective a entraîné une baisse des précipitations et accentué la désertification de la région. Elle est par ailleurs à l’origine de conflits entre les rebelles et les communautés locales qui ne peuvent plus utiliser les forêts pour s’assurer des moyens d’existence durables.

L’exploitation illégale de bois précieux est d’autant plus regrettable qu’elle saborde les efforts de reforestation entrepris dans la région. Selon l’Institut international pour l’environnement et le développement (IIED), «dans le village de Koudioube, la restauration de la forêt communautaire a aidé à surmonter les conflits». L’exploitation forestière illégale a cessé, les fruits et la faune sauvage sont abondants, les populations locales sont à nouveau en mesure de vendre des produits forestiers. Les communautés qui auparavant se battaient entre elles travaillent maintenant ensemble.

Une grande partie du trafic et de la coupe se déroulait ainsi directement sur les territoires occupés par le MFDC depuis près de trente ans. «L’activité illicite de Westwood est d’autant plus grave qu’elle a contribué à un commerce illégal de bois qui a historiquement financé le MFDC. Ce qui est dramatique, c’est que ce commerce a des conséquences néfastes sur la vie des populations locales et contribue directement à la déforestation de la région», a déclaré Jennifer Triscone, Conseillère juridique pour TRIAL International. Le groupe exerce un contrôle de fait sur la filière du bois précieux, et ce en délivrant des autorisations pour la coupe ainsi que des permis de transport, ou en assurant la sécurité de ce dernier. Les rebelles exploitent et vendent illégalement le bois issu de feuillus précieux pour acheter des armes: un commerce illégal alimenté par la demande du marché mondial des bois feuillus tropicaux..

 

  Lire le dossier de presse

TRIAL International et l’Open Society Justice Initiative (OSJI) saluent l’ouverture d’une enquête pénale par le Ministère public de la Confédération sur les agissements de Christoph Huber, un ressortissant suisse actif dans le secteur minier. M. Huber est suspecté de pillage de ressources naturelles en République démocratique du Congo (RDC), un crime de guerre aux yeux de la loi suisse. En novembre 2016, les deux organisations avaient déposé une dénonciation pénale, étayée par les nombreuses preuves récoltées au cours de leur enquête débutée en 2013.

L’exploitation illégale de ressources naturelles d’une zone de conflit pourrait valoir à M. Huber d’être accusé de pillage, un crime de guerre selon le droit international humanitaire. ©GuyOliver/IRIN

Le Ministère public de la Confédération (MPC) a confirmé avoir ouvert une procédure pénale contre l’homme d’affaires suisse Christoph Huber. Le MPC enquête depuis mars 2018 sur les accusations – formulées par TRIAL International et OSJI – de commerce illicite de minerais en RDC au cours de la deuxième guerre du Congo entre 1998 et 2003.

« Nous avons mis la main sur des documents commerciaux, ainsi que des documents internes du RCD-Goma, démontrant les liens d’affaires entretenus par Christoph Huber et ce groupe armé», a déclaré Bénédict De Moerloose, responsable du programme Procédures et enquêtes internationales de TRIAL International. «A l’heure où le public exige un engagement accru du secteur privé en faveur du respect des droits humains, l’ouverture d’une enquête sur les agissements d’un homme d’affaires occidental impliqué dans un commerce illégal en zone de conflit envoie un message fort à tout le secteur minier. »

Selon Ken Hurwitz, responsable du Programme Anticorruption de OSJI, « de nombreux conflits sont encore alimentés par la vente illégale de ressources pillées. Mais les entreprises et les hommes d’affaires impliqués ne sont que trop rarement poursuivis. Nous saluons l’ouverture d’une procédure par les autorités suisses dans cette affaire aussi complexe qu’importante. »

Les explications de Bénédict De Moerloose dans l’émission Forum de la Radio Télévision Suisse, le 12 décembre 2019

Des liens avec un groupe armé

Les deux organisations ont notamment découvert des éléments de preuve montrant que M. Huber commerçait directement avec le RCD-Goma, un groupe armé accusé de crimes de guerre qui contrôlait de larges territoires dans l’Est du Congo pendant le conflit. En 2001, l’entreprise représentée par M. Huber a en effet obtenu quatre concessions minières de la part du RCD-Goma, qui occupait militairement la zone dans laquelle se trouvent les mines. L’octroi de ces concessions était assorti de garanties de protection, assurées par les soldats du groupe armé. Avant l’obtention de ces concessions, M. Huber aurait déjà été impliqué dans le commerce de minerais dans la région au moins depuis 1997 pour le compte d’autres entreprises, y compris suisses.

S’il venait à être établi que M. Huber s’est livré à l’exploitation illégale et à l’appropriation de ressources naturelles d’une zone de conflit, il pourrait être tenu pénalement responsable de pillage, un crime de guerre selon le droit international humanitaire, et punissable selon le code pénal suisse d’une peine de prison de trois ans au moins.

Les deux organisations invitent maintenant le MPC à conclure rapidement son enquête.

Un éventuel procès dans cette affaire constituerait un précédent historique. En effet, ce serait la première fois en Suisse qu’un acteur économique ferait face à un juge pour des faits reprochés de crime de guerre de pillage. Pourtant, cette pratique a atteint des proportions alarmantes au cours des dernières décennies.

 

Un rapport de l’ONU récemment rendu public pointe la Suisse du doigt : dans deux affaires en cours, le Ministère Public de la Confédération aurait cédé à des pressions politiques. Avec pour conséquence d’énormes retards dans les procédures, au détriment des victimes soutenues par TRIAL International.

Les procureurs de la Confédération seraient-ils trop perméables aux pressions politiques ? Le reproche adressé au Département Fédéral des Affaires Etrangères (DFAE) par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, ainsi que par le Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats est cinglant : « absence de volonté politique d’instruire des crimes internationaux ».

En cause notamment, les atermoiements dans l’affaire Khaled Nezzar. Pour rappel, cet ancien ministre de la défense algérien fait l’objet d’une procédure depuis 2011 au chef de crimes de guerre, pour des faits commis entre 1992 et 1994. Mais en 2017, le Ministère public de la Confédération (MPC) classe l’affaire, au motif qu’il n’y avait pas de conflit armé en Algérie au cours de la guerre civile. La presse avait ensuite appris que pour le bien des relations bilatérales entre la Suisse et l’Algérie –notamment de certains dossiers économiques–, le DFAE avait informé les procureurs que l’enquête serait une « bombe à retardement ».

Une autre affaire en souffrance a par ailleurs attiré l’attention des deux Rapporteurs spéciaux : celle de Rifaat Al-Assad. Une instruction pénale pour crimes de guerre avait été ouverte par le MPC en 2013 contre l’oncle de l’actuel président syrien au nom des victimes du massacre du village de Hama en 1982. Depuis lors, rien. Si bien qu’un recours en déni de justice a été déposé en 2017 devant le Tribunal fédéral. Là encore, le DFAE aurait fait pression sur les procureurs afin que ceux-ci classent l’affaire.

Dans sa réponse, le DFAE nie toute implication dans les affaires du MPC et souligne son indépendance. Selon lui, les « allégations persistantes d’ingérence politiques dans les affaires du MPC ne reposent (…) sur aucun fondement sérieux ». Et de conclure que la Suisse respecte toutes ses obligations internationales.

Depuis qu’elle a déposé les dénonciations qui ont permis l’ouverture des instructions pénales contre Khaled Nezzar et Rifaat Al-Assad –respectivement en 2011 et 2013–, TRIAL International s’est constamment préoccupée de l’avancement de ces deux procédures. L’organisation réitère que seule une enquête prompte, indépendante et efficace sur les crimes graves reprochés à ces deux personnes est à même d’apporter un début de justice aux victimes d’atrocités commises en Algérie et en Syrie.

Rifaat Al-Assad est militaire de carrière et homme politique syrien. Il est le frère cadet de l’ancien président de la Syrie, Hafez Al-Assad, dont il a largement contribué à la prise de pouvoir en 1970. Il est l’oncle de l’actuel président Bachar Al-Assad.

Très proche du pouvoir dans les années 1980, il a été membre du commandement régional du parti Baath et a commandé les « Brigades de Défense », les troupes d’élites de défense du régime syrien, de 1971 à 1984.

Perçu par beaucoup comme successeur probable de son frère aîné, il a par la suite été soupçonné d’une tentative de coup d’Etat contre ce dernier et contraint à l’exil en 1984. Il a depuis vécu dans plusieurs pays d’Europe où il a investi une large fortune personnelle.

En juin 2016, il a été mis en examen en France pour recel de détournement de fonds publics, blanchiment et travail dissimulé pour des salaires d’employés non déclarés. Des biens lui appartenant, à hauteur de millions d’euros, ont été saisis en France, en Espagne et au Royaume-Uni.

Le 9 septembre 2021, la cour d’appel de Paris a confirmé la condamnation de Rifaat al-Assad à quatre ans d’emprisonnement pour s’être frauduleusement constitué en France un patrimoine évalué à 90 millions d’euros.

En octobre 2021, Rifaat al-Assad a fui l’Europe pour retourner en Syrie malgré les procédures en cours à son encontre et la surveillance judiciaire dont il faisait l’objet en France. L’enquête devant le MPC se poursuit malgré tout.

 

Les faits

Les « Brigades de défense » de Rifaat Al-Assad auraient participé à deux carnages restés dans l’histoire.

D’une part, le massacre de la prison de Tadmor (ou Palmyre), qui aurait été perpétré par les Brigades de Défense, vraisemblablement en représailles à une tentative d’assassinat du Président Hafez Al-Assad.

Le 27 juin 1980, les Brigades de Défense dirigées par Rifaat Al-Assad ont attaqué la prison de Tadmor, à quelques 200 kilomètres au nord-est de la capitale. Dès leur arrivée, elles ont fait irruption dans les cellules de la prison et y ont tué pratiquement tous les prisonniers. Environ 1’000 personnes suspectées d’être membres de l’opposition auraient été sauvagement assassinées.

D’autre part, le martyre de la ville de Hama en février 1982. Suite à la prise de contrôle de Hama par le groupe armé de l’Avant-garde combattante des Frères musulmans, le gouvernement de Hafez Al-Assad a mobilisé plusieurs milliers d’hommes, dont les Brigades de Défense.

Les forces gouvernementales ont encerclé et bombardé la ville. L’Avant-Garde combattante, ainsi que de nombreux individus ayant pris spontanément les armes, ont tenté de résister. Rapidement, la population civile a été prise au piège au sein de sa propre ville, coupée d’approvisionnement, de nourriture et d’électricité pendant près de 4 semaines.

Selon les sources, 10’000 à 40’000 personnes (majoritairement des civils) auraient perdu la vie, et une partie de la ville aurait été détruite, dont un quartier de la vieille ville qui aurait été pratiquement entièrement rasé.

A Tadmor comme à Hama, les témoignages et sources historiques concordent sur l’implication dans ces crimes des Brigades de Défense. Plusieurs sources impliquent directement Rifaat Al-Assad dans la planification et l’exécution des massacres.

 

Procédure

En novembre 2013, TRIAL International a été alertée de la présence en Suisse de Rifaat Al-Assad. L’organisation a mené des recherches et, face aux graves soupçons qu’elle a révélé, a déposé devant le Ministère public de la Confédération (MPC) une première dénonciation pénale concernant le massacre de Hama. Le MPC a ouvert une enquête pénale en décembre 2013 pour crimes de guerre. En août 2014, une partie plaignante s’est jointe à la procédure.

En septembre 2015, le prévenu étant à nouveau à Genève, TRIAL International et l’avocat de la partie plaignante ont sollicité des autorités qu’elles appréhendent le prévenu. Face à leur refus, la partie plaignante a déposé une demande de mesures provisionnelles auprès du Tribunal pénal fédéral, qui deux jours après a ordonné aux MPC d’entendre le prévenu.

En 2016 et 2017, TRIAL International a déposé plusieurs compléments de dénonciation, notamment pour les crimes commis cette fois à la prison de Tadmor. Elle joint à cette dénonciation une centaine de preuves documentaires et une liste de témoins prêts à être entendus.

Au cours de la procédure, six autres victimes se sont jointes à l’affaire. Certaines ont été directement témoin des atrocités. Étant donné l’impunité totale qui règne en Syrie, les enquêtes en Suisse pourraient constituer leur seule chance d’obtenir justice.

En juin 2020, Rifaat al-Assad a été condamné en France pour blanchiment d’argent et recel de fonds publics en Syrie. Il a reçu une peine de quatre ans de prison et les autorités françaises ont confisqué plusieurs de ses propriétés qui valaient des millions. M. al-Assad a fait appel de la décision. Le jugement devrait être prononcé en 2021.

 

Contexte

De 1979 à 1982, le régime du clan Al-Assad a affronté l’Avant-garde combattante des Frères musulmans.

Fondée à la fin de la seconde guerre mondiale, la branche syrienne des Frères musulmans, émanation de la confrérie mère d’Egypte, est devenue la première force d’opposition à Hafez al-Assad après son accession au pouvoir.

Le régime, sous l’impulsion notamment de Rifaat Al-Assad, a mis en place une politique de répression qui s’est transformée en conflit ouvert avec les Frères musulmans. A la fin des années 1970, les affrontements entre le régime et la branche armée des Frères musulmans ont conduit à un conflit armé qui a culminé avec la destruction de la ville de Hama, en 1982.

Les exactions commises à Hama et Tadmor sont directement liées au conflit armé non international en cours dans le pays. Les actes qui y ont été commis doivent par conséquent être qualifiés de crimes de guerre:

  • meurtres
  • punitions collectives
  • bombardement de civils
  • exécutions collectives
  • actes de torture
  • viols
  • pillage
  • destructions de lieux de cultes  et d’hôpitaux

 

Les révélations sur l’enquête de TRIAL International

Genève, le 25 septembre 2017 – Un collectif d’avocats a rendu public l’existence d’une procédure pénale en Suisse visant Rifaat Al-Assad pour des crimes de guerre commis dans les années 1980 en Syrie. TRIAL International confirme avoir dénoncé l’ancien vice-président syrien à la justice au terme d’une enquête approfondie. Un dossier solide est entre les mains du Ministère public de la Confédération (MPC), qui doit maintenant mener à son terme une procédure exemplaire et historique.

Depuis 2013 et suite à une dénonciation pénale de TRIAL International, Rifaat Al-Assad fait l’objet d’une enquête en Suisse pour crimes de guerre. Mais quatre ans plus tard, l’ONG s’inquiète de l’enlisement de l’affaire, malgré les multiples éléments de preuves qu’elle a apporté. Ce matin, les avocats des parties plaignantes ont publiquement interpellé le MPC, dénonçant un déni de justice pour leurs clients ; tous sont des victimes directes de la barbarie du régime syrien.

 

TADMOR ET HAMA : DEUX CARNAGES RESTES DANS L’HISTOIRE

Qui est Rifaat Al-Assad ? Personnage éminent de l’échiquier politique syrien, l’oncle de l’actuel président Bachar Al-Assad a notamment commandé les Brigades de Défense, les troupes d’élite du pays dans les années 1980. Sous son commandement, elles sont soupçonnées d’avoir participé au massacre de plusieurs milliers de personnes à Tadmor et à Hama.

Le 27 juin 1980, en plein conflit armé, les Brigades de Défense prennent d’assaut la prison de Tadmor, dans la région de Palmyre. Faisant irruption dans les cellules, les hommes de Rifaat Al-Assad massacrent méthodiquement près de 1 000 prisonniers, selon diverses estimations.

Deux ans plus tard, la ville de Hama se soulève contre le régime. Les forces gouvernementales, dont les Brigades de Défense, attaquent la ville en représailles. La population civile est prise au piège, coupée d’approvisionnement et d’électricité pendant près d’un mois. Les exactions contre les civils auraient fait, selon les sources, entre 10 000 et 40 000 morts.

Exécutions, bombardements, tortures, viols, pillages : malgré l’ampleur des crimes, aucun responsable n’a jamais eu à répondre de ses actes. Rifaat Al-Assad, en exil depuis 1984, a longtemps voyagé librement et investi une vaste fortune personnelle en Europe.

 

QUATRE ANS D’ENQUÊTE

En 2013, l’ouverture de l’enquête du MPC avait ravivé les espoirs des victimes de voir Rifaat Al-Assad jugé et puni. Pendant les quatre années suivantes, TRIAL International a mené des enquêtes dans huit pays et fourni au MPC des dizaines d’éléments de preuves et de témoignages. En écumant quantité d’archives, l’ONG a aussi transmis au MPC des documents issus des services secrets et d’ambassades de plusieurs pays. L’organisation a enfin retrouvé plusieurs anciens combattants syriens, tous prêts à témoigner.

« Les preuves accumulées sont accablantes et s’accordent sur la responsabilité de Rifaat Al-Assad dans les massacres de Tadmor et Hama. Elles démontrent également la brutalité sans bornes de ses troupes ainsi que son souhait d’éradiquer purement et simplement l’opposition », note Bénédict de Moerloose, avocat en charge des enquêtes pour TRIAL International.

 

LA SUISSE DOIT FAIRE PREUVE DE COURAGE

Les victimes qui ont porté plainte en Suisse sont aujourd’hui amèrement déçues, et leurs avocats pointent « de graves manquements dans la procédure tels que l’annulation d’audiences, le refus d’interpeler et d’entendre le prévenu (…) voire une volonté d’enterrer l’affaire. »

Pourtant, en vertu du principe de compétence universelle, la Suisse a l’obligation de poursuivre les auteurs de crimes de guerre se trouvant sur leur territoire – et ce quels que soient le lieu des crimes et la nationalité des auteurs.

« L’inertie du MPC foule au pied les engagements internationaux de la Suisse, pourtant garante des Conventions de Genève » regrette Philip Grant, directeur de TRIAL International. « En outre, elle envoie un message dangereux aux belligérants d’aujourd’hui en Syrie. Ceux-ci doivent comprendre, sans aucun doute possible, que la justice peut les rattraper. »

 Soupçonné de malversations financières, Rifaat Al-Assad a récemment vu ses biens saisis à hauteur de centaines de millions d’euros en France, en Espagne et au Royaume Uni. La Suisse a maintenant une occasion historique de le poursuivre pour des crimes de sang. Pour les milliers de victimes en Syrie, le MPC doit avoir le courage de mener cette procédure à son terme et de préparer le procès de Rifaat Al-Assad.

 

TRIAL International tiendra un point presse sur l’affaire le mardi 26 septembre 2017 à 9h (UTC +2) à la Maison des Associations de Genève, salle Rachel Carson.
Voir sur le plan 

Genève, le 12 juillet 2017. Le Ministère public de la Confédération (MPC) a entendu deux victimes dans l’enquête visant Ousman Sonko. L’ancien ministre de l’Intérieur gambien est soupçonné de crimes contre l’humanité.

Il aura fallu plus de dix ans à Destiny (prénom d’emprunt) pour porter plainte contre Ousman Sonko. Victime de torture en Gambie, elle a enfin pu témoigner devant le MPC la semaine dernière, à Berne.

« J’étais si soulagée quand j’ai appris l’arrestation d’Ousman Sonko en Suisse », explique Destiny, « J’espérais vraiment pouvoir prendre part à la procédure. Cette affaire est ma première occasion de raconter mon histoire. J’ai besoin de justice pour tourner la page. »

Une autre victime a également voyagé depuis la Gambie pour livrer son témoignage. Elle aussi a été torturée alors que le suspect était en charge des services de sécurité.

« Ces personnes souffrent en silence depuis des mois, voire des années », explique Philip Grant, Directeur de TRIAL International. « Pour elles, l’ouverture d’un procès en Suisse représenterait une chance unique d’obtenir justice. »

D’autres victimes et témoins pourraient être entendues par le MPC, qui mène une enquête importante depuis l’arrestation d’Ousman Sonko en janvier 2017 (voir « L’affaire en bref » ci-dessous)

Pourquoi la Suisse est-elle compétente ?

Ousman Sonko est poursuivi en Suisse sur la base de la compétence universelle, qui oblige les autorités suisses à enquêter sur des suspects de torture et de crimes contre l’humanité présents sur son territoire.

Pour l’instant, aucune demande d’extradition n’a été transmise par les autorités gambiennes, qui ont déclaré vouloir collaborer à l’enquête des autorités suisses.

La Cour pénale internationale, elle, n’a pas ouvert d’enquête sur la Gambie. Elle n’est donc pas compétente pour poursuivre Ousman Sonko. Par ailleurs, la Cour ne tient qu’un rôle subsidiaire dans les poursuites pour crimes internationaux, c’est-à-dire qu’elle intervient uniquement quand les Etats ne peuvent ou ne veulent s’en charger eux-mêmes.

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L’affaire en bref

26 janvier 2017 : Ousman Sonko est arrêté en Suisse suite à une dénonciation pénale de TRIAL International pour des faits de torture. Au vu des soupçons qui pèsent sur lui, il est placé en détention provisoire. Lire la suite

6 février 2017 : Le Ministère public de la Confédération reprend l’enquête contre Ousman Sonko. Les crimes dont il est soupçonné sont requalifiés en crimes contre l’humanité.

Avril 2017 : Deux victimes gambiennes portent plainte pour des actes de torture.

 3 mai 2017 : Le Tribunal des mesures de contraintes de Berne prolonge la détention préventive de trois mois. La prochaine prolongation de la détention devrait advenir à la fin du mois de juillet. Lire la suite

Juin-juillet 2017 : Les deux victimes sont entendues en Suisse par le MPC.

Lire l’affaire complète

 

Genève, le 3 mai 2017 – Le Tribunal des mesures de contrainte du canton de Berne a confirmé le maintien en détention d’Ousman Sonko. L’ex-ministre de l’Intérieur et bras droit du dictateur gambien Yahya Jammeh est soupçonné de crimes contre l’humanité.

Ousman Sonko a été arrêté en Suisse le 26 janvier 2017, suite à une dénonciation pénale de TRIAL International pour des faits de torture. Au vu des forts soupçons pesant contre lui, il a été placé pendant trois mois en détention provisoire.

Au terme de ces trois mois, le Ministère public de la Confédération a obtenu que la détention soit prolongée de 3 mois. « Nous saluons cette décision qui prouve que les autorités prennent au sérieux les soupçons contre M. Sonko », dit Philip Grant, Directeur de TRIAL International. « Nous espérons que l’enquête pourra faire la lumière sur certaines exactions du régime Jammeh. »

 

Deux victimes ont déjà porté plainte

Depuis son arrestation, deux victimes soutenues par TRIAL International ont déposé des plaintes pénales contre Ousman Sonko. Toutes deux ont été torturées par les autorités gambiennes alors que le suspect était en charge des services sécuritaires, en tant qu’Inspecteur général de la Police puis en tant que ministre de l’Intérieur. Ousman Sonko est accusé d’avoir lui-même participé à ces actes de tortures. D’autres plaintes pourraient encore suivre.

« Les victimes qui ont porté plainte contre Ousman Sonko ont attendu trop longtemps que justice soit faite », conclut Philip Grant. « Nous espérons que cette procédure leur donnera enfin l’occasion de faire entendre leur voix. »

Genève, le 18 janvier 2017 – La procédure contre Khaled Nezzar a été ouverte par le Ministère public de la Confédération suisse (MPC) en 2011, du chef de crimes de guerre. Cinq ans plus tard, le MPC a pourtant conclu contre toute attente que les faits reprochés à l’ancien ministre de la Défense ne pouvaient être qualifiés de crimes de guerre, au motif qu’il n’y avait pas de conflit armé en Algérie au moment des faits. TRIAL International, l’ONG qui avait dénoncé Khaled Nezzar aux autorités suisses, juge cette décision de classement incompréhensible et soutient le recours des parties civiles devant le Tribunal pénal fédéral (TPF).

Il aura fallu l’arrestation du prévenu, plusieurs années de procédure ainsi que de nombreuses auditions de témoins et victimes pour que le MPC estime que la qualification des faits ne justifie en fin de compte pas la tenue d’un jugement. Une décision du TPF pourrait cependant relancer l’affaire.

« Nous avons déposé recours devant le Tribunal pénal fédéral à Bellinzone. Il est en effet  inexplicable que le MPC ait enquêté pendant cinq ans, interrogé une quinzaine de témoins et soit allé jusqu’à adresser une Commission rogatoire internationale à l’Algérie sans jamais mettre en doute l’existence d’un conflit armé, avant de brusquement conclure à son absence.», explique Me Pierre Bayenet, l’un des avocat des parties civiles, contacté par TRIAL International.

Selon l’ONG, un important faisceau d’indices démontre que les faits de torture dénoncés par les victimes ont bien été commis par l’armée dans le cadre d’un conflit armé particulièrement meurtrier : « La décennie noire a fait 200’000 morts et nombreuses sont les sources qui illustrent l’intensité des combats entre les groupes armés et l’armée algérienne après le coup d’Etat. Pourtant, une impunité quasi totale règne à ce sujet. Il est encore temps que cela change », estime Philip Grant, Directeur de TRIAL international.

Les parties civiles abondent dans ce sens : « La raison invoquée pour classer l’affaire est un véritable camouflet pour toutes les victimes de torture de la sale guerre. Elles ont vécu cette guerre dans leur chair et nier son existence, c’est leur faire une nouvelle fois violence », a déclaré à l’ONG Me Damien Chervaz, un autre avocat des parties civiles.

TRIAL International soutient leur démarche et souhaite que le TPF puisse confirmer l’existence du conflit armé en Algérie à l’époque des faits. Le MPC sera alors enfin tenu de se prononcer sur la responsabilité de Khaled Nezzar dans de nombreux actes de torture.

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L’AFFAIRE NEZZAR EN BREF

Khaled Nezzar a été ministre de la Défense et Président du Haut Comité d’Etat en Algérie de 1992 à 1994. En octobre 2011, suite à une dénonciation pénale de TRIAL International, il a été arrêté en Suisse pour avoir autorisé ou incité ses subalternes à commettre des actes de torture, meurtres, exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées et autres actes constitutifs de crimes de guerre. Il a été remis en liberté sur la promesse qu’il participerait à la suite de la procédure.

CONTEXTE

La « décennie noire » en Algérie (1992-2000) a fait entre 60 000 et 200 000 morts ou disparus. Les violations des droits humains y étaient largement répandues et l’usage de la torture systématique. En tant que chef de l’armée et numéro 1 du régime, Khaled Nezzar ne pouvait ignorer les agissements de ses troupes. L’impunité pour ces faits est totale. Personne n’a jamais été poursuivi, encore moins jugé, pour ces crimes en Algérie.

LES FAITS ET ÉLÉMENTS DE PREUVE

Les éléments de preuve contre le prévenu incluent notamment des témoignages de victimes et de témoins, dont d’anciens membres des forces de sécurité le mettant directement en cause ; des rapports d’ONG, des Nations Unies et du Département d’État des Etats-Unis, faisant état de pratique systématique de la torture et autres crimes commis par le régime.

CHRONOLOGIE DE L’AFFAIRE

19 octobre 2011 : La présence de Khaled Nezzar est signalée sur le territoire suisse. Conformément à son mandat, TRIAL International dépose une dénonciation pénale auprès du Ministère public de la Confédération, qui ouvre une instruction.

20 octobre 2011 : Khaled Nezzar est arrêté et entendu par le MPC jusqu’au 21 octobre, avant d’être remis en liberté sur la promesse de se présenter durant la suite de la procédure.

Janvier 2012 : Khaled Nezzar fait recours contre les poursuites dont il fait l’objet soutenant que sa fonction de ministre de la Défense à l’époque des faits le protégeait d’éventuelles poursuites pénales en Suisse.

Juillet 2012 : le Tribunal pénal fédéral rend une décision historique suite au recours et déboute Khaled Nezzar, considérant qu’il est exclu d’invoquer une immunité pour des crimes internationaux (crimes de guerre, crimes contre l’humanité ou génocide).

13 août 2014 : Le MPC adresse un projet de Commission rogatoire internationale à l’Office fédéral de la justice, mais il n’est transmis aux autorités algériennes que le 7 avril 2015.

2011 à 2016 : Cinq victimes portent plainte et seize personnes sont entendues dans le cadre de la procédure.

Novembre 2016 : Le MPC entend Khaled Nezzar à nouveau.

Janvier 2017 : Le MPC classe l’affaire.

18 janvier 2017 : Les parties civiles annoncent le dépôt d’un recours devant le Tribunal pénal fédéral.

En mars 2011, TRIAL International et l’ONG palestinienne Al-Haq ont soutenu six familles palestiniennes dans leur dépôt d’une plainte pour crimes de guerre contre la filiale suisse du fabricant de machines de chantier Caterpillar. Motif: l’armée israélienne avait utilisé des bulldozers D9 de ce même fabricant pour détruire leurs habitations sans nécessité militaire en août 2007, lors d’un raid dans un quartier de la ville de Qalqilya (Cisjordanie).

Le 24 février 2014, le Ministère public de la Confédération (MPC) a refusé d’entrer en matière sur la plainte, au motif que les bulldozers en question n’étaient pas des armes et que l’entreprise Caterpillar ne pouvait être tenue responsable pour l’utilisation que font les acheteurs de son matériel.

TRIAL International a regretté ce classement, mais a salué le fait que la procureure ait qualifié les événements survenus en 2007 à Qalqilya de «démolitions punitives», soit de crimes de guerre commis par l’armée israélienne.

 

En novembre 2013, TRIAL International, en partenariat avec les ONG Open Society Justice Initiative et Conflit Awareness Project, a dénoncé auprès du Ministère public de la Confédération (MPC) l’entreprise suisse Argor-Heraeus SA. Celle-ci était accusée d’avoir raffiné, entre 2004 et 2005, près de trois tonnes d’or pillées par des rebelles dans le nord de la République démocratique du Congo (RDC).

S’en est suivi une ouverture d’instruction pour crimes de guerre et blanchiment aggravé contre Argor, une perquisition et saisie ainsi qu’une campagne de la société civile contre le pillage de métaux précieux en temps de conflit armé. Rejetant le recours de l’entreprise suisse contre l’enquête et la perquisition, le Tribunal pénal fédéral a donné raison à la dénonciation de TRIAL International, soulignant l’importance des preuves apportées par l’ONG.

Après près d’un an et demi d’enquête, le 10 mars 2015, le Ministère Public de la Confédération (MPC) a ordonné le classement de cette affaire, estimant ne pas détenir de preuves que la société savait qu’elle raffinait de l’or de provenance illégale. Le MPC a cependant constaté que l’or avait bien été pillé au Congo par des rebelles et que la société avait violé ses obligations anti-blanchiment. Très controversée, cette décision a aussi mis en lumière les défauts de la législation suisse, qui n’a pas permis de prévenir ou sanctionner de tels actes.

Quelle qu’en ait été l’issue, l’affaire Argor-Heraeus SA représente une avancée considérable et met en lumière la problématique du pillage de matières premières par les sociétés occidentales. Il s’est également agi de la première ouverture d’instruction pénale pour pillage en conflit armé depuis les affaires qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale.

Parallèlement à cette affaire, l’entreprise partenaire commerciale d’Argor, la société britannique Hussar Ltd, a été dénoncée pour les mêmes faits à la Metropolitan Police de Londres. L’enquête est en cours.

 

Pendant la guerre des Balkans, Amir Coralic, dit Pango, était soldat au sein de l’armée bosniaque indépendantiste de la province de Bihac, la « National Defense ».

En décembre 1993, Amir Coralic et deux autres miliciens ont enlevé Marina, 14 ans, et sa cousine Adela, 15 ans (noms d’emprunt) à leur domicile. Les deux jeunes filles ont été emmenées hors de la localité ; Marina a été violée et Adela agressée sexuellement.

Dix ans plus tard, TRIAL International a enquêté et retrouvé la trace d’Amir Coralic. L’ONG l’a dénoncé auprès des autorités suisses et bosniennes, tout en soutenant parallèlement Marina dans sa quête de justice.

En 2015, un recours gagné devant le Tribunal pénal fédéral contre le Ministère public de la Confédération a permis l’ouverture d’une procédure en Suisse. Le prévenu a alors décidé de se rendre aux autorités bosniennes, auxquelles il a proposé, en échange d’une peine de prison réduite, de reconnaître sa culpabilité et de dédommager la victime.

Le 19 octobre 2015, la Cour cantonale de Bihaç (en Bosnie-Herzégovine) a condamné Amir Coralic pour crime de guerre de viol commis sur mineure. Le dédommagement ordonné (environ 35 000 USD) était en 2015 le plus important jamais versé à une victime de violences sexuelles en Bosnie-Herzégovine.

 

Selon les organisations de protection des droits humains, le pouvoir bahreïni a systématiquement recours à la torture, et le Parquet du Procureur Général bahreïni a une place privilégiée dans ce système répressif. Les personnes arrêtées sont en effet fréquemment soumis à des tortures et forcés de signer de faux aveux.

En septembre 2015 a eu lieu à Zurich la conférence annuelle de l’Association Internationale des Procureurs (AIP). Parmi les membres du comité exécutif de l’AIP se rendant à la conférence se trouvait justement le Procureur général du Bahreïn M. Ali Bin Fadhul Al-Buainain.

Les ONG TRIAL International, ECCHR, REDRESS et BIRD ont dénoncé M. Al-Buainain et soutenu le dépôt de plainte de M. Jaafar Al-Hasabi. Ce défenseur des droits humains affirme avoir été victime de torture et obligé de signer de faux aveux pendant une enquête des services de M. Al-Buainain, Celui-ci avait  personnellement donné l’ordre que la victime soit détenue incommunicado.

Le Ministère public bernois, compétent pour traiter de cette affaire, a ouvert contre le Procureur général une enquête pénale le 15 septembre 2015 pour crime de torture. Il n’a cependant pas souhaité arrêter le suspect. L’enquête est actuellement en cours.

Il s’agit de la première ouverture d’enquête pénale contre un haut responsable bahreïni pour des faits de torture ainsi que du premier cas de compétence universelle concernant le Bahreïn.

 

contexte

Ali Bin-Fadhul Al-Buainain a débuté sa carrière au Ministère Public du Royaume de Bahreïn en 1985. Il est nommé Procureur Général du Bahreïn le 24 décembre 2005. Il possède un doctorat en droit pénal.

En février 2011, le Bahreïn fut agité par une période de troubles civils, et notamment par de grands soulèvements populaires appelant à des réformes politiques. Le 15 mars 2011, l’état d’urgence a été déclaré par le gouvernement. Des tribunaux de sécurité nationale ont été institués et pourvus d’une juridiction très large. Les poursuites ont été confiées au Procureur militaire.

Le 1er juin 2011, l’Etat de Sécurité Nationale a été levé. En parallèle, une Commission d’Enquête Indépendante du Bahreïn (BICI) a été créée afin d’enquêter sur les violations des droits de l’homme ayant eu lieu au cours des manifestations populaires. Le 23 novembre 2011, la BICI a publié son rapport, insistant sur la nécessité de procéder à des réformes du système judiciaire, en particulier des instances pénales.

Au cours de ces soulèvements populaires, de nombreux défenseurs des droits de l’Homme ont été arrêtés et auraient été torturés. L’un d’eux, Jaafar Al-Hasabi, ressortissant britannique né au Bahreïn, aurait été arrêté en août 2010, détenu en secret puis torturé en raison de ses activités politiques alléguées. Il aurait subi des chocs électriques, des coups sur la plante des pieds, ainsi que l’imposition de positions douloureuses. Al-Hasabi a comparu devant la Cour de sécurité nationale avec 22 autres opposants politiques pour leur appartenance et leur financement d’un groupement terroriste dont le but était de renverser le gouvernement. Al-Hasabi fût libéré en février 2011.

En dépit des inquiétudes formulées par les Nations Unies quant à la détention au secret de Al Hasabi et l’existence de risque de torture, le procureur général Al-Buainain a autorisé la prolongation de sa détention à deux reprises.

 

procédure

Le 8 septembre 2015, Jaafar Al-Hasabi a déposé une plainte pénale à Bern contre le Procureur Général du Bahreïn, Al-Buainain pour sa participation alléguée à des actes de torture. Al-Hasabi a été soutenu par le Centre Européen des droits Constitutionnels et des droits de l’homme (ECCHR), l’institut du Bahreïn pour les droits et la démocratie (BIRD), REDRESS et Trial International.

Cette plainte fut déposée avant l’arrivée sur le territoire suisse d’Al Buainain qui se rendait à la Conférence annuelle de l’Association Internationale des Procureurs (IAP) à Zurich, en Suisse du 13 au 17 Septembre 2015. Al Buainain y a été nommé Vice-président du Comité exécutif de l’IAP.

Le 13 septembre 2015, une requête a été déposée afin que Al Buainain soit convoqué devant un juge. Cette requête a été rejetée le 17 septembre 2015 par le Procureur suisse au motif que Al Buainain avait quitté le pays.

Cependant les autorités suisses ont accepté le dossier déposé par Al-Hasabi, et ont estimé qu’il y avait suffisamment de soupçons pour ouvrir une enquête contre Al-Buainain pour participation à des actes de tortures. En juin 2016, Jaffar Al-Hasabi a témoigné devant les autorités suisses à Berne.

En novembre 2016, les procureurs suisses ont envoyé une demande à l’Office Fédéral de la Justice pour le transfert du dossier Al Buainain aux autorités du Bahreïn. Cette demande fut rejetée.

Ali Bin Fadhul Al-Buainain devait se rendre en Irlande pour participer à une conférence de l’IAP à Dublin en septembre 2016. Jafaar Al-Hasabi a déposé une plainte auprès du Tribunal d’Instance de Dublin le 13 septembre 2016 demandant la comparution d’Al-Hasabi pour sa participation alléguée à des actes de torture.

Cette demande a été rejetée par un juge irlandais pour manque de lien suffisant pouvant rattacher Al-Buainain aux actes de torture. La police irlandaise a néanmoins ouvert une enquête parallèle sur Al-Buainain, qui est toujours ouverte. La demande de Jafaar Al-Hasabi a été soutenue par le GLAN (Global Legal Action Network), le Centre Européen des droits Constitutionnels et des droits de l’homme (ECCHR), l’institut du Bahreïn pour les droits et la démocratie (BIRD) et REDRESS.

 

 

Le Ministère public de la Confédération (MPC) a décidé de clore les poursuites contre Argor Heraeus SA. L’entreprise suisse spécialisée dans le raffinage de métaux précieux avait été dénoncée aux autorités suisses par l’ONG TRIAL (Track Impunity Always), pour soupçons de blanchiment et de complicité de pillage. Si le Ministère public de la Confédération (MPC) a reconnu que de l’or pillé avait bien été raffiné par Argor et que l’entreprise avait violé son devoir de diligence, il a pourtant décidé de classer l’affaire. Cette décision suscite l’incrédulité des ONG actives sur le dossier. Après plusieurs années d’enquête, Open Society Justice Initiative (OSJI) et Conflict Awareness Project (CAP) avaient soutenu la dénonciation soumise par TRIAL, assortie de preuves démontrant que l’entreprise avait raffiné près de trois tonnes d’or sale en provenance de République démocratique du Congo (RDC). Selon les ONG, le classement de l’affaire fragilise les efforts menés pour mettre en terme au commerce illicite de matières premières qui alimente parmi les conflits les plus violents dans le monde.

 

Le 10 mars 2015, le Ministère public de la Confédération a classé l’affaire Argor et conclu que rien ne permettait d’affirmer que l’entreprise connaissait l’origine criminelle des trois tonnes d’or pillé en RDC qu’elle avait raffiné. Ce dénouement provoque l’incompréhension de TRIAL et de ses partenaires OSJI et CAP. Selon cette décision :

En dépit de ces constatations accablantes, le MPC a pourtant décidé de classer l’affaire, 16 mois après l’ouverture de l’enquête pénale. Le MPC a ainsi considéré que la société ne devait pas être tenue responsable car « il ne ressort[ait] pas (…) que les prévenus nourrissaient des doutes ou avaient décelé des indices de la provenance délictueuse de l’or ».

Cette décision pose en premier lieu la question du rôle de la Suisse dans le traitement et le commerce de métaux précieux : « Comment plusieurs tonnes d’or sale en provenance de l’un des conflits les plus sanglants et médiatisés de notre époque peuvent-elles parvenir en Suisse et y être raffinées sans que cela n’ait de conséquences ? », s’interrogent les ONG.

Elles s’inquiètent aujourd’hui également du message désastreux que le classement de l’affaire enverra aux intermédiaires financiers : « Cette décision est un véritable blanc-seing pour les entreprises qui violent leur devoir de diligence et préfèrent ignorer des indices témoignant de l’origine criminelle des matières premières. Il leur suffira de ne plus se tenir informées pour éviter des poursuites ».

Les ONG rappellent enfin qu’il ne saurait y avoir de justice sans responsabilité de tous les acteurs économiques : « Des entreprises alimentent des conflits parmi les plus violents au monde, de l’exploitation des mines à la commercialisation sur les marchés internationaux. Si les autorités ne font rien pour les sanctionner, ce sera un véritable encouragement à la poursuite d’activités néfastes ».

 

L’affaire Argor en 8 questions

1. QUI EST L’ENTREPRISE ARGOR-HERAEUS ?

Argor-Heraeus SA est l’une des cinq principales raffineries de métaux précieux au monde. L’entreprise est notamment active dans le raffinage et la vente d’or. Son siège social est à Mendrisio (TI, Suisse).

 

2. QUELS FAITS LUI ONT ETE REPROCHES ?

Il a été reproché à Argor-Heraeus d’avoir raffiné plusieurs tonnes d’or sale entre 2004 et 2005, extrait de mines situées dans l’Est de la RDC et pillé par les groupes armés qui contrôlaient la région à l’époque des faits. Dans la plainte déposée en novembre 2013, les ONG ont estimé que l’entreprise connaissait l’origine de la matière première (voir le site web www.stoppillage.org). Dès lors, elles ont considéré que ces faits pouvaient constituer une complicité de pillage – un crime de guerre –, ainsi que du blanchiment aggravé.

Selon la dénonciation de 2013, Argor Heraeus savait – ou du moins aurait dû se douter – que l’or (fourni par les entreprises Hussar Ltd et Hussar Services Ltd), était le fruit du pillage, constitutif d’un crime de guerre. Des preuves démontraient qu’Argor savait que Hussar avait acheté cet or à une entreprise en Ouganda, qui elle-même importait de l’or « de la région ». Il était pourtant de notoriété publique à l’époque des faits que l’Ouganda ne produisait pratiquement pas d’or et que la quasi totalité de l’or dit « ougandais » provenait en réalité des mines contrôlées en RDC voisine par des groupes rebelles qui l’acheminaient illégalement jusqu’en Ouganda.

 

3. POURQUOI LE MINISTERE PUBLIC A-T-IL CLÔT LE DOSSIER APRES 16 MOIS D’ENQUETE ?

Le Ministère public de la Confédération a décidé que les preuves qu’il avait en sa possession ne permettaient pas de conclure qu’Argor-Heraeus connaissait l’origine illégale de l’or.

 

4. QUELS SONT LES PRINCIPAUX ARGUMENTS DE CETTE DECISION DE JUSTICE ET QUEL EST LE POINT DE VUE DES ONG A CE SUJET ?

  • Le MPC a confirmé que l’or raffiné par Argor-Heraeus provenait bien du pillage par un groupe armé rebelle en RDC et que ce raffinage était un maillon crucial de l’effort de guerre de ce groupe rebelle.
  • Dans la décision, le MPC constate que le raffinage constitue un acte objectif de complicité de pillage mais que la connaissance de l’illégalité de la provenance de l’or par Argor fait cependant défaut, ce qui protège l’entreprise de toute sanction.
  • Soulignant qu’une violation réglementaire pouvait conduire à une condamnation pour blanchiment par omission selon la jurisprudence, le MPC a enfin constaté que l’entreprise avait violé le règlement qu’elle avait adopté conformément à la Loi sur le blanchiment (LBA) et à la Loi sur le contrôle des métaux précieux (LCMP). Ainsi, selon le MPC, en présence « d’indices concrets (…) qui auraient dû susciter le doute chez Argor, (…) [elle] a omis de clarifier l’origine de l’or bien que le règlement interne le requerrait ». Le MPC a cependant décidé de ne pas considérer que cette violation devait entraîner la condamnation de la société, au motif qu’ « il ne ressort[ait] pas (…) que les prévenus nourrissaient des doutes ou avaient décelé des indices de la provenance délictueuse de l’or »

 

5. POURQUOI UN RECOURS N’EST-IL PAS INTRODUIT CONTRE CETTE DECISION ?

En droit suisse, les associations n’ont pas le droit de se porter partie plaignante à une procédure. Par conséquent, elles ne peuvent que dénoncer des faits qu’elles estiment contraire au droit suisse. Même lorsqu’une décision est rendue sur une affaire dont la dénonciation émane d’une association, il n’est pas possible pour cette dernière de recourir contre l’acte rendu. Dans le cas présent, la victime du pillage est formellement la RDC, puisque ce sont ses ressources minières qui ont été pillées. La RDC ne s’est cependant pas constituée partie civile.

 

6. QUELLES ONT ETE LES PRINCIPALES ETAPES DE L’AFFAIRE ?

  • De 2004 à 2012, Kathi Lynn Austin, en collaboration avec Open Society Justice Initiative, a enquêté sur l’or sale en provenance de RDC et remis les éléments de preuves à TRIAL.
  • TRIAL a alors effectué un travail d’enquête et d’analyse juridique supplémentaire pendant un an avant de déposer une dénonciation pénale auprès du Ministère Public, le 30 octobre 2013.
  • En novembre 2013, le MPC a ouvert une enquête pénale. Saisie et perquisition ont été menés au siège de l’entreprise.
  • Le 10 mars 2015, le MPC a adopté une décision classant l’affaire, décision rendue publique ultérieurement.

 

7. QUI SONT LES ONG QUI ONT ETE ACTIVES SUR CETTE AFFAIRE ? 

La dénonciation soumise au MPC par l’ONG suisse TRIAL s’est fondée sur les neuf années de travail d’investigation menées par Kathi Lynn Austin (Directrice de CAP), avec le soutien de OSIJ. OSIJ a également soutenu les avocats de TRIAL dans le développement de leur analyse juridique à échelle internationale. Les résultats de ces enquêtes ont également été partagés avec les autorités de Jersey et celles du Royaume-Uni, où sont basées les entreprises Hussar Ltd et Hussar Services Ltd.

TRIAL (Track Impunity Always) est une ONG suisse qui lutte contre l’impunité des responsables et complices des crimes internationaux les plus graves.

trialinternational.org

Open Society Justice Initiative est un programme de la Fondation Open Society, qui utilise le droit pour renforcer la protection ainsi que les capacités des sociétés civiles. Son travail consiste aussi à lutter contre la corruption liée aux ressources naturelles.

www.opensocietyfoundations.org

Conflict Awareness Project est une organisation internationale à but non lucratif qui vise à investiguer, documenter et traduire en justice les principaux responsables de trafic d’armes ainsi que d’opérations criminelles transnationales alimentant ces conflits.
conflictawareness.org

 

8. QUELLES SONT LES PROCHAINES ACTIONS DES ONG POUR LUTTER CONTRE LE PILLAGE ET LE BLANCHIMENT ?

Les trois ONG travaillent sur plusieurs affaires qui pourraient potentiellement faire l’objet d’actions judiciaires dans certains pays. Ces affaires demeurent pour l’instant sous le sceau de la confidentialité.

Une décision importante du Tribunal pénal fédéral suisse a fait avancer un dossier pour crime de guerre contre le géant suisse de l’affinage d’or, Argor-Heraeus SA, accusé d’avoir blanchi près de 3 tonnes d’or pillé en République démocratique du Congo.

Les trois ONG initiatrices de la campagne Stop Pillage – Conflict Awareness Project,Open Society Justice Initiative et TRIAL – appellent les autorités britanniques et celles de Jersey à imiter l’exemple de la Suisse et à enquêter rapidement sur les deux sociétés britanniques qui ont été les principaux négociants de l’or dans cette affaire.

A ce jour, Hussar Services Limited, basée à Londres, et Hussar Limited, dont le siège se trouve à Jersey, ainsi que leurs dirigeants n’ont jamais eu à rendre de comptes pour leur rôle clé dans cette lucrative entreprise transnationale d’or souillé qui fait l’objet de la plainte déposée en Suisse.

Tant que des gouvernements comme ceux du Royaume Uni ou de l’Ile de Jersey ne tiendront pas leurs sociétés et leurs hommes d’affaires pour responsables sur le plan pénal du pillage des ressources naturelles du Congo, les profiteurs de guerre qui sont complices d’atrocités et de souffrances humaines continueront à agir en toute impunité,” a déclaré Kathi Lynn Austin, Directrice exécutive de Conflict Awareness Project.

La décision du tribunal suisse du 24 janvier 2014 a confirmé le droit du procureur à perquisitionner les locaux de Argor-Heraeus SA et à saisir documents et ordinateurs – ce qu’a fait la police fédérale le 4 novembre 2013.

« La décision du TPF vient corroborer ce que nous avons toujours cru: des soupçons très sérieux pèsent sur Argor-Heraeus SA. Cette décision va désormais permettre à la justice de poursuivre une enquête dont nous attendrons les résultats avec un grand intérêt, » a déclaré Bénédict De Moerloose, avocat en charge de l’affaire au sein de TRIAL.

Les mêmes preuves fournies au procureur suisse en charge des crimes de guerre, qui ont permis l’ouverture d’une enquête pénale contre Argor-Heraeus SA, ont été mises à la disposition des autorités britanniques et de celles de l’Ile de Jersey. Kathi Lynn Austin de Conflict Awareness Project a mené l’enquête durant une période de neuf ans tandis que Open Society Justice Initiative a contribué à clarifier les conditions permettant la poursuite des actes de pillage.

Nous nous réjouissions du sérieux avec lequel les autorités suisses suivent cette affaire, comme en témoigne la récente décision du Tribunal pénal fédéral. Nous encourageons les services de police du Royaume Uni et de l’Ile de Jersey à mener leur enquête aussi rapidement que possible et à poursuivre, si nécessaire, celles et ceux qui auraient participé à ces crimes de guerre,” a déclaré Ken Hurwitz de Open Society Justice Initiative.

Au vu de l’importance des preuves fournies, les juges ont rejeté l’appel d’Argor et confirmé que le procureur pouvait poursuivre son enquête.

« La décision du TPF vient corroborer ce que nous avons toujours cru: des soupçons très sérieux pèsent sur Argor-Heraeus SA. Cette décision va désormais permettre à la justice de poursuivre une enquête dont nous attendrons les résultats avec un grand intérêt, » a déclaré Bénédict De Moerloose, avocat en charge de l’affaire au sein de TRIAL.

Cette décision fait date pour la justice internationale: pour la première fois depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, une entreprise pourrait être jugée pour complicité de crime de guerre de pillage.

Pour plus d’information:

Site Internet de la campagne Stop Pillage:

Au sujet de la plainte pénale déposée en Suisse par TRIAL

Rapport de CAP Pillage of Congo Gold: A Case for the Prosecution of Corporate Crimes:

Publication de OSJI Corporate War Crimes: Prosecuting the Pillage of Natural Resources 

TRIAL, Open Society Justice Initiative et Conflict Awareness Project accueillent avec satisfaction la décision du Ministère public de la Confédération d’ouvrir une enquête pénale contre la société Argor-Heraeus SA pour blanchiment de matières premières pillées en conflit armé et complicité de crime de guerre.

La décision du Ministère public fait suite au dépôt d’une dénonciation contre l’entreprise par l’ONG TRIAL (Track Impunity Always) le 1er novembre 2013. L’association suisse contre l’impunité et ses deux partenaires Open Society Justice Initiative et Conflict Awareness Project saluent l’ouverture de l’enquête pénale de la part du Ministère public de la Confédération.

Pour Philip Grant, directeur de TRIAL,  » L’ouverture de cette procédure est un signal fort pour les entreprises qui participent à l’économie de la guerre. Les pays en guerre ne sont pas des zones de non-droit et l’impunité n’est plus de mise. Les entreprises ne sont désormais plus à l’abri de poursuites pénales. »

 » Conflict Awareness Project se réjouit de l’ouverture de cette enquête pénale. Depuis beaucoup trop longtemps Argor-Heraeus SA déclare avoir été blanchi par les Nations-unies pour toute implication illégale avec l’or pillé en RDC. Ce n’est en vérité pas le cas. Les preuves réunies ne laissent aucun doute sur le fait qu’Argor a bel et bien raffiné de l’or fourni par un groupe armé en RDC, contribuant indirectement à alimenter un conflit sanguinaire « , déclare Kathi Lynn Austin, directrice de Conflict Awareness Project.

 » La décision du Ministère public suisse est sans doute la première tentative depuis la Seconde guerre mondiale visant à poursuivre pénalement une entreprise pour des actes de pillages et autres crimes associés. Cette affaire doit servir d’exemple sur la place financière internationale. Les entreprises qui font affaire, de manière directe ou indirecte, avec des groupes armés doivent comprendre qu’elles risquent d’être poursuivies en justice pour crime de guerre et pillage « , précise Kenneth Hurwirtz, Conseiller juridique à Open Society Justice Initiative.

Les trois ONG attendent maintenant avec confiance les résultats de l’enquête menée par les autorités judiciaires suisses et suivront son évolution avec intérêt.

WWW.STOP-PILLAGE.ORG

TRIAL (Track Impunity Always) a déposé auprès du Ministère public de la Confédération une dénonciation pénale à l’encontre de la société d’affinage Argor-Heraeus SA. L’association suisse contre l’impunité détient des informations selon lesquelles l’entreprise pourrait s’être rendue coupable de blanchiment d’or pillé. L’enquête menée et les preuves rassemblées indiquent qu’Argor-Heraeus SA aurait raffiné entre 2004 et 2005 près de 3 tonnes d’or pillé en République démocratique du Congo (RDC) par un groupe armé finançant ses opérations par le trafic de cet or. Selon TRIAL, l’entreprise d’affinage savait ou aurait dû présumer que le minerai provenait du pillage, un crime de guerre. TRIAL demande par conséquent aux autorités d’ouvrir une enquête et d’établir si une infraction a bel et bien été commise par la société et, si tel est le cas, de la sanctionner.

TRIAL a soumis le 1er novembre 2013 une dénonciation pénale étayée de nombreuses preuves au Ministère public de la Confédération à l’encontre de la société suisse d’affinage Argor-Heraeus SA. L’association suisse contre l’impunité soupçonne en effet l’entreprise de blanchiment aggravé (article 305bis du Code pénal suisse) en raison du raffinage d’or pillé en provenance de RDC, dont la vente contribuait au financement des opérations d’un groupe armé dans un conflit dévastateur.

Pour Philip Grant, Directeur de TRIAL : « Il est intolérable que des matières premières pillées alimentant la violence dans un pays à feu et à sang puissent être raffinées et commercialisées en toute impunité en Suisse. De telles pratiques vont à l’encontre du droit et, sans un signal clair de la justice, pourraient se reproduire. Cette dénonciation vient rappeler que les entreprises sont assujetties aux lois et doivent elles aussi rendre des comptes. »

La dénonciation fait suite aux enquêtes sur la filière de l’or pillé congolais menées dès les années 2004-2005 par le Groupe d’experts des Nations unies sur la République démocratique du Congo, dans le cadre de la surveillance de l’embargo sur les armes à destination de ce pays. Toutes les entreprises africaines impliquées dans cette affaire avaient alors été sévèrement sanctionnées par le Conseil de sécurité, contrairement aux entreprises occidentales, malgré les recommandations du Groupe d’experts.

A la lumière des preuves récoltées jusqu’en 2012 par Kathi Lynn Austin – ancienne experte des Nations unies -, TRIAL estime qu’ Argor-Heraeus SA ne pouvait ignorer l’origine criminelle de cet or.

Ainsi, en raffinant près de 3 tonnes d’or pillé en RDC en moins d’un an, elle pourrait s’être rendue coupable de blanchiment d’argent aggravé: « Si Argor-Heraeus SA est à l’époque parvenue à éviter les sanctions de l’ONU concernant l’embargo, cela ne signifie pas pour autant qu’elle n’a pas violé le droit pénal suisse », rappelle Bénédict De Moerloose, avocat en charge de l’affaire au sein de TRIAL.

« Cela fait longtemps que nous enquêtons sur les agissements d’Argor-Heraeus SA en 2004-2005, au regard du droit suisse, en particulier du blanchiment. Aujourd’hui, grâce aux nouvelles preuves récoltées, nos soupçons sont suffisamment fondés pour attirer l’attention du Centre de compétence pour le droit pénal international du Ministère public de la Confédération. Il lui appartient à présent de déterminer si Argor-Heraeus SA doit être poursuivie pénalement pour les faits qui lui sont reprochés», rajoute Bénédict De Moerloose.

La campagne stop-pillage

Lancée conjointement par trois ONG spécialisées dans la lutte contre l’impunité – TRIAL, Conflict Awareness Project (l’ONG créée par Kathi Lynn Austin) et Open Society Justice Initiative , une campagne plus large démarre en parallèle au dépôt de cette dénonciation.

La campagne intitulée Stop Pillage vise à sensibiliser l’opinion publique en Suisse et à l’étranger à la question du pillage des matières premières, à ses liens avec les conflits armés et à la responsabilité de tous les acteurs de cette chaîne. Les ONG appellent à ce qu’une réponse judiciaire soit donnée à ce phénomène, à tous les niveaux de la chaîne et dans tous les pays.

 

 

Résumé de l’affaire

Le Front nationaliste intégrationniste (FNI) est un groupe armé actif dès 2002 au Nord-Est de la RDC qui a pris le contrôle de la ville de Mongbwalu (Ituri) et de la concession aurifère appelée « Concession 40 ». En violation de l’embargo du Conseil de sécurité des Nations-unies (2003), le FNI a exploité cette concession pour financer ses opérations et acheter des armes. Il est notamment reproché au FNI d’avoir commis des massacres, des violences systématiques à l’encontre de la population civile d’Ituri, des violences sexuelles, des pillages et d’avoir recruté des enfants soldats.

Avec le soutien et les avions d’un homme d’affaire local, une part importante de cet or a été vendue en Ouganda à la société Uganda commercial impex ltd (UCI).

Cette entreprise revendait à son tour cet or à la société Hussar (Jersey, UK), qui a chargé la société suisse Argor-Heraeus SA de raffiner l’or entre juillet 2004 à juin 2005. Les lingots d’or raffinés étaient ensuite acquis par des institutions bancaires.

 

Le contexte

La République démocratique du Congo est un territoire riche en ressources naturelles très convoitées (or, coltan, tungstène, diamants, bois précieux, …). La lutte pour le contrôle de ces gisements, les dissensions régionales ainsi que les tensions ethniques ont entraîné le Congo dans un conflit dévastateur depuis plusieurs décennies (plusieurs millions de morts et des centaines de milliers de déplacés).

Depuis 1994, les populations du Nord-Est du pays (Nord et Sud Kivu ; Ituri) ont vécu des vagues massives et continues de crimes et graves violations des droits humains, commis tant par des groupes armés que par les forces de sécurité nationales. Ces régions ont aussi été le théâtre d’un pillage systématique des ressources naturelles par les groupes armés actifs dans cette région.

EN 2008-2009, M. Dias était général de la 57ème division de l’armée sri-lankaise, chargée d’attaquer les Tigres tamouls lors de l’offensive finale contre le groupe rebelle. A ce titre, il aurait commis des violations graves du droit de la guerre. De décembre 2008 à janvier 2009, la ville de Kilinochchi aurait notamment été pilonnée sans relâche par ses troupes, détruisant l’ensemble des infrastructures, dont l’hôpital, et contraint des dizaines de milliers de civils à l’exil. La 57ème division aurait également pris part aux bombardements des « no fire zones », zones supposément sûres pour les civils, causant un véritable bain de sang.

En septembre 2009, Jagath Dias a été nommé vice-ambassadeur du Sri Lanka auprès de la Suisse, de l’Allemagne et du Vatican. Sur la base d’un dossier élaboré par leur partenaire ECCHR, TRIAL International et la Société pour la protection des peuples menacés ont lancé une campagne pour que le statut diplomatique de M. Dias lui soit retiré. Confrontées à la passivité des autorités, les ONG ont déposé en août 2011 une dénonciation pénale contre Jagath Dias auprès du Ministère public de la Confédération.

Suite à cette campagne, M. Dias a été révoqué au début du mois de septembre 2011. Pour la première fois, un diplomate a été renvoyé sur la base de soupçons de violations graves des droits humains.

Statuant sur la plainte pénale, le Ministère public de la Confédération a quand à lui décidé de classer l’affaire, déclarant cependant qu’il ouvrirait une instruction contre M. Dias si celui-ci se représentait sur le territoire suisse, au regard des soupçons importants de crimes de guerre qui pèsent sur lui. Il s’agirait là de la première fois qu’une autorité judiciaire reconnait la commission de crimes de guerre par l’armée sri lankaise.