Affaire Rifaat Al-Assad : 9 années d’espoir et d’incertitudes

13.12.2022 ( Modifié le : 12.12.2022 )

Le 13 décembre 2013, alertée de sa présence en Suisse, TRIAL International déposait une dénonciation pénale à l’encontre de Rifaat Al-Assad auprès du Ministère public de la Confédération (MPC) pour sa responsabilité présumée dans le massacre commis dans la ville syrienne de Hama en février 1982.

TRIAL International et le défenseur des droits de l’homme Anwar Al-Bunni reviennent aujourd’hui sur les moments-clés du dossier, dont l’instruction en Suisse n’est pas encore clôturée, neuf ans après l’ouverture de l’enquête à l’encontre de celui que l’on surnomme « Le boucher de Hama ».

Photo of destruction in Hama following the Hama Massacre in 1982
Photo of destruction in Hama following the Hama Massacre in 1982.

Une procédure qui cristallise énormément d’espoir…

Le 19 décembre 2013, une instruction pour crimes de guerre s’ouvrait à Berne contre Rifaat Al-Assad – l’oncle de l’actuel président syrien – qui était en février 1982 à la tête des « Brigades de défense ». Les troupes de Rifaat Al-Assad sont suspectées d’avoir participé au siège et à l’assaut de la ville de Hama aux côtés d’éléments de l’armée régulière syrienne. Durant presqu’un mois, les habitants de Hama ont été pris au piège, en proie des bombardements incessants de l’artillerie, sans électricité et sans possibilité de s’approvisionner.

Selon diverses sources, plusieurs dizaines de milliers de personnes – majoritairement civiles – auraient trouvé la mort dans ce qui a été l’un des pires carnages de l’histoire syrienne. Des quartiers entiers de la ville auraient également été détruits durant les quatre semaines d’assaut.

Anwar Al-Bunni se souvient : « je vivais encore en Syrie lorsque j’ai appris qu’une enquête s’était ouverte contre Rifaat Al-Assad en Suisse. J’étais très heureux qu’une organisation se préoccupe de Hama. Ce dossier était la preuve que la poursuite des membres du régime était possible. Il allait ouvrir la voie à d’autres procédures ».

Plus de 40 ans après le massacre, la nécessité de la poursuite pénale de Rifaat Al-Assad reste indiscutable et les espoirs d’une mise en accusation et d’un procès sont intacts.

Selon Anwar Al-Bunni “le massacre de Hama constitue un moment charnière dans la prise de contrôle du pays par le clan Al-Assad. Au-delà de la poursuite de Rifaat Al-Assad sur le plan pénal, c’est la responsabilité de son frère Hafez et celle d’autres responsables du régime qui est mise en évidence grâce à ce dossier », raison pour laquelle il est aujourd’hui impératif que justice soit rendue aux victimes du massacre.  

… et des incertitudes

Dans le cadre de la procédure ouverte à son encontre en Suisse, Rifaat Al-Assad a été brièvement entendu en septembre 2015 par le MPC, alors qu’il se trouvait à nouveau de passage à Genève. Il s’agit de l’unique audition du prévenu dans cette affaire, laquelle est intervenue plusieurs années avant qu’il ne fuie l’Europe pour retourner en Syrie, où il se trouve maintenant et est protégé par le régime.

En effet, en octobre 2021, Rifaat Al-Assad a quitté la France, pays dans lequel il résidait, alors qu’il était condamné depuis 2020 à quatre ans de prison pour des infractions financières (blanchiment d’argent et détournement de fonds publics). Cette condamnation a été confirmée en appel, puis définitivement par la Cour de cassation le 7 septembre 2022.

Selon Anwar Al-Bunni, « l’annonce de sa fuite a été une immense déception pour les Syriens et les circonstances de son départ posent beaucoup de questions. Comment la France a-t-elle permis qu’il quitte le territoire alors qu’il faisait l’objet d’une condamnation pénale et qu’il faisait l’objet d’un contrôle judiciaire ? ».

En Suisse, la procédure concernant le massacre de Hama ne semble plus avoir progressé outre mesure depuis son départ. Selon Benoit Meystre, conseiller juridique à TRIAL International, « le retour du prévenu en Syrie ne signifie pas que justice ne puisse plus être rendue. Les autorités doivent poursuivre leur travail dans le respect des engagements internationaux pris par la Suisse, terminer leur enquête et renvoyer Rifaat Al-Assad en jugement ».

Le prévenu est aujourd’hui âgé de 85 ans ce qui rend d’autant plus nécessaire que des démarches soient entreprises à court terme en vue d’un renvoi en jugement.

 

La compétence universelle : un outil au service de la justice et des victimes des crimes commis en Syrie

L’exercice de la compétence universelle – cet instrument juridique qui rend possible la poursuite de Rifaat Al-Assad en Suisse alors même que le massacre a été commis en Syrie – a d’ores et déjà fait ses preuves s’agissant des crimes commis dans le pays. C’est le cas en Allemagne où s’est déroulé le procès historique d’Anwar Raslan, un haut fonctionnaire du régime condamné à la prison à perpétuité en janvier 2022 pour crimes contre l’humanité à savoir de nombreux actes de torture, des assassinats ainsi que des violences sexuelles.

« Le procès de Coblence a mis en évidence les crimes contre l’humanité commis par le régime. Il a apporté de la lumière dans les ténèbres » explique Anwar Al-Bunni avant de préciser : « les procédures initiées sur la base de la compétence universelle sont très importantes car elles envoient un message fort aux responsables des crimes syriens. Ils ne peuvent plus se cacher et ne sont plus intouchables ».

À ce titre, Anwar Al-Bunni insiste sur la nécessité d’une coopération toujours plus étendue entre organisations syriennes et internationales de même que sur la mise à disposition par les États, de moyens plus efficaces pour poursuivre les auteurs des exactions perpétrées en Syrie : « il y a actuellement dix procédures ouvertes à l’encontre de responsables syriens entre les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suède, la Belgique, l’Autriche et la Suisse et ces États doivent collaborer dans le but d’une justice plus efficace ».

Et Anwar Al-Bunni de rappeler que la poursuite et la condamnation de responsables syriens sur la base de la compétence universelle « donne également un message d’espoir aux victimes des crimes commis ailleurs dans le monde notamment en Turquie, en Égypte, en Iran, au Yémen, en Algérie, en Tunisie, au Venezuela ».

 

Le courage des victimes à souligner

 Les procédures pénales initiées contre les responsables du régime syrien ne pourraient avoir lieu sans la participation des victimes, dont le courage et la persévérance constituent des exemples d’humilité. Selon les mots d’Anwar Al-Bunni « je suis fier du courage démontré par les victimes, qui prennent des risques importants en venant témoigner dans ces procédures afin que justice soit rendue alors qu’elles ont, pour certaines d’entre elles, encore de la famille en Syrie ».

À la question de savoir ce qu’il souhaiterait leur dire, Anwar Al-Bunni répond sans hésitation : « j’aimerais encourager toutes les victimes à rester fortes. Plus fortes elles seront, plus faibles seront les bourreaux ».

Anwar Al-Bunni :

Anwar Al-Bunni est né à Hama en 1959. Il est avocat et défenseur des droits humains. En Syrie, il a défendu de nombreux prisonniers politiques avant d’être incarcéré pour son activisme. Il a quitté la Syrie en 2014 et a obtenu l’asile en Allemagne où il réside actuellement. Il est à l’origine de la poursuite et de la condamnation d’Anwar Raslan dans ce pays.

Anwar Al-Bunnni a été nommé parmi les cent personnes les plus influentes de 2022 par le magazine Time pour sa lutte contre l’impunité des crimes commis en Syrie aux côtés de l’avocat Mazen Darwish, syrien lui aussi.

 

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