Dossier Khaled Nezzar : Plus d’espoir pour les victimes d’obtenir justice

10.12.2025

Les origines du dossier

L’espoir était né le 22 octobre 2011, jour de l’arrestation de l’ancien Ministre de la défense algérien Khaled Nezzar en Suisse. Cinq victimes s’étaient portées parties civiles, l’accusant d’avoir participé aux crimes de guerre de torture, de traitements inhumains, de détention arbitraire, ainsi que de meurtres, en tant que crimes contre l’humanité.

Les faits se seraient déroulés pendant les premières années de la guerre civile algérienne (1992-2000), alors que Khaled Nezzar faisait partie du Haut Conseil d’État, la junte militaire au pouvoir. Cela fait de lui l’un des principaux acteurs du conflit qui a opposé le gouvernement algérien à divers groupes islamistes armés, faisant près de 200 000 morts ou disparus.

 

Une procédure longue de 13 ans

Le 28 août 2023, Khaled Nezzar est mis en accusation pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Trois mois plus tard, le Ministère public de la confédération annonce que son procès aura lieu entre le 17 juin et le 19 juillet 2024. Cependant, l’accusé décède quelques jours plus tard. La procédure est classée en juin 2024 – soit 13 ans après son ouverture et trois décennies après les faits. Khaled Nezzar aurait été l’un des plus hauts responsables jamais jugés sur la base de la compétence universelle.

Le 10 mars 2025, la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (TPF) a rejeté la demande de deux plaignants en vue de faire reconnaître un déni de justice. Ils déposent ainsi une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme le 7 juillet 2025, arguant que l’enquête diligentée en Suisse depuis 2011 contre Khaled Nezzar a excédé les impératifs de célérité applicables aux procédures pénales. Les requérants concluaient ainsi à la violation de ce principe par la Suisse et, en particulier, à la durée déraisonnable de la procédure dans son ensemble.

 

La décision finale…

Dans une décision sommairement motivée rendue le 16 octobre 2025, un juge unique de la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré cette requête irrecevable au motif que « les faits dénoncés ne relèvent aucune apparence de violation des droits et libertés énumérés dans la Convention ou ses Protocoles ». Cette décision n’est susceptible d’aucun recours.

TRIAL International regrette profondément cette issue, qui met un terme à plus d’une décennie de démarches judiciaires menées de front par des survivants de crimes internationaux commis au début des années 1990 en Algérie, dont l’organisation salue le courage et la persévérance.

Selon Maîtres Sophie Bobillier et Sofia Vega, avocates d’un plaignant, « cette décision est regrettable et décevante. D’une part, la reconnaissance que les victimes attendaient depuis des années, leur a, à nouveau été niée. D’autre part, cette décision est une forme de validation du comportement des autorités suisses qui était dénoncé par les requérants, soit notamment, des interférences politiques intervenues durant l’instruction et le peu de célérité adopté pour enquêter des crimes aussi graves. Cela crée un risque que ce comportement soit répété ».

 

… et ses implications en matière juridique

En dépit des immenses déceptions vécues au cours de cette procédure, la quête de justice des victimes aura tout de même contribué de manière significative à faire progresser le droit. En effet, le dossier a tout d’abord permis de clarifier la question des immunités fonctionnelles dans une décision historique rendue en 2012 par le Tribunal pénal fédéral. Cette décision a refusé de reconnaître à Khaled Nezzar l’immunité dont il se prévalait, celle-ci ayant pris fin lorsqu’il avait cessé d’occuper ses fonctions de ministre de la Défense. Elle a eu un impact bien au-delà des frontières nationales, puisqu’elle est maintenant citée par d’autres juridictions nationales amenées à se prononcer sur cette question[1].

Par ailleurs, la procédure menée en Suisse a permis de confirmer judiciairement l’existence d’un conflit armé non-international durant la décennie noire algérienne, le TPF ayant dans cette décision du 30 mai 2018 également retenu que Khaled Nezzar avait été conscient des actes commis sous ses ordres dans ce contexte.

De ce fait, si la décision d’irrecevabilité rendue par la Cour européenne des droits de l’homme met un terme aux démarches judiciaires dans cette affaire, elle ne saurait effacer le chemin parcouru ni les avancées obtenues. Les survivants impliqués ont dès lors contribué à faire évoluer la question centrale des immunités dans ces procédures, mais aussi à renforcer les fondements de la lutte contre l’impunité en Suisse et dans d’autres pays appliquant le principe de compétence universelle.

[1] Récemment, la Cour de cassation française a repris cette décision pour se prononcer sur l’immunité dont se prévalait l’ancien président syrien, Bashar al-Assad (pourvoi n°24-84.071 du 25 juillet 2025).