L’ancien ministre de l’Intérieur gambien Ousman Sonko condamné à 20 ans de prison pour crimes contre l’humanité lors d’un procès historique en Suisse
(Genève, 15 mai 2024) – Ousman Sonko, ancien ministre de l’Intérieur gambien, a été condamné aujourd’hui par le Tribunal pénal fédéral (TPF) suisse pour crimes contre l’humanité. Le TPF l’a reconnu coupable de multiples crimes commis entre 2000 et 2016, sous le régime de l’ancien président gambien Yahya Jammeh, et l’a condamné à 20 ans de prison. M. Sonko est le plus haut fonctionnaire jamais condamné en Europe pour des crimes internationaux en vertu du principe de la compétence universelle. Il s’agit également du deuxième procès pour crimes contre l’humanité dans l’histoire judiciaire suisse.
Dans son verdict rendu aujourd’hui, le Tribunal pénal fédéral a déclaré Ousman Sonko coupable du meurtre d’un opposant politique présumé en 2000 ; d’actes de torture et de détention arbitraire dans le cadre d’une tentative de coup d’État en mars 2006 ; du meurtre d’un homme politique en 2011 ; de privations de liberté ainsi que d’actes de torture – dont un meurtre – à l’encontre de personnes manifestant de façon pacifique en 2016. Le TPF a, en outre, contraint M. Sonko à verser des réparations aux parties plaignantes pour les préjudices subis.
Ramzia Diab Ghanim, l’une des dix parties plaignantes dans cette affaire, a réagi au verdict rendu aujourd’hui : « Cette décision nous permet de tourner la page, ce que nous attendions depuis longtemps, et montre qu’il n’y a pas de lieu sûr pour quiconque a perpétré des crimes internationaux en Gambie, pas même pour les personnes les plus haut placées. Je suis, toutefois, déçue que le Tribunal n’ait pas reconnu que les violences sexuelles sont également une attaque contre nous, la population civile ».
Malgré cette condamnation historique, le Tribunal a classé les chefs d’accusation de violences sexuelles survenues au début des années 2000 et 2006. Sans juger qu’elles n’avaient pas eu lieu, le TPF a considéré qu’elles étaient isolées de l’attaque dirigée contre la population civile et que, par conséquent, elles ne pouvaient pas constituer des crimes contre l’humanité. Le Tribunal a également estimé que les chocs électriques sur les parties génitales ne devraient pas été considérés comme des violences sexuelles mais comme de la torture.
Les parties peuvent contester l’arrêt en introduisant un recours auprès de la Cour d’appel du TPF.
Ousman Sonko a été arrêté en Suisse en janvier 2017, un jour après que TRIAL International a déposé une dénonciation pénale à son encontre. À l’issue d’une enquête qui a duré plus de six ans, le Ministère public de la Confédération (MPC) a mis en accusation M. Sonko en avril 2023. Son procès s’est déroulé en janvier et mars 2024 devant le Tribunal Pénal Fédéral à Bellinzone.
Cette condamnation historique a été rendue possible grâce au droit suisse, qui reconnaît la compétence universelle pour certains crimes graves au regard du droit international, ce qui permet de les poursuivre sur son territoire, indépendamment du lieu où ils ont été commis et de la nationalité des suspects ou des victimes.
TRIAL International a soutenu neuf plaignant·e·s qui se sont rendu·e·s en Suisse en janvier 2024 pour être entendu·e·s par le tribunal. Le procès s’étant déroulé en allemand, l’organisation a plaidé avec force, mais en grande partie en vain, pour que les procédures soient traduites, afin de les rendre accessibles aux victimes et à la population gambienne. TRIAL International a également assuré la publication régulière de résumés des audiences, repris par les journalistes gambien·ne·s et internationaux.
« La condamnation prononcée aujourd’hui constitue un précédent historique dans la lutte contre l’impunité dans le monde entier », a déclaré Philip Grant, directeur de TRIAL International. « Ce verdict ne rend pas seulement justice aux victimes de ces crimes odieux, mais envoie également un signal fort aux auteur·ice·s de crimes haut placé·e·s dans le monde entier : la justice peut vous rattraper », a-t-il ajouté.
Cette condamnation est une nouvelle étape sur le long chemin de la justice pour toutes les victimes des atrocités commises pendant le règne de terreur de Jammeh entre 1994-2016. Il s’agit du deuxième procès basé sur le principe de la compétence universelle pour des crimes commis en Gambie. Le premier a été celui de Bai L., ancien membre d’une unité paramilitaire connue sous le nom de « Junglers », créée par l’ancien président. Il a été condamné par un tribunal allemand à la prison à vie pour crimes contre l’humanité en novembre 2023. Un autre membre présumé du même escadron de la mort, Michael Correa, doit être jugé aux États-Unis en septembre 2024. Il est accusé de torture et de conspiration en vue de commettre des actes de torture.
La reconnaissance du rôle d’Ousman Sonko dans les exactions commises pendant la dictature de Jammeh contribue non seulement à réduire l’impunité pour les violations commises en Gambie sous le régime de M. Jammeh, mais peut également stimuler les poursuites nationales, propulsant ainsi le processus de justice transitionnelle initié en 2017. En décembre 2021, le rapport final de la Commission vérité, réconciliation et réparations (TRRC) de la Gambie a conclu que M. Jammeh et 69 de ses associés, y inclus Ousman Sonko, avaient commis des crimes internationaux ou de graves violations des droits humains et a demandé qu’ils soient poursuivis en justice. Le gouvernement gambien a publié un plan de mise en œuvre en mai 2023. Les 22 et 23 avril 2024, l’Assemblée nationale gambienne a ainsi adopté un projet de loi sur le Bureau du procureur spécial et un projet de loi sur le Mécanisme spécial de responsabilisation. Ces lois devront être signées par le président avant d’entrer en vigueur.
Pour plus de détails, voir le communiqué de presse du TPF.